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Objet au secours – Chapitre 12

L’homme au costume bleu tournait en rond dans la pièce, faisant les cent pas comme un lion en cage. Sa « collègue », la soi-disant Jane Cardwell, pianotait sur un ordinateur, tentant de l’ignorer.

Elle ne portait plus les habits sobres qu’elle avait enfilés pour se faire passer pour une lieutenant de police. À présent elle avait endossé un survêtement troué, couvert de taches de gras et un sweat shirt XXL. Les jambes repliées sous elle dans une chaise de bureau dont la mousse du dossier partait en lambeaux, elle mâchouillait une vieille paille entre ses dents. Elle se focalisait sur l’écran de son ordinateur, traquant la moindre information concernant l’enquête ouverte sur Mason Donovan.

-Ces merdeux, répéta-t-il pour la millième fois. Si je le pouvais, j’irais directement chez eux et je leur arracherais les yeux !

Coulant un regard agacé dans la direction de l’homme en bleu, elle émit un claquement de langue impatient. J’ai horreur de travailler avec des bourrins pareils, songea-t-elle.

-Ça sert à rien de s’exciter comme tu le fais, dit-elle d’un ton sec. On ne peut pas tenter une approche en force sur ces gamins, les flics les tiennent à l’œil.

Il lui lança un regard noir, elle se détourna. Elle devait se retenir de toutes ses forces de ne pas lui balancer que c’était de sa faute s’ils en étaient là, que s’il n’était pas un crétin qui tirait sur tout ce qui bouge dès qu’il se mettait en colère, ils n’auraient pas besoin d’écumer la ville à la recherche d’une journaliste maigrichonne. Ce type  ne possédait aucune subtilité, il lui faisait presque regretter d’exercer son job.

-Plus le temps passe et plus il y a de risque qu’on ne puisse plus récupérer les photos faites par ces deux crétins ! On a pu les effacer des serveurs de la police, mais je suis sûr que ces petits salopards ont stocké une copie des photos quelque part.

Si cet abruti fini me laissait bosser en paix, j’aurais déjà terminé mes recherches, pensa-t-elle, excédée. Elle se gratta le menton, effectuant quelques clics.

Elle se figea.

-Je vous tiens, murmura-t-elle, un rictus déformant son visage en une grimace satisfaite.

-Tu as trouvé quelque chose sur eux ? fit-il précipitamment.

-Oui. Je suis dans le système de leur école. Ils finissent les cours à 16 heures demain.

-Et alors ?

Elle saisit une perruque blonde sur le bureau face à elle et la brandit devant le regard sceptique de son collègue.

-Et alors, il est temps que ces gamins rencontrent Mary-Sue et qu’elle leur file le train !

Il haussa les sourcils.

 

 

 

J’ouvris lentement les yeux et ne pus m’empêcher de sourire. J’avais (enfin !) rencontré Camilla Dietrich.

Me redressant, j’ébouriffai mes cheveux, me sentant étrangement léger pour un mec qui avait fait le mur la veille et qui était rentré à trois heures du matin. J’étais toujours chez Paul, sur le matelas en mousse qu’il me réservait quand je passais la nuit à jouer chez lui. Mon pote eut plus de mal à émerger du sommeil : quand son réveil se mit à sonner, il le flanqua par terre en grommelant.

Nous prîmes notre déjeuner et nous rendîmes en cours. Je me sentais comme sur un petit nuage, la journée fila en un rien de temps. J’écoutai à peine ce que les profs racontaient, trop heureux de revoir Camilla le soir même.

-Tu sembles bien joyeux depuis hier soir, remarqua Paul lorsque la cloche sonna, nous libérant enfin.

Je fourrai mes affaires dans mon sac sans même prendre le temps de les ranger correctement.

-Non, pas spécialement, haussai-je les épaules.

-Est-ce que par hasard… Camilla te plairait plus que tu ne veux bien l’admettre ? ricana-t-il.

Je secouai la tête, horrifié qu’il puisse penser ça.

-Non-non, démentis-je. C’est une belle fille… enfin, une femme, mais je suis pas amoureux d’elle !

Mon meilleur ami plissa les yeux d’un air rusé.

-Ed. Je t’ai pas demandé si tu l’aimais, dit-il lentement. Je t’ai demandé si elle te plaisait.

Je me figeai.

-Euh, ben, bafouillai-je. (Je me mis à suer un peu.) Elle a du cran. J’admire ça chez une fille. Je trouve que c’est classe !

Il me lança un regard moqueur, pas dupe.

-Allez, viens, se moqua-t-il. On va aller chercher de quoi nourrir ta princesse de fin de niveau.

Je le rattrapai dans le couloir, nous sortîmes dans la rue.

-Tu penses qu’elle a encore besoin qu’on lui apporte à manger ? je fis. À présent elle a de l’argent sur elle.

-On sait jamais. Peut-être qu’elle n’a pas eu le temps d’aller s’acheter quelque chose. Dans le doute, amenons-lui un ou deux snacks. Mais dépêchons-nous : mes parents sont toujours aussi furax, il vaut mieux qu’on ne traîne pas trop avant de rentrer chez moi.

Nous pressâmes le pas. Nous entrâmes dans une boutique du quartier, tenue par un vieil italien au visage ridé. Il regardait la télé derrière son comptoir et ne nous jeta même pas un regard lorsque nous passâmes devant lui.

-Prends des fruits secs, je lui ordonnai en saisissant des paquets d’amandes. Et des barres de céréales.

Il s’exécuta.

Quels étaient ses goûts ? Préférait-elle le sucré ou le salé ? Un sentiment de frustration totalement puéril m’étreignit. J’aurais voulu passer plus de temps avec elle, pouvoir discuter en tête à tête avec cette jeune femme belle et intelligente. Quelles avaient été ses motivations pour devenir journaliste ? Est-ce qu’elle avait toujours souhaité faire ce métier ? Je voulais tout savoir d’elle.

Je me repris et saisis tous les paquets que je pouvais, puis pris également une bouteille d’eau. Elle aurait peut-être soif, qui sait ?

 

 

 

Garée en face de la boutique, un appareil photo à la main, la fausse lieutenant de police observait les deux jeunes hommes. Ses yeux perçants dissimulés derrière des lunettes à soleil de marque et ses cheveux bruns cachés par une perruque blonde platine, elle était méconnaissable. Ils n’avaient aucune chance de la reconnaître avec ce déguisement.

