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Objet : au secours – chapitre 3

-Comment ça VOLÉE ?!?

Pat secoua la tête, l’air de ne pas en savoir plus que nous. Nous étions dans une des salles de conférence de la police, Pat, Martin, ma mère, Paul et moi. Cela faisait deux jours que nous étions venus leur donner la vidéo et avions fait notre déposition… et ils avaient déjà paumé la vidéo !

-Comment est-ce arrivé ? s’étonna ma mère.

Elle avait décidé de nous accompagner quand nous avions reçu une convocation de la police ce matin. Mon père étant au travail et les parents de Paul cumulant plusieurs boulots, elle était la seule à pouvoir assumer le rôle d’adulte responsable auprès de nous.

Mon meilleur ami avait des préoccupations un peu plus terre-à-terre.

-Ils ont pris seulement la vidéo… ou mon natel aussi ?

-Ils ont tout pris, expliqua Martin, c’est incompréhensible ! Non seulement votre smartphone a disparu, alors qu’il se trouvait normalement en sécurité dans nos locaux, mais également le fichier téléchargé à travers le mail d’Edmund (il me désigna). Toutes les copies effectuées par notre expert, sur lesquelles il avait commencé à travailler, ont été supprimées.

-C’est pas possible ! je m’exclamai. Vous voulez dire que quelqu’un s’est introduit dans vos bureaux ET dans vos serveurs et qu’il a fait le ménage ?

-Apparemment, répondit Pat, soucieuse, et c’est très préoccupant. Il y a une énorme faille dans notre système de sécurité. Nous avons signalé cela aux enquêtes internes, mais on dirait que personne ne sait rien. Qui que ce soit, il est entré chez nous, a pris ce qu’il voulait et s’en est allé sans laisser de traces.

-On est bel et bien les dindons de la farce, admit Martin.

Une fois de retour chez moi, Paul et moi allâmes directement dans ma chambre pour une réunion de crise. Je me mis à faire les cent pas et à râler à voix haute.

-BORDEL ! je m’exclamai lorsque nous fûmes seuls. C’est quand même fou cette histoire ! Pour une fois qu’on découvre un truc un tant soit peu intéressant, il faut que la police nous le paume !

-Je ne pense pas qu’ils s’attendaient à se faire piquer la vidéo, remarqua mon meilleur ami d’un ton docte. Ils avaient l’air plutôt sur les dents…

Il s’assit sur mon lit défait. Il était calme, posé, ce qui ne lui ressemblait pas. Je continuai à marcher de long en large dans la pièce, énervé.

-Ce qui me met le plus hors de moi c’est que cette pauvre Camilla a envoyé cette vidéo à un mec random, elle a choisi une adresse email au hasard, la chance a voulu que j’ouvre son message d’appel à l’aide… On a creusé, on a trouvé et vu sa vidéo, on l’a amenée aux flics, ils nous ont cru, ne nous ont pas foutu dehors… et ils finissent par la paumer ! C’est horrible ! Elle a fait tout ça pour rien !

-Euh, tu ne prendrais pas tout ça un peu trop à cœur ? s’inquiéta-t-il.

-Si seulement on en avait fait un cop…

Je me figeai, m’arrêtant au milieu de ma phrase. Je me tournai vers mon pote, l’œil brillant.

-Quoi ? fit-il.

-Paul ! je m’exclamai. Par pitié, dis-moi que tu en as fait une copie ! (Il prit un air gêné, je sus immédiatement sa réponse.) Oh non. Oh non, c’est vrai. Tu as tout donné. (Je me senti tout à coup hyper abattu.) Évidemment. Et en plus, tu es contre le Cloud. Donc, même si tu as sauvegardé la vidéo sur ton téléphone, elle ne s’est pas sauvée automatiquement sur ton ordinateur… impossible de la récupérer. (Un rire désespéré m’échappa, il me regarda comme si j’étais fou.) Évidemment. Parce que pour toi le Cloud c’est evil, c’est le mal. C’est la NSA qui nous surveille par le Cloud, et le FBI, et la CIA, voire même les Russes et les Chinois ! (Je le pointai du doigt.) Mec, si t’étais pas aussi parano, à l’heure qu’il est on aurait encore une fuckin’ copie ! Merde !