Elle les observa attentivement et prit un ou deux clichés. Elle les avaient suivis depuis leur lycée, tâchant de ne pas se faire remarquer, gardant toujours une certaine distance. Ils n’avaient pas été bien loin et s’étaient arrêtés dans une petite boutique d’alimentation. À travers la vitrine, elle les vit échanger quelques mots, le petit gros s’éloigna, regardant les étalages. Le grand au teint blafard resta immobile pendant un moment, semblant être totalement absorbé dans ses pensées. Puis il se secoua et recommença à faire son petit marché.

Attendant qu’ils aient payé, elle descendit tranquillement de voiture et traversa la route. Elle se rapprocha de l’entrée du magasin miteux et fit mine d’y entrer, ils ouvraient la porte au même moment pour sortir. Elle fit semblant d’hésiter, ils se figèrent et s’écartèrent pour la laisser passer. De véritables gentlemen, songea-t-elle, amusée.

-Merci, leur glissa-t-elle en se faufilant dans le magasin.

Elle leur adressa un sourire charmeur, le grand maigre cligna des yeux, un peu ébloui. Elle le dépassa, sa main accrocha habilement un traceur GPS miniature à son sac à dos. Il ne remarqua rien.

Il faut que je fasse attention, je joue avec le feu dernièrement, pensa-t-elle. Elle se dirigea vers un étalage et fit semblant d’examiner de plus près un paquet de chips. Après une seconde de flottement, les deux jeunes hommes se reprirent. La porte se referma sur eux avec un petit bruit, ils étaient sortis.

Attendant quelques secondes, elle reposa le paquet de chips et sortit son smartphone de son sac à main. Elle le déverrouilla et consulta l’écran. Une carte du quartier s’y affichait, ainsi qu’un petit point rouge, qui se déplaçait vers le nord. Elle sortit de la boutique et vérifia que les deux compères allaient dans la même direction que le traceur.

Bien, songea-t-elle. Tout marche comme sur des roulettes.

Elle regagna sa voiture et attendit une dizaine de minutes avant de les suivre, mettant son moteur en marche.

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Objet : au secours – chapitre 11

-Ed, je te hais.

-Tu te répètes Paul.

Il ronchonna, marmonnant dans sa barbe, et aspira du soda avec sa paille. Je continuai à scruter la rue à travers la vitre du fast-food où nous nous étions installés.

Il était onze heures trente environ et, bien qu’il fasse nuit, la température restait élevée. Il y avait encore pas mal d’activité alentour (New York ne dort jamais vraiment) et la rue était doucement éclairée par des lampadaires. J’observai les gens marcher, un clodo était recroquevillé près d’une poubelle, dormant probablement.

-S’ils découvrent qu’on a fait le mur…

-Ils ne verront rien, arrête de flipper, je le coupai sans me tourner vers lui.

Je n’avais pas besoin de le regarder pour savoir qu’il transpirait à grosses gouttes, stressé. Je dissimulai un petit sourire. Je le connaissais par cœur.

Plus tôt dans la soirée, je lui avais mené une vie d’enfer pour venir dormir chez lui afin qu’il me serve d’alibi. Je ne pouvais pas m’éclipser de chez moi, ma fenêtre se situant au deuxième étage, c’était un peu risqué. Je ne me sentais pas de jouer les cascadeurs. Il avait accepté, après un bon quart d’heure de négociations musclées (je vais devoir lui filer au moins dix de mes comics préférés), mais au moment où j’allais sortir de sa chambre, située au rez-de-chaussée, il avait finalement changé d’avis. Il avait décidé de venir avec moi.

-Je peux pas te laisser y aller seul ! s’était-il exclamé.

-Pourquoi ? Il y a deux minutes ça ne te donnait pas de cas de conscience. Si tu as trop peur, il ne faut pas t’en faire pour moi, j’ai une veine de cocu.

Il avait pincé les lèvres.

-Tu parles, t’as toujours la poisse. (Il avait attrapé son sac à dos et une veste.) Je viens avec toi. Dans les quêtes on est toujours deux, dans la réalité, c’est pareil. On se soutient mutuellement. Au lycée tu me défends toujours contre les crétins qui me volent mes affaires… bon, même si après tu te fais taper. Mais ça compte, ça ! Je peux pas te laisser tomber. Tu tires même des doigts d’honneur aux filles qui se moquent de moi dans mon dos. Si ça c’est pas de l’amitié…

J’avais hoché la tête, ému. J’allais lui dire que sa petite tirade m’avait touché, mais il avait ajouté :

-Par contre si y’a le moindre pépin, je me tire en courant et je te plante là, on est d’accord ?

J’avais levé les yeux au ciel et nous étions partis en douce après avoir mis des oreillers sous les couvertures pour faire croire à ses parents que nous étions sagement endormis. Il ne nous restait plus qu’à prier pour qu’ils ne découvrent rien…

Voilà maintenant une demi-heure que nous attendions que Camilla nous rejoigne dans le fast-food. Ella avait dix minutes de retard. Mes yeux s’attardaient sur chacune des silhouettes traversant la rue et qui auraient pu lui appartenir. Je mâchouillai mon ongle du pouce. Edward lui avait envoyé un mail pour lui expliquer qu’il était coincé à l’hôpital (avec une photo de lui pour preuve) et avait envoyé une image de moi pour qu’elle puisse me reconnaître. Avait-elle eu l’occasion de lire ce message ? Si oui, elle n’aurait aucun problème à me trouver, mais si elle n’avait pas eu le temps de consulter sa messagerie, elle chercherait son ami en vain et repartirait. Nous aurions perdu un temps précieux…

Soudain, une étrange sensation m’étreignit. J’avais l’impression d’être épié. Mon regard balaya la ruelle.

-Là ! je m’exclamai, me redressant d’un bond, faisant sursauter Paul.

Une fine silhouette se tenait dans l’ombre entre deux immeubles, de l’autre côté de la rue. Elle portait le même sweat à capuche noir beaucoup trop large pour elle, son jean troué et les grosses chaussures de chantier. Je ne distinguai pas ses yeux, mais j’avais l’intime conviction qu’elle était en train de me fixer.

Je fronçai les sourcils. Elle ne bougeait pas. Pourquoi ne venait-elle pas à nous ? On était sensé se rencontrer dans le fast-food… Elle recula d’un pas, je la compris sans avoir besoin de mots.

Elle voulait qu’on la rejoigne.

-Viens, m’exclamai-je en choppant mon meilleur ami par le bras. On descend !

-Hé, doucement, râla-t-il.

Nous arrivâmes dans la rue, elle était toujours de l’autre côté, nous attendant. Mon cœur battait à tout rompre, je ressentais une excitation extrême et rien d’autre. Je n’avais pas peur du tout, je ne voulais qu’une chose, la voir. La voir et lui parler, apprendre à la connaître. Le feu prit une éternité pour passer au vert, je trépignais d’impatience.

Nous pûmes finalement la rejoindre, elle recula de quelques pas, se dissimulant dans l’ombre des deux immeubles qui l’encadraient. Paul resta un peu en retrait, la fixant d’un air intimidé, je réduisis la distance entre elle et moi à un mètre environ.

Elle leva le visage vers moi, mains dans les poches, et me dévisagea calmement. Une douce chaleur m’envahit.

Elle était super, super mignonne, mince !

Malgré les cernes et sa beau blême, elle avait les traits fins, un petit nez et une bouche fine bien dessinée. Ses yeux étaient d’un brun profond.

-Ton nom.

Sa voix était comme je l’avais imaginée. Douce, mais ferme. Un murmure qui restait un ordre, donné sans effort. Je me demandai à quoi pourrait ressembler son rire…

Je me secouai. Reprends-toi, mon vieux Edmund ! T’es en mission, t’es pas là pour t’extasier.

-Edmund. C’est Edward qui m’envoie.

Elle hocha la tête, c’était le prénom que le journaliste lui avait transmis. Ma voix tremblait un peu, j’avais de la peine à contenir mon excitation. Elle se pencha légèrement sur le côté pour observer Paul, toujours derrière moi, puis me lança un regard interrogateur, arquant un sourcil.

-Et lui ? s’enquit-elle, méfiante.

-C’est mon ami, j’expliquai rapidement. Il suit l’affaire depuis le début, tu peux lui faire confiance.

Elle me dévisagea un instant pour juger de ma sincérité, puis haussa les épaules.

-Au point où j’en suis, marmonna-t-elle. (Elle ajouta plus fort en se tournant et en s’enfonçant dans la ruelle.) Suivez-moi.

Je fis signe à Paul de nous suivre, il trottina jusqu’à moi, l’air toujours inquiet.

Camilla nous conduisit à travers les ruelles plongées dans l’obscurité et malodorantes. Je ne m’étais jamais aventuré dans un coin aussi lugubre, en tout cas pas de nuit. J’avais beau être né à New York et y avoir vécu toute ma vie, je n’allais jamais me balader dans des quartiers que je ne connaissais pas. (Et il fallait aussi avouer que je ne sortais pas beaucoup de chez moi non plus, j’étais plutôt un geek d’intérieur.)

Elle nous balada jusqu’à un vieux bâtiment à moitié en ruine. Elle se dirigea vers une fenêtre et enleva le panneau de bois qui en bloquait l’entrée. Elle grimpa à l’intérieur, nous l’imitâmes, elle remit en place le panneau après notre passage. Il faisait nuit noire à l’intérieur.

-Attendez, chuchota-t-elle, je vais allumer.

Elle craqua une allumette ; Paul retînt un glapissement, je grimaçai. Autour de nous il y avait au moins cinq ou six personnes endormies à même le plancher crasseux, tous des SDF. On les entendait respirer, ils ne bougeaient presque pas. Ils ne faisait pas attention à nous.

-Par ici, ne faites pas de bruit.

Elle nous fit traverser la pièce jusqu’au vestibule de la baraque et nous montâmes un escalier grinçant jusqu’à une chambre à l’étage. Le sol était plein de trous, on pouvait voir l’étage en-dessous à travers.

-Voilà, ici il n’y a personne, on peut parler tranquillement, annonça-t-elle.

Elle alluma une petite lampe de poche suspendue à un clou au mur, elle souffla sur l’allumette pour l’éteindre. Elle ôta sa capuche et nous fit face. Ses cheveux n’étaient pas noirs comme sur la photo que nous avions trouvée sur internet, ils étaient complétement décolorés. Ils lui tombaient dans le dos, retenus par un élastique en une queue de cheval souple.

-Vous dormez ici ? demanda Paul d’un ton rebuté.

-Non. J’ai créché ici quelques jours, mais il y a trop de monde, ça me stresse. Je change régulièrement de planque. (Elle se pencha en avant pour mieux nous dévisager.) Edmund et Paul, donc… Vous semblez super jeunes, quel âge vous avez ?

-Dix-huit ans, je mentis.

-Seize, répondit Paul en même temps. (Il ignora mon regard noir et me désigna du menton.) Et lui dix-sept.

Elle sembla abasourdie.

-Vous êtes des lycéens ? réalisa-t-elle. Edward est fou de vous avoir impliqués dans mes histoires !

-On est d’accord là-dessus, bougonna Paul.

-De base, c’est nous qui sommes venus à lui, rectifiai-je. On s’est présenté à votre bureau pour vous parler et on lui a montré la vidéo que vous nous avez envoyée par erreur.

Elle fit la moue, dubitative.

-Mouais… Mais il vous a envoyés ici aujourd’hui…

-Il n’avait pas le choix, il est cloué sur un lit d’hôpital. Et l’aventure ne nous fait pas peur. On fera tout ce qu’on pourra pour vous aider !

Elle cligna des yeux, surprise par mon enthousiasme, Paul se pencha vers moi et murmura :

-T’en fais un chouïa trop là, non ?

Je lui rentrai mon coude dans le bide pour le faire taire.

-Pas besoin de me vousoyer, j’ai seulement 24 ans…  Bon, pardon de me montrer aussi pressante, mais j’ai des choses à dire à Ed… (Elle hésita.) Pourriez-vous m’enregistrer avec votre smartphone et lui envoyer la vidéo ? Ou la lui montrer quand vous irez le voir… ?

Paul émit un son méprisant.

-Enregistrer une vidéo et la lui envoyer ? À l’ère de la connexion haut débit et des visioconférences ? (Elle haussa les sourcils, il grommela.) On est au 21e siècle !