-Je crois que t’as définitivement pété un plomb, Ed. (J’ouvris la bouche pour l’azorer, mais il leva la main pour m’interrompre.) Tu oublies un petit détail… On a menti aux flics.

-Je… Attends, quoi ?

Il me fusilla du regard.

-J’ai plus mon téléphone à cause de toi ! Tu voulais pas dire qu’on a fouillé la boîte mail de la journaliste, alors on leur a fait croire que tu avais reçu la vidéo directement sur ton mail. Ils t’ont demandé de l’effacer et ils ont gardé mon smartphone dernière génération ‒que j’avais reçu pour Noël dernier !

La lumière de l’espoir s’alluma dans mon petit cœur.

-Alors, on a toujours la vidéo ! je m’exclamai, fou de joie.

-Hey ! Je viens de te dire que mon natel s’est fait volé pour rien ! se plaignit-il. (Il me pointa du doigt.) Je considère que c’est de ta faute ! Tu m’en dois un neuf.

-Ouais ouest, OK, d’accord, tout ce que tu veux. Mais dis-moi, pourquoi tu n’as pas expliqué ça aux flics toutes à l’heure ?

Il sembla perdre un peu de sa morgue. Il se mordilla la lèvre inférieure.

-Ben… parce qu’on leur avait menti… Je me suis dit qu’on risquait d’avoir des ennuis si on le leur avouait…

Je me passais la main sur le menton, réfléchissant. Ça m’aurait beaucoup étonné s’ils s’étaient énervés… Je pense que ça les aurait soulagés au contraire, et qu’ils ne nous en auraient pas voulu pour un petit mensonge.

Paul me jeta un regard interrogateur, je gardai le silence. Après une minute, après avoir bien pensé la chose, je lâchai soudain :

-Bon. Il va falloir qu’on enquête de notre côté, je pense.

-Quoi ?!

-Il va falloir qu’on enquête de notre côté.

-J’avais compris la première fois, merci, fit-il d’un ton sarcastique. Est-ce que tu es devenu complètement taré ou quoi ?!

-Je ne me suis jamais senti aussi bien ! (Je m’assis à côté de lui et lui tapotai sur l’épaule pour le rassurer.) Écoute, mec… On ne peut pas laisser cette fille dans la dèche. Ça fait maintenant trois jours qu’on a reçu la vidéo, si ça se trouve elle est en danger. On ne peut pas l’abandonner.

-Mais on ne la connaît même pas ! s’exclama-t-il. Et il y a des chances que cette vidéo soit un canular ! On peut très bien renvoyer la vidéo aux flics avec une fausse adresse email, ils enquêtent, on s’en lave les mains, fin de l’histoire.

Je secouai la tête.

-Je me sentirai mal de faire ça. Mon instinct me dit qu’il faut qu’on la retrouve et qu’on l’aide.

Il soupira.

-Est-ce que ton dévouement soudain envers cette miss vient du fait que tu es tombé sur une photo d’elle par hasard hier ?

Je rougis.

-Pas du tout ! (Il me fixa d’un air peu amène.) OK, elle est mignonne, mais je ne suis motivé que par mon devoir citoyen ! Je… (Je me levai et allais vers la fenêtre. Je regardai dehors.) J’ai envie de résoudre ce mystère. Un homme est mort. Cette vidéo m’a beaucoup marqué. C’était… réel, pas un jeu ou un film, et je n’arrive plus à dormir en imaginant que ses assassins sont en liberté.

-Tu te prends pour Sherlock Holmes ? se moqua-t-il.

Je me tournai vivement vers lui.

-Non. Oui. (J’hésitai.) Peut-être. Bon, on s’y met ?

-S’y mettre ? s’inquiéta-t-il.

-Oui. (J’esquissai un sourire carnassier.) Demain on va rencontrer Camilla Dietrich !

Paul leva les yeux au ciel.

 

Objet : au secours – chapitre 2

-Bon… Alors on fait comme on a dit, chuchota Paul.

Caché derrière son cahier de maths pour ne pas être surpris par le prof, il me fixait avec des airs de conspirateur. Je lui répondis sur le même ton.

-Oui, bien sûr, on en a discuté hier. Faut qu’on fasse ce qui est juste.

Il hocha la tête, semblant tout à fait partager mon opinion.

-Tu es bien sûr de toi ?

Je fronçai les sourcils.

-Ben oui. Pourquoi tu demandes ?

Il haussa les épaules.

-Pour m’assurer que tu es OK. Moi je le suis, mais si tu l’es pas, on peut toujours oublier…

-Oublier ? je m’énervai. Ça va pas ?! Après ce qu’on a vu ? Mec, on peut pas rester les bras croisés ! On fait comme on a dit hier, on va chez les flics !

Un raclement de gorge nous fit tous deux lever la tête. Le professeur de mathématiques nous lança un regard entendu (ou plutôt menaçant, devrais-je dire). Nous nous tûmes, replongeant le nez dans nos exercices de trigonométrie.

Nous en avions longuement discuté hier. Nous avions visionné la vidéo, encore et encore, débattant la possibilité que ce soit une fausse, un montage ou un canular, et nous en avions conclu que s’il existait une chance, aussi infime soit-elle, que ce film soit vrai, il fallait que nous la montrions à quelqu’un. Il était de notre devoir de citoyen de le signaler à une autorité compétente.

(Enfin, c’était l’argument que j’avais répété un petit de millier de fois à Paul pour qu’il accepte de m’accompagner au commissariat sans discuter.)

On ne dirait pas comme ça, mais j’avais un côté un peu têtu parfois. Je jetai un coup d’œil à mon meilleur ami, qui s’amusait à écrire du code dans la marge de sa feuille. Il était assez petit, et large. Il avait un visage rond, il se mettait vite à transpirer lorsqu’il faisait des efforts physiques et c’était un hardcore gamer. (En dehors de son ordinateur, fréquenter le monde réel le barbait.)

Physiquement j’étais son opposé. J’étais maigre (trop pour être qualifié de mince), j’avais les cheveux bruns (et secs), des cernes sous les yeux et le teint blême (trop pour être qualifié de pâle). J’étais un joueur averti, mais pas de la même trempe que Paul. Python, le HTML et Gnu-Linux n’avaient pas de secrets pour lui, je me contentais d’apprivoiser mon ordi et je ne connaissais que quelques bases en code. Il jouait bien plus que moi, et à plus de jeux, principalement parce qu’il arrivait à les craquer. Il se fichait des autres êtres humains autour de lui et il avait très bien compris que les filles non-virtuelles, c’était mort pour lui. (Moi aussi je l’avais bien capté, mais je n’avais pas abandonné tout espoir !)

D’une certaine manière, on se complétait bien. D’un côté il m’aidait à combler mes quelques lacunes au niveau informatique et moi je le reconnectais un peu au monde réel. Soyons clairs, on était des losers, et on le savait très bien. Mais on était deux et on se soutenait mutuellement au lycée.

La sonnerie retentit enfin. Je jetai mes affaires en vrac dans mon sac, en sachant que je ne les en ressortirais plus avant une semaine (car je n’avais pas cette mauvaise habitude de faire mes devoirs). Je me levai d’un bond, enthousiaste, et balançai ledit sac sur mon épaule.

-On y va ? je le pressai.

-Ouais-ouais, grommela-t-il, j’arrive.

Dans le bus nous menant au poste de police, je tentai de le motiver.

-Dis-toi que c’est comme une quête.

-Une quête dans le monde réel ? Trop nul.

Il boudait. Je savais, à force de le côtoyer depuis cinq ans, qu’il n’aimait pas sortir de manière générale. L’air du dehors, les gens, la rue, la réalité, tout ça, c’était pénible pour lui. Et ça se traduisait par de la mauvaise humeur.