-Ne fais pas attention à lui, c’est un geek invétéré.

-Et toi pas ? ricana-t-il.

Deuxième coup de coude dans ses bourrelets, Camilla dissimula un sourire amusé. Ce crétin me fout la honte !

-J’appelle Edward, fis-je.

Je sortis mon portable et appelai le journaliste. Il décrocha après quelques secondes, je passais le smartphone à son amie et collègue, qui sembla infiniment soulagée de le voir. (Cela me contraria un peu, mais bon…)

-Eddie, mon Dieu, je suis tellement contente qu’il ne te soit rien arrivé. Enfin… presque rien arrivé, rectifia-t-elle avec un soupire désolé.

Ne t’en fais pas pour moi, je suis solide. Toi, comment tu t’en sors ? Tu as un endroit où te poser ? Tu as pu manger aujourd’hui ?

-Oui-oui, tu sais que je ne mange presque rien en général, j’ai un appétit d’oiseau…

Tu as mangé aujourd’hui ? insista-t-il.

-Euh, non, avoua-t-elle.

J’ai dit à Ed de t’amener quelques snacks à grignoter en attendant mieux. S’il était un tant soit peu malin, il te les aurait déjà donnés…

Je rougis violemment, du cou jusqu’à la racine des cheveux ; elle se retint de pouffer, Paul ricana. J’ouvris immédiatement le sac à dos que j’avais emmené avec moi et lui tendis un sac en papier.

-J’ai acheté des fruits séchés et des barres de céréales, marmonnai-je, humilié.

-Merci Edmund. (Elle prit le sac et piocha dedans, fronçant les sourcils à l’intention de son collègue.) Ne sois pas méchant avec eux ! Ils sont bien gentils de me rendre service et de prendre de tels risques pour moi.

Je sais, pardon. (Il s’éclaircit la gorge tandis qu’elle mordait avec avidité dans un morceau de mangue déshydratée, visiblement affamée.) On a prévu d’autres petites choses pour toi, histoire que tu puisses me contacter en urgence et te débrouiller au mieux en attendant que la situation se tasse.

Je sortis un téléphone portable de mon sac, acheté le jour même, et un porte-monnaie avec deux cent dollars en billets de vingt dedans (une partie de mes économies personnelles en réalité). Elle prit les tout, je lui donnait également une écharpe et un pull-over.

-Merci, répéta-t-elle, c’est vrai que la nuit, il fait plutôt frais…

Camilla, où vas-tu pour envoyer tes mails ? À la Bibliothèque de Columbus n’est-ce pas ?

-Oui, acquiesça-t-elle, surprise. Comment le sais-tu ?

-J’ai réussi à tracer l’adresse IP, intervint Paul, bombant le torse.

Il faut que tu ailles dans une autre biblio si tu as besoin de wifi, poursuivit Edward. Si on a réussi à te tracer, les mecs qui te cherchent pourront probablement y parvenir aussi.

Elle hocha la tête.

-Je n’aurai pas besoin d’aller sur internet, à présent que j’ai un téléphone. (Elle réfléchit.) Quoique, il me faudra le recharger d’ici une semaine… Hum, bon, je me débrouillerai, je trouverai bien un endroit avec une prise de disponible.

-Mince, réalisai-je, j’ai laissé le chargeur chez moi !

-Je n’en ai pas besoin tout de suite, ça peut attendre. (Elle tourna l’objet entre ses doigt, l’examinant.) C’est une carte prépayée ? Il y a combien dessus ?

-Plus de vingt dollars, répondis-je.

-Super, j’en aurais pour un moment avec alors. (Elle s’adressa à Edward.) Avant qu’on aborde le sujet qui nous préoccupe tous vraiment, est-ce que je peux te demander une dernière chose ?

Tout ce que tu veux, répondit-il du tac au tac.

Le joli front de Camilla se plissa sous l’effet de l’inquiétude.

-Est-ce que tu pourrais téléphoner à mon père ? Je l’appelle chaque semaine en général et là ça fait quinze jours qu’il n’a pas eu de mes nouvelles, il doit être mort d’inquiétude… Et j’ai peur que quelqu’un ait essayé de l’approcher en prétextant me connaître, pour essayer de le faire parler…

Envoie-moi son numéro. Que veux-tu que je lui dise ?

Elle hésita un court instant.

-Il faut qu’il se tire. Il faut qu’il parte du New Hampshire. Pas besoin de se planquer, il peut rejoindre nos cousins dans le Michigan, mais il doit pas rester où il est. C’est trop proche de New York.

Paul et moi échangeâmes un regard étonné. La situation était si grave qu’elle devait dire à sa famille de mettre les voiles ? Qui avait-elle bien pu se mettre à dos ?

(Paul avait parié sur la mafia. Moi sur un lobby des armes.)

Pas de soucis, je lui transmettrai. Par contre, s’il me demande dans quoi tu t’es fourrée, je lui dis quoi ?

Elle se passa la main sur le front, l’air épuisée.

-Quelque chose qui me dépasse, visiblement. (Elle pinça les lèvres.) Tu as toujours mon carnet ?

Oui. Par contre je n’arrive pas à m’y retrouver, tu as trop de numéros, de contacts, de notes… Impossible de comprendre quoi que ce soit, tu es trop brouillon.

Elle soupira.

-Je sais, je sais…

Tu veux qu’ils sortent de la pièce ? demanda-t-il soudain. Tu ne souhaites peut-être pas discuter du boulot devant eux ?

Camilla leva les yeux sur Paul et moi, je réalisai qu’il parlait de nous. À peine ouvris-je la bouche pour protester qu’elle répondait déjà :

-Non, ils devraient entendre ce que j’ai à dire pour savoir ce qui les attend s’ils nous aident, secoua-t-elle la tête. Ils courent d’énormes risques, autant qu’ils sachent pourquoi.

Elle s’assit sur le sol et nous fit signe de l’imiter. Une fois que nous fûmes tous installés, elle se râcla la gorge et entama son récit.

-Je suivais un type qui travaille sur des placements financiers, dans une banque. J’avais reçu l’info d’un indic : apparemment ce mec était pas très clair, il détournait quelques milliers de dollars par-ci par-là si on le lui demandait. Je pensais qu’il agissait seul, mais certains de ses potes, qui travaillent pour des entreprises différentes, font pareil que lui. Et les amis de ses amis. Ils sont une bonne quinzaine à travers la ville et ce réseau s’étend peut-être aussi au reste du pays –je n’ai pas encore eu le temps d’enquêter.

Son regard passait de moi à Paul et revenait de temps à autre sur le téléphone, où on voyait le visage d’Edward. Ses yeux brillaient d’excitation, elle devait vraiment aimer son métier pour en parler avec autant de passion.

-Je le suivais presque tous les jours pour essayer de réunir plus d’éléments pour mon article et obtenir les noms de ses contacts. Enfin, je voulais surtout découvrir pour qui ils faisaient ça, parce que ça n’avait pas l’air d’être pour leur propre compte. C’est là que j’ai surpris leur réunion dans un immeuble abandonné. Je prenais des photos grâce à mon trépied quand j’ai vu qu’un des hommes avait dégainé un pistolet. J’ai sorti mon portable pour filmer en même temps, mais ils m’ont aperçue. Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie…

Elle s’arrêta là, nous étions tous suspendus à ses lèvres.

-Et ? fis-je, haletant.

-Et c’est tout, fit-elle.

-Quoi ? s’exclama Paul. Tu plaisantes ? Les types pris en photo ont flingué quelqu’un en direct ! Pourquoi ? Qui sont-ils ? Comment ça se fait qu’ils aient des contacts dans la police ?

-J’aimerais bien le savoir moi aussi, fronça-t-elle les sourcils, visiblement aussi frustrée que nous. Mais en dehors du type que je filai et de ces deux amis, dont celui qui s’est fait tuer sous mes yeux, je ne connais pas les hommes qui étaient avec eux.

Je déglutis, mal à l’aise.

-Mais alors, ça signifie que les seuls capables d’identifier ces mecs, c’est…

… la police, conclut sombrement Edward. Il va falloir attendre qu’ils aient mené leur enquête pour en savoir plus, en espérant que les preuves ne « disparaissent » pas à nouveau.

Camilla grimaça. Elle resterait une fugitive tant que ses poursuivant ne seraient pas mis derrière les barreaux.

-Génial, grommela-t-elle. Je suis vraiment pas dans le pétrin, là.

Objet : au secours – chapitre 10

Je courais dans la rue comme un dératé, mes petits poumons rachitiques de gamers mis à rude épreuve. Quand j’arrivai en vue de la maison de Paul, je vis qu’elle était encerclée par rien moins de cinq voitures de police. Je ralentis et me mis à marcher.

J’aperçus mon pote, assis sur les marches de son perron, tandis qu’un flic en uniforme l’interrogeait.

-Paul ! je l’appelai.

Il leva les yeux sur moi. Le policier me regarda d’un air méfiant, je m’approchai tout de même.

-Mince, je suis venu aussi vite que j’ai pu quand j’ai reçu ton message ! Que s’est-il passé ?

-Vous êtes Edmund ? demanda l’officier.

Ses sourcils froncés étaient particulièrement inquiétants, je déglutis, un peu intimidé.

-Euh, oui ?

-Ne partez pas sans être venu vers moi, j’aurais des questions à vous poser.

Il entra dans la maison, décrochant la radio à sa ceinture pour appeler un collègue, je haussai les sourcils.

-Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? je demandai en m’asseyant sur les marches, à côté de mon pote. Tu m’as juste dit que la police était venue chez toi et que je devais rappliquer au plus vite.

Il grimaça, puis soupira, visiblement éreinté. Il avait la tête de quelqu’un qui avait passé une sale journée.

-Je suis désolé, mais j’ai dû leur dire la vérité.

Mon sang se glaça.

-À propos de quoi ? Tu leur as tout dit ?

-Une bonne partie. Écoute, deux personnes sont venues plus tôt dans la journée, en se faisant passer pour des inspecteurs chargés de l’enquête sur la vidéo du meurtre que tu as reçue. (Je haussai les sourcils, surpris.) Ma mère et moi on y a vu que du feu, ils avaient des plaques hyper réalistes et tout ! C’était flippant, ils étaient au courant de pleins de choses ! Genre, ils savaient que c’était moi qui avait envoyé les mails avec la vidéo, les photos et tout ! (Je sentis mes entrailles se tordre.) Ils ont essayé de m’emmener au poste, mais heureusement deux flics sont arrivés et…

-D’autres faux flics ? je fis, perdu.

-Non, de vrais flics cette fois, heureusement ! Ils ont échangé leurs plaques, tout avait l’air en règle, et paf ! La lieutenante a sorti son flingue et a tiré sur le second duo !

Je me passais la langue sur les lèvres, nerveux, réfléchissant à toute allure.

-C’est terrible… vraiment terrible… ça signifie que les meurtriers sur les photos n’agissent pas seuls… il y en a d’autres encore… (Paul déglutit bruyamment.) Maintenant ils savent qu’on est impliqués et ils cherchent probablement à nous faire taire, comme Camilla.

-Arrête d’essayer de me faire flipper ! glapit-il. Je suis déjà assez traumatisé comme ça, je viens d’échapper à une tentative de kidnapping et ai manqué me faire tirer dessus ! Merci de t’en inquiéter, soit dit en passant…

-Je n’essaie pas de te faire peur, je dis d’un ton surpris. Je ne fais que dire la vérité ! (Il me jeta un regard peu amène, je poursuivis en l’ignorant.) Le psychopathe qu’on a aperçu sur Times Square nous a vu, il sait que Camilla reçoit de l’aide extérieure…

-Mais alors pourquoi ils s’en sont pris à moi et pas à toi aussi ? râla-t-il.

Je réfléchis.

-Quand tu as envoyé les mails à la police, tu es bien sûr de n’avoir laissé aucune trace de ton passage ?

-Bien sûr, répondit-il avec un petit ton vexé. Tu me connais, je suis prudent !

-Mais est-ce que quelqu’un peut avoir remonté ta piste ?

Il haussa les épaules.

-Impossible ! À moins que les méchants ne possèdent un hacker aussi talentueux que moi dans leurs rangs…

Je pinçai les lèvres, embêté. En informatique, rien n’est jamais sûr à cent pour cent. On croit que l’on a protégé son ordinateur, qu’aucun malware ou virus ne pourra nous atteindre, et bim, on se fait piquer ses données parce qu’un petit malin a été plus retord que les autres ! Il se pouvait que quelqu’un de particulièrement intelligent soit parvenu à savoir qui avait envoyé le mail et était venu s’en assurer chez Paul.