Mais pour une fois, moi j’étais très motivé, et le fait qu’il y aille à reculons ne me faisait aucun effet.

-Imagine qu’on commence un nouveau jeu, je souris. On a reçu une mission d’une… d’une elfe inconnue en danger de mort qui nous demande de porter un… parchemin secret et magique au shérif de la ville d’à côté ! Nous devons nous rendre d’un point A à un point B pour pouvoir continuer le jeu.

Il essuya de la sueur sur son front avec sa main, décidé à se montrer grognon.

-C’est une mission pourrie, un truc pour débutant !

-Bien sûr, parce qu’on vient de commencer la partie. (Mon sourire s’élargit.) Mais une fois sur place ce sera plus dur, parce qu’il faudra convaincre le shérif-agent de police de nous écouter, et que notre parchemin-vidéo est authentique !

Ma comparaison eut le mérite de lui arracher un petit rire.

-Quand tu en parles, ça a presque l’air cool… même si on sait tous les deux que c’est faux.

-Que nous réserve le bureau du shérif ? poursuivis-je, bien lancé à présent. Peut-être allons-nous croiser des filles de joie ou des brigands ! Qui sait ! Peut-être va-t-on nous jeter dehors, et nous traiter de vils margoulins !

Il sembla se laisser entraîner par mon délire. Le trajet se poursuivit sans qu’il ne râle à nouveau, nous mîmes au point notre stratégie d’approche pour gagner la confiance du shérif (traduction : comment attirer l’attention du policier à qui nous allions parler et le convaincre que nous n’étions pas de gros mythos).

Arrivés au poste, nous entrâmes dans le bâtiment, très intimidés. J’essayai d’avoir l’air à l’aise, parce que de nous deux, j’étais sensé être le plus courageux.

Nous nous approchâmes du comptoir d’accueil. Nous attendîmes qu’un type à l’air échevelé, qui prétendait que les radiations émanant du CERN l’empêchaient de dormir la nuit (le CERN étant en Suisse et l’appartement de cet homme se trouvant dans le Bronx… bref…) ait fini. La policière l’écouta avec une patience qui forçait l’admiration, et s’excusa en lui expliquant que la police new-yorkaise n’avait pas autorité en Europe. Il s’en alla en marmonnant, les yeux vitreux, et se fut notre tour.

Elle nous dévisagea comme si nous allions être tout aussi pénibles que l’allumé qui nous précédait, mais nous adressa un sourire ‒un peu résigné.

-Bonjour les jeunes. Que puis-je pour vous ?

Je me râclai la gorge et, d’une voix que j’espérais pas trop fluette, je lançai :

-Nous venons signaler un meurtre.

Un léger silence s’ensuivit. Je m’attendais à avoir lâché une info qui lui ferai au moins écarquiller les yeux, mais elle ne cilla pas.

-Ah oui ? lâcha-t-elle, tout sauf bouleversée. Vraiment ?

-Oui. Un vrai meurtre.

-Vous savez que c’est une accusation très grave ? Et que si vous êtes en train de raconter des bobards, vous risquez de gros problèmes ?

-On a une preuve, intervint mon meilleur pote.

Ah, elle se fit un peu plus alerte soudain. Paul tapota trois secondes sur son smartphone (qu’il avait sorti de sa poche lorsque nous étions entrés dans le commissariat) et lui montra l’écran. Elle se pencha, il augmenta le volume.

-Vous entendez ce bruit ? je lui demandai. On dirait un appareil photo, quand on appuie sur le bouton et ça fait « tchac-tchac-tchac ». Celle qui filmait était apparemment en train de prendre des clichés en même temps.

Elle observa très attentivement la vidéo quand on vit le mec tirer sur celui qui était à genoux devant lui.

Celle qui filmait ? Ça n’était pas l’un de vous deux ?

-Non. En réalité ce film m’a été envoyé hier d’une adresse que je ne connaissais pas, j’expliquai.

Petit raccourci, pour ne pas avoir besoin de lui révéler que nous étions entrés dans une boîte mail qui ne nous appartenait pas et avions fouillé dans les mails de Camilla.