J’étais de plus en plus inquiet. Tout d’abord, la vidéo avait été volée dans les locaux de la police, ensuite un malade nous avait pisté jusqu’à Times Square un pistolet à la main pour faire taire Camilla, et maintenant des faux flics tentaient de s’en prendre à mon meilleur ami. Les gens sur lesquels la journaliste enquêtait n’étaient pas des enfants de chœur, ça on s’en était rendu compte, mais j’avais la nette impression qu’en plus ils possédaient des moyens qui feraient pâlir la mafia de jalousie.

Je me levai d’un bond.

-Il faut que j’appelle Edward pour le prévenir, je lui annonçai. Il est peut-être aussi en danger.

-Ne t’éloigne pas trop, frissonna-t-il. Je dois aller faire un portrait-robot au poste après, et les policiers veulent aussi te poser quelques questions.

J’acquiesçai et dégainai mon smartphone. Je cherchai le numéro du journaliste dans mes contacts et appuyai sur l’icône pour l’appeler.

Après trois tonalités, une voix de femme répondit.

-Bonjour, urgences de l’Hôpital Presbytérien de Manhattan. Que puis-je faire pour vous ?

Je fus pris de cours une seconde, puis me repris.

-Pardon, ce n’est pas le téléphone d’Edward… ? Euh… qui êtes-vous ?

-Si, c’est bel et bien son téléphone, mais il est encore en salle de réveil. Je suis l’infirmière qui s’occupe de lui. C’est à quel sujet ? Vous êtes de sa famille ?

-Non, un ami… Que lui est-il arrivé ? demandai-je avec angoisse.

-Il vient de subir une opération, il a reçu trois balles dans l’épaule plus tôt dans la journée… Vous vouliez lui laisser un message ?

Je me tournai vers Paul, livide. Il me lança un regard interrogateur.

 

 

Le lendemain, Paul et moi nous rendîmes à l’Hôpital Presbytérien de Manhattan avec un petit bouquet de fleurs jaunes à la main.

Un policier était posté devant la chambre, il contrôla notre identité et nous fouilla sommairement avant de nous laisser entrer. Nous nous tassâmes sous son regard inquisiteur lorsque nous entrâmes dans la chambre.

-Les garçons, merci d’être venus…

Ça nous fit un choc de voir Edward dans le lit d’hôpital, tout blême avec un tube dans le nez et une perfusion dans le bras. Ses traits semblaient aussi plus tirés – mais bon, il s’était comme qui dirait pris trois balles dans le corps…

-Heureusement que tu as prévenu le personnel soignant et la police qu’on passait, je ricanai nerveusement en posant le bouquet sur sa table de chevet. Tu es drôlement bien surveillé !

-Évidemment, soupira-t-il. Je me suis quand même fait tiré dessus juste devant la rédaction, en plein jour et à la vue de tous. Ce n’est pas anodin. (Il prit le bouquet et l’examina, semblant retrouver un peu de sa bonne humeur.) Vous m’avez amené des fleurs ? Quelle délicate attention…

-C’est ma mère qui a insisté, bougonna Paul. Quand elle a su qu’on rendait visite à un ami à l’hôpital, elle m’a obligé à acheter ça.

-Il a particulièrement aimé se balader avec dans le métro, il était rouge comme une tomate, je me moquai.

-Hum, fit le journaliste d’un air songeur. Un ami, hein ? Que ne ferait-on pas pour un ami ?

Il saisit un verre vide, y versa un peu d’eau minérale et y mit les fleurs. Paul et moi l’observâmes, un peu empruntés. Il s’était fait attaquer, quelqu’un avait cherché à le tuer. Qu’est-ce qu’on pouvait bien dire à un mec qui s’était fait tiré dessus en pleine rue ? « Ça va aller » ? En général, je n’étais pas très sociable, je ne savais pas comment parler avec les gens. Dans ce genre de situation, c’était encore plus difficile.

-Comment est-ce que tu te sens ? je demandai timidement.

-Un peu groggy… on me donne des médocs pour calmer la douleur… mais je suis content d’avoir vu le tireur. (Il se cala dans ses oreillers, son regard se fit plus sombre.) Je sortais du boulot et j’ai vu dans le reflet d’une vitre qu’un homme me visait pour me tirer dans le dos. J’ai agi instinctivement. Je me suis jeté sur le côté pour l’éviter, mais je me suis quand même mangé trois balles dans l’épaule. L’une d’elle s’est logée à quelques centimètres de ma colonne vertébrale. Un peu plus et je me retrouvais paralysé…

-Tu as reconnu la personne qui a tiré sur toi ?

Il secoua la tête en signe de dénégation.

-On a aussi eu quelques ennuis de notre côté… Il est arrivé quelque chose d’étrange hier, je dis. Paul a reçu une visite surprise de la part de faux policiers…

Il se redressa, intéressé. Nous lui racontâmes que Paul avait été obligé de dire certaines choses aux faux flics qui lui avaient rendu visite, et qu’eux-mêmes étaient déjà très au courant de ce que nous avions fait.

-… nous avons dû révéler une partie de la vérité à la police, je conclus, la vraie police. Que nous avions conservé une copie de la vidéo du meurtre, que nous l’avions renvoyée à la police et que, d’une manière ou d’une autre, nous avions reçu les photos de la part de Camilla, sur lesquelles on voit le businessman et le taré au pistolet qui tue une tierce personne.

-Vous leur avez parlé de moi ? s’enquit-il.

-Non, on a essayé de leur en dire un minimum, pour te garder hors de cette affaire. Ils nous ont dit avoir arrêté le type qu’on voit sur les photos pour l’interroger, ils ont réussi à le retrouver, mais il n’ose rien dire. Il garde le silence.

-Je l’ai aperçu dans les couloirs du commissariat, ajouta Paul. Ce type semble terrifié, il a l’air de craindre quelque chose, mais pas la police. Je me demande s’il osera dire quoi que ce soit…

Il réfléchit longuement, puis se pencha pour saisir son ordinateur portable, posé sur la table de chevet. Il grimaça à cause des sutures. Il pianota sur le clavier pendant trente secondes.