Elle visionna le reste de la séquence, jusqu’à ce qu’elle s’arrête, et sembla réfléchir. Finalement elle décrocha le téléphone fixe derrière le comptoir et nous lança un regard des plus sérieux.

-Une petite seconde, d’accord ? J’appelle un de mes collègues…

Nous acquiesçâmes, elle fit descendre un certain Martin, qui arriva une minute plus tard.

-Qu’est-ce qu’il y a Pat ?

-Ces deux garçons ont apporté une vidéo amateur qui montre un homme se faire tuer. Real ou fake ?

Elle lui expliqua ce que nous lui avions rapporté, il se concentra intensément sur l’écran du smartphone de Paul. Quand le film s’arrêta à nouveau, il semblait songeur.

-Je ne sais pas… C’est dur à dire…

-La qualité n’est pas terrible, j’intervins, soucieux qu’ils nous prennent au sérieux, mais on voit très clairement quelqu’un se faire tuer, n’est-ce pas ?

Le dénommé Martin leva les yeux sur moi.

-Je ne sais pas… Tout ce qu’on peut dire, éventuellement, c’est qu’on croit voir un groupe de personne à travers la fenêtre d’un immeuble et qu’on dirait que l’un deux, à genoux, tombe sur le sol. Oui, on distingue quelque chose dans la main de l’homme debout face à lui, mais est-ce vraiment un pistolet ? C’est peut-être un taser, ou un faux revolver…

-Mais enfin ! je désespérai, voulant à tout prix qu’ils nous prennent au sérieux. Vous ne pouvez pas…

-MAIS, m’interrompit-il, même s’il n’y a qu’une faible chance que ce soit un vrai meurtre qui ait été filmé, nous nous devons d’enquêter. (Il souleva un sourcil.) Il va nous falloir plus de détails. Il faudra qu’on vous emprunte ce smartphone.

Je me retins d’esquisser un sourire triomphal ‒de son côté Paul déchantait.

-Me… me l’emprunter ? balbutia-t-il. Mais… pour combien de temps ?

-Est-ce que vous en avez fait des copies ? le coupa la policière. Il nous les faudrait toutes. On va vous faire faire une déposition. Quel âge avez-vous ?

-Euuuh, dix-sept ans, je dis.

-Moi seize, répondis Paul. Et demi !

-D’accord. Nous allons contacter vos parents, puisque vous êtes mineurs. Vous pouvez me donner leurs numéros ?

Paul et moi échangeâmes un regard doublé d’une grimace. Mince ! Ça par contre on s’en serait bien passé !

Objet : au secours

Chapitre 1

Je ne faisais rien de spécial, comme d’habitude. Les cours étaient terminés, j’étais en train de jouer sur mon ordi à un de ces jeux de plateforme en ligne, j’avais l’après-midi devant moi et j’avais bien l’intention de ne pas décoller de mon siège jusqu’au souper ‒quand ma mère viendrait me hurler dessus parce que c’était la troisième fois qu’elle m’appelait pour manger et que je ne l’avais pas entendue.

Sauf que… c’était pas trop dans les plans de l’univers de me laisser glandouiller tranquillement pendant quelques heures. Les forces cosmiques avaient apparemment des projets plus extrêmes pour le gamer invétéré que j’étais.

Mon natel émit un bip, le bip spécial que j’avais attribué à ma boîte mail, je tournai la tête vers celui-ci. Si les circonstances avaient été différentes, si j’avais été en plein milieu d’une bataille contre un troll ou un mage quelconque, je ne lui aurais prêté aucune attention. Si je n’attendais pas une confirmation de commande par mail d’un jeu en édition limitée en vente au Japon, je n’aurais même pas jeté un coup d’œil à mon smartphone. C’est drôle la vie quand même ; on pense qu’on fait nos propres choix, mais il y a pleins de circonstances qui nous font agir de telle ou telle manière à tel moment et pas à un autre.

Je saisis mon téléphone et le déverrouillai pour ensuite ouvrir le mail en question.

Qu’est-ce que tu fous ? s’agaça Paul.

En me voyant me figer sur l’écran, il s’était posé des questions. Nous jouions, moi depuis ma piaule et lui depuis chez lui, ensemble mais pas physiquement dans le même lieu. Nous nous parlions grâce à nos casques. (Le mien était tout neuf, je venais de le recevoir pour mon anniversaire.)

-S’cuse, je dis. J’ai juste reçu un message, deux secondes.

Il soupira et attendit. En consultant ma boîte de réception, je lus l’objet du message et fronçai les sourcils.

-Tiens, je fis à haute voix. Ça c’est bizarre…

Quoi ? demanda-t-il.

-J’ai reçu un mail avec comme sujet marqué « ausecours »… en un mot, tout collé.

Il eut un petit gloussement.

Ed, Ed, Ed… Tu t’es ramassé un phishing[1], c’est tout ! Balances-moi ce truc dans tes spams et viens terrasser ce fameux dragon ! J’ai bien envie de rabattre le caquet à cet elfe de mes deux, là. Tu sais, celui qui se la pétait à la taverne. Je peux pas le saquer !

J’aurais suivi son conseil si le fait que ces deux petits mots n’avaient pas été appondus. Les gens qui envoyaient des mails piégés étaient-ils si nuls que cela ? Curieux, je jetai un coup d’œil à l’adresse.

-Tiens ! m’exclamai-je malgré moi.

Quoi encore ? s’impatienta mon pote.

-Ben… Tu sais, d’habitude les phishings ont des adresses email à rallonge et sont hyper louches, avec plein de lettre dans le désordre, j’expliquai. Mais là ça semble normal.

Et alors ?

J’hésitai.

-J’ai bien envie de l’ouvrir… Histoire de voir quel genre d’arnaque ça cache.

Bah ouvre-le, qu’on passe enfin à autre chose. On a une quête sur le feu je te rappelle !

Son ton agacé ne m’échappa pas, mais je m’en fichais un peu. J’étais curieux.

-Je ne risque pas de me choper un virus si j’ouvre le mail ? je lui demandai.

-Mais non andouille ! Il faut pas cliquer sur les liens dedans, c’est tout ! Allez, grouille, qu’on voie ce qu’il y a dedans.

Je touchai l’écran tactile de mon smartphone, l’email s’afficha. Son contenu me laissa sans voix, il y avait juste des chiffres et des lettres à la suite, sans aucun sens. Voilà comment ils se présentaient :

Allimac-4991_20_70!?!

Alors ?s’enquit Paul. C’est ta banque qui te signale qu’il y a une erreur sur ton compte et qui veut tes codes, ta grand-mère qui s’est fait kidnapper en Ouganda ou tu as soi-disant gagné un million de dollars ? Si c’est une russe qui te trouve trop hot et qui veut t’épouser, fais-moi suivre le lien ! Je sais comment craquer ce genre de site…

-Non, c’est pas ce genre d’arnaque bateau, je secouai la tête. Y’a des lettres et des chiffres… Mais ça veut rien dire !

Merde, s’inquiéta-t-il, c’est du code ?

-Nan, je crois pas. (Je marquai une pause pour réfléchir.) On dirait un genre de mot de passe.

-Ah bon. On s’en fout alors. (Je l’entendis renifler, impatient.) On joue ?

-Tu trouves pas ça hyper bizarre ? je m’étonnai.

-Un mec chelou t’envoie un mail avec des trucs incompréhensibles, y’a pas de quoi fouetter un chat. (Je l’entendis mastiquer ‒des chips probablement, à en juger par le bruit.) Tu peux parier que c’est quelqu’un qui a envoyé son message trop vite, et qui s’est planté d’adresse.

Il n’ajouta rien et son avatar (un guerrier roux avec une tresse et des muscles d’acier, couvert de peaux de bêtes) reprit son chemin dans le jeu, me devançant. Il devait estimer que la discussion était close.