-J’ai reçu ça hier matin sur mon mail. Au départ, je ne voulais pas vous en parler, mais je crois que je n’ai pas trop le choix…

Il tourna l’écran vers nous, nous nous penchâmes pour lire :

« Edward, je n’ai presque plus d’argent, même plus de quoi m’acheter un journal, et mon portable est à plat. Je sais que c’est dangereux, mais j’ai urgemment besoin d’aide. Peux-tu me retrouver ? »

Ensuite il y avait l’adresse d’un fast-food au centre-ville et une heure de rendez-vous, mais pas de signature.

-Tu penses que c’est elle ?

-Je ne sais pas, haussa-t-il les épaules (il grimaça à cause de la douleur). Je ne connais pas l’adresse mail, ça pourrait très bien être un piège… Paul, vu que tu es un petit génie informatique, tu arriverais à la tracer ?

-Bien sûr que je peux, fit-il d’un ton vantard. (Il saisit l’ordinateur d’ Edward sans ménagement et se mit à pianoter dessus.) Je vais voir ce que je peux trouver.

-Parfait, parce que si c’est elle, il faudra que vous alliez à ce rendez-vous à ma place.

Je me figeai, Paul leva les yeux sur lui, blême.

-Quoi ? s’étouffa-t-il.

-On peut pas ! je m’exclamai.

Le journaliste eut un geste d’impuissance.

-Je ne peux pas sortir de l’hôpital avant deux semaines, j’ai besoin de vous les mecs. La police m’a cuisiné à peine j’étais sorti de la salle de réveil, ils étaient sur les dents, ils sont sûrs que je sais qui m’a tiré dessus. Camilla a besoin de moi, elle est vraiment dans la dèche, si elle a plus de cash, elle ne peut plus se nourrir, se loger ou se déplacer !

Je me passai la main sur la nuque, embêté. Paul recommença à taper sur le clavier à la vitesse de la lumière, évitant le regard d’Edward.

-Nos parents ne nous laissent plus rien faire, on a dû les supplier pendant des heures pour qu’ils nous laissent venir te voir, j’expliquai. Ils sont énervés qu’on ait menti à la police et qu’on ait gardé des copies de la vidéo…

-En plus, on était punis pour avoir séché les cours, Paul bougonna, et on a trouvé le moyen de leur cacher des trucs, ils nous en veulent à mort. Je suis sensé être un type sans histoire moi ! Et voilà que je mens comme un arracheur de dents et que je me retrouve impliqué dans une affaire criminelle !

Je levai les yeux au ciel.

-Tu en fais toujours des tonnes, quelle drama queen !

-J’ai failli me faire tirer dessus ! répliqua-t-il, courroucé.

-Ouais, mais c’est pas toi qu’étais visé !

Edward se racla la gorge, nous cessâmes de nous bagarrer comme un vieux couple. Je redescendis sur terre. Le jeune journaliste avait été blessé en sortant de son travail. On était dans sa chambre d’hôpital et on se crêpait le chignon, quel manque de tact…

Il fronçait les sourcils, perdu dans ses pensées, son inquiétude portait avant tout sur son amie, peu lui importait les disputes de mon meilleur ami et moi.

-Si je parle de ce mail et que je dis que je sais où se trouve Camilla… J’ai l’impression qu’il y a des taupes au sein de la police, je trouve très étrange que la vidéo ait disparu de tous leurs fichiers comme ça. Il me semble très improbable qu’une personne extérieure ait pu s’introduire et faire le ménage.

-Tu veux dire que Camilla serait en danger avec la police ? je réalisai.

Il opina du chef. Je n’avais pas pensé à ça… La journaliste en cavale ne peut vraiment se fier à personne, même ceux censés être là pour maintenir l’ordre sont corrompus et essaieront peut-être de la tuer.

-OK, je l’ai trouvé, annonça Paul. (Il rendit son ordinateur à Edward.) J’ai tracé l’adresse IP et j’ai réussi à déterminer d’où avait été envoyé le mail. La personne qui a envoyé l’email l’a fait depuis un ordinateur en accès public de la Bibliothèque Columbus.

-Hum… Ça pourrait être elle… Dans les bibliothèques, on peut utiliser internet gratuitement en général… (Il soupira, frustré.) Mais ce n’est pas sûr.

Je déglutis pour essayer de faire disparaître le nœud qui m’enserrait la gorge. Savoir cette pauvre Camilla, désespérée, errant dans la ville, seule et sans espoir me fendait le cœur. Cela faisait plus d’une semaine qu’elle essayait de fuir des tueurs qui cherchaient par tous les moyens à la faire disparaître, elle ne pouvait compter que sur son meilleur ami, ses revenus s’amenuisaient… Une bouffée d’angoisse me saisit. Je ne pouvais pas la laisser comme ça. Je me devais de continuer ce que nous avions commencé et l’aider.

Je me raclai la gorge.

-J’irai au rendez-vous, je leur annonçai.

Edward me lança un regard plein d’espoir, Paul me dévisagea d’un air blasé.

-Tu es complètement taré, mon pauvre vieux, lâcha-t-il d’un ton fataliste.

Je secouai la tête.

-Je me fiche de ton avis. Je veux l’aider.

-Nos parents vont nous pourrir ! s’exclama-t-il. De plus, on est en pleine semaine, ils nous laisseront jamais sortir le soir !

-Comment ça, « nous » ? je répondis d’un ton dur. J’y vais seul.

Il se figea.

-Tout… tout seul ? fit-il d’un air blessé. Sans moi ?

J’acquiesçai. Edward suivait notre conversation avec attention.

-M’as-tu jamais vu renoncer à une quête une fois que je suis lancé ? je dis d’une voix grave. Je ne renonce jamais, malgré les obstacles, malgré tous les trolls qui peuvent me tomber dessus, les pièges, les dragons ou le blocage parental.

Ses yeux manquèrent sortir de ses orbites sous le coup de la colère.

-Mec ! On est pas dans un jeu, là ! Au risque de me répéter, mais bon en même temps t’as l’air un peu sourd, les gens sont réels, les coups et les balles aussi. La preuve, conclut-il en pointant le journaliste.

-Je sais, Paul. Mais il ne m’est rien arrivé jusqu’à maintenant.