Je n’arrivais pas à quitter le message des yeux. La personne qui me l’avait envoyé avait écrit « ausecours », tout appondu, comme si elle avait été si pressée de le taper et qu’elle en avait oublié les espaces. Ça pouvait aussi être de la distraction… Pourtant cette explication ne me satisfaisait pas. J’étais vraiment trop curieux.

ED !

Je sursautai. Paul me regardait (toujours dans le jeu) avec les sourcils foncés.

-Qu… Comment ? je balbutiai.

Qu’est-ce que tu fous ?! Je te parle, tu m’écoutes ?

-Je… Attends encore un instant, je veux vérifier quelque chose.

Quoi encore ? fit-il, exaspéré à présent.

J’ouvris mon navigateur web favori et tapai l’adresse mail dans la barre de recherche.

-C’est un journaliste apparemment, je constatai.

-Mais de qui ?

-La personne qui m’a envoyé le mail.

-Putain t’es encore là-dessus ?! Lâche l’affaire mec, c’était juste une erreur !

-C’est le News Daily, je continuai sans lui prêter la moindre attention. On dirait que ceux qui bossent là-bas ont des adresses pro. (Je cliquai sur le premier lien, qui me renvoya à l’annuaire et l’organigramme du journal.) Ah, j’ai un nom.

Il grommela quelque chose d’inintelligible, puis reprit d’une voix un peu moins maussade.

C’est qui alors ?

-Une certaine… Camilla Dietrich.

Je l’entendis pianoter sur son clavier. Apparemment il était quand même un peu intéressé on dirait… Je regardais l’adresse mail : c.dietrich@newsdaily.com. Ouais, ça correspondait bien. « C » pour Camilla…

Bon, ben tu sais qui est ton hacker mystère maintenant. Pas si mystérieux que ça d’ailleurs…

-On dirait. Tu penses qu’elle s’est trompée de destinataire ?

Je pus presque entendre ses yeux rouler dans ses orbites.

Noooon, tu crois ?

-Sois encore un peu plus cynique please, j’ai pas très bien saisi le sarcasme.

Je me sentais un peu déçu, que ça se termine aussi facilement. Je voulais pousser la recherche plus loin, savoir, comprendre pourquoi j’avais reçu cet email, mais je ne savais pas où creuser pour avoir des réponses. J’étais près à laisser tomber ‒mais c’était sans compter sans mon meilleur pote ! Il s’était pris au jeu.

Elle a publié pas mal d’article, commenta-t-il. Elle est active depuis… 2015. En tout cas c’est la date marquée sur les plus vieux articles qu’elle a publié.

-Pourquoi m’a-t-elle envoyé ce mail, à moi ? dis-je à haute voix. Et pourquoi ces lettres et chiffres incohérents ? Je ne pige pas.

Un silence s’ensuivit. Je le sentais qui cogitait à travers le casque, il était en train de réfléchir intensément.

Fais-moi suivre le mail. Je vais tester un truc…

-Quoi ?

Je le lui envoyais, je l’entendis pianoter à nouveau.

-Je vais voir quel genre de boîte mail ils utilisent, et je vais entrer dans celle de ta Camilla mystère.

-On a vraiment le droit ? je m’inquiétai. C’est pas illégal ça ?

Bah, c’est elle qui t’a filé son code, ricana-t-il, je vois pas ce qu’il y a d’illégal !

Pas faux. Je me redressai sur mon siège, très excité tout à coup.

-Fais un partage d’écran mec, je dis. J’aimerais voir ce que tu vas trouver !

-Ok ok…

-T’as pas peur de te choper un virus ou un malware en allant dans sa boîte mail ?

-Mais nan, j’ai des firewall de ouf, et des protections en béton armé ! Le moindre petit ver ou cheval de Troie dans mon ordi et il se fait azorer !

Il m’envoya une demande pour que je puisse voir ce qu’il faisait sur son ordi en temps réel, j’acceptai. Je me calai dans mon siège et observai le ballet de la souris en spectateur.

Paul alla grailler dans le plan du site web du journal pour trouver un lien vers leur intranet (le site que les organisations utilisent généralement en interne pour les communications qui ne regardent pas le public) et dénicha après avoir suivi quelques fausses pistes le nom de la boîte mail des journalistes. Il y entra l’identifiant de Camilla ‒son adresse, quoi‒ et ensuite le code.

Je retins mon souffle, la page chargea.

Sésame, ouvre-toi ! rigola mon pote.

La boîte de réception s’afficha. Mes yeux parcoururent les objets des mails, il y en avait de nombreux qui n’avaient pas été lus. Paul (toujours en train de partager son écran avec moi pour que je puisse assister à ses moindres mouvements) descendit pour voir si un intitulé semblait plus prometteur que les autres.

Plein de noms… Bof, rien de palpitant.

-Attends, je l’interrompis, fiévreux. Regarde, c’est marqué qu’il y a un brouillon en attente. Clique sur ce dossier. (Il obéit.) Il n’y a qu’un seul message en attente, il n’a ni adresse, ni texte, ni objet. C’est trop bizarre, personne ne fait ça…

-C’est pas si bizarre… Mais bon ! Au point où on en est, ce serait bête de s’arrêter en si bon chemin.

-Ouvre-le ! je l’exhortai.

Il s’exécuta, son curseur se déplaça sur le message et il cliqua dessus. Aucun texte, rien, juste un fichier vidéo.

-On prend les paris ? Sextape ou vidéo de chaton ?

Je ne dis rien, trop impatient pour prendre la peine de lui répondre. Il cliqua dessus pour la visionner.

La vidéo durait environ six minutes. Elle était de très mauvaise qualité, probablement filmée avec un téléphone, à la sauvette, à travers une fenêtre qui donnait sur un immeuble. Dans cet immeuble, on pouvait voir qu’un groupe de personne était rassemblé en cercle et qu’ils… discutaient ? C’était dur à dire, l’image était vraiment pas terrible, elle tressautait et elle bougeait.

-Putain, on voit presque rien !

La personne en train de filmer (était-ce Camilla ?) zooma et on distingua vaguement mieux ce que les personnes étaient en train de faire. Ça n’était pas une gentille petite réunion entre amis en réalité. Ils étaient cinq ou six et ils se disputaient. L’un d’eux était à genoux, et un autre tenait un pistolet, braqué sur la tête du premier.

Je n’eus pas le temps de tout à fait réaliser ce que je voyais que le type avec le flingue tira. Celui qui était à terre s’effondra, sa tête partant en arrière.

T’as vu ce que j’ai vu ?! s’exclama Paul. Putain, c’est un fake ou pas ?

Je déglutis, incapable de répondre.

La vidéo continuait, il me semblait qu’elle tremblait un peu plus. Soudain un mec de l’immeuble aperçu notre caméraman et la pointa du doigt, puis se mit à gesticuler. Les autres types s’agitèrent, mais l’image devînt floue et commença à bouger dans tous les sens. La personne qui filmait courait, apparemment, elle dévala des escaliers à toute vitesse, sortit dans la rue et continua sa course. Des cris (que je percevais à travers le casque de Paul, n’ayant moi-même pas mis le son sur mon ordi) l’interpellant retentirent. Elle ne s’arrêta pas et appela un taxi qui passait d’une voix désespérée ‒mais que je remarquai être très agréable malgré la course et l’urgence de la situation. Je serrai les poings, le cœur battant. Allait-elle leur échapper ? Vite ! Enfuis-toi, dépêche-toi !

Elle sauta dans le taxi et la vidéo resta immobile pendant trente secondes, montrant le pied et le bas du pantalon de la fugitive, puis elle arrêta d’enregistrer.

C’est moi ou… on vient d’assister à un meurtre ? commenta Paul.

-Ecoute… C’est soit ça, soit Warner Bros qui a décidé de créer des bandes-annonces hyper réalistes…

Nous nous tûmes, encore un peu choqués malgré les dizaines de films tous plus trash les uns que les autres que nous avions vus. J’étais en sueur, et j’avais les mains glacées.

-Bon. Qu’est-ce qu’on fait ?

Très bonne question…

[1] Phishing = mail d’accrochage piégé