-Ça veut pas dire que ça va continuer ! Tu peux pas toujours compter sur ta chance. (Il agita un doigt menaçant sous mon nez.) En plus, dans les jeux, c’est toujours moi qui te sauve les miches ! Sans moi, t’aurais pas d’aussi bons scores !

Je plissai les yeux, vexé. L’ignorant, je me tournai vers Edward, décidé et remonté à bloc.

-Écris-lui, j’ordonnai au journaliste. Dis-lui que c’est moi qui viendrai parce que tu es blessé.

Il sourit. Paul gémit et se prit la tête, découragé.

Objet : au secours – chapitre 9

Le « businessman », ou plutôt, le cadre supérieur Mason Donovan de son vrai nom, était dans un état de nervosité inquiétant depuis une semaine. Sa secrétaire et ses collègues ne l’avaient jamais vu ainsi, ils se faisaient tous pas mal de soucis pour lui.

Il était tout pâle et ne dormait pas, ou très mal, si on en jugeait par les cernes qui se creusaient sous ses yeux. Il ne mangeait quasiment plus rien et fumait cigarette sur cigarette à longueur de journée. Il marchait la tête dans les épaules et évitait tout contact visuel quand il croisait des gens de son service dans le couloir. Il avalait des litres de café, ce qui le faisait trembler légèrement. Son teint était gris et cireux, il ne respirait franchement pas la santé…

Sa secrétaire, Janice, s’inquiétait pour lui. Mr Donovan était d’ordinaire un type plutôt suffisant et assez borné, rien ne l’intéressait en dehors de son travail, mais il avait toujours été agréable avec elle. Elle se décida à aller lui parler et essayer de comprendre d’où pouvait bien provenir son changement de comportement.

Elle versa du café dans deux tasses et se dirigea vers son bureau. Elle toqua, il sursauta.

-Hello, lui sourit-elle. Une petite pause ?

-Euh, oui, c’est pas de refus.

Il s’essuya le front de la manche et se leva de sa chaise, prenant la tasse fumante qu’elle lui tendait. Janice s’appuya au bureau de son patron, l’air de rien.

-C’est agréable, commenta-t-elle, dernièrement c’est calme…

-Hm ? Oui, c’est vrai.

-Pas de gros contrat, de deadlines à tenir dans le mois qui vient… Tout le monde est plutôt relax dans le service.

-Si vous le dites, marmonna-t-il en buvant une gorgée du café noir brûlant.

-Comment vont vos parents ? demanda-t-elle d’un ton innocent. C’était l’anniversaire de votre maman le mois dernier, n’est-ce pas ?

Mason lèva un regard vide sur elle, ne voyant pas pourquoi Janice lui parlait de sa mère. Il se massa le front du doigt.

-Euh, oui, elle a eu soixante-huit ans. Mes parents vont bien, ils sont en forme… Ils font une croisière dans les Caraïbes en ce moment…

Janice réfléchit. Son patron n’avait pas de frères et sœurs, ni aucun autre parent proche. Il n’avait pas de petite copine, ses seuls amis étaient les trois mecs et demi qu’il voyait chaque semaine à la salle de sport… Elle avait beau se creuser la tête, elle ne voyait pas trop d’où pouvaient provenir ses tracas. En tout cas, elle ne pouvait pas le faire parler sans se montrer indiscrète et, pour l’instant, il n’avait pas l’air très enclin à se livrer.

Le téléphone sonna sur le bureau de Janice, elle adressa un sourire d’excuse à Mason Donovan et s’en alla. Il l’observa pensivement décrocher le combiné et prendre note du nom de celui qui appelait. Il but une nouvelle gorgée de café et retourna à son travail, une ride se creusant profondément entre ses sourcils froncés.

Deux personnes, un homme et une femme, accompagnés par une des hôtesses d’accueil, tournèrent à l’angle du couloir et s’approchèrent. Ils discutaient à voix basse. Janice se figea en les voyant, prise d’un mauvais pressentiment ; l’hôtesse d’accueil semblait être très mal à l’aise.

Le petit groupe s’arrêta devant son bureau, elle s’accrocha au combiné en pinçant les lèvres, se préparant au pire. L’homme dévoila une plaque, le visage impénétrable.

-Police. Est-ce que Mr Donovan est ici ? fit-il.

Elle se tourna vers son patron, l’air inquiet, ce dernier lui rendit un regard de pure terreur, la culpabilité se lisant sur ses traits comme si c’était écrit noir sur blanc.

Qu’a-t-il bien pu faire pour avoir l’air aussi effrayé ? songea-t-elle, perdue.

 

 

Le jour même, à la même heure, à quelques kilomètres du bureau de Mr Donovan, on sonna à la porte de la maison de Paul. Sa mère alla ouvrir et, ne reconnaissant pas les deux personnes qui se tenaient devant sa porte, elle haussa les sourcils d’un air interrogateur :

-Oui ? Que puis-je faire pour vous ?

Ils étaient deux, un homme et une femme, habillés en civils.

-Madame Scotts ? (La maman de Paul acquiesça, interdite ; la femme exhiba une plaque.) Lieutenant Jane Cardwell, police de New York. Est-ce que votre fils est à la maison ?

-Euh… Oui. Pourquoi ?

-Nous aimerions lui poser quelques petites questions… Peut-on entrer ?

La mère de Paul s’effaça et ouvrit la porte, ils entrèrent.

-Que se passe-t-il ? s’inquiéta-t-elle. Est-ce que mon fils a fait quelque chose de mal ?

-Nous allons simplement lui poser des questions de routine, dit Cardwell d’une voix douce, se voulant rassurante. Votre fils n’a rien fait de répréhensible, ne vous inquiétez pas.

Elle acquiesça, les fit s’asseoir dans le séjour et alla chercher Paul. Il entra dans le salon une minute plus tard, blême, mais essayant de cacher sa peur panique avec un froncement de sourcils. Il s’assit à côté de sa mère, face aux deux policiers.

-Bonjour Paul, sourit Jane Cardwell, ne t’inquiète pas, nous ne sommes pas là pour te manger. (Elle recouvra son sérieux.) Mardi passé, si tu te rappelles bien, tu es venu au poste avec ton ami Edmund pour nous remettre une vidéo d’homicide, qu’il avait reçue par mail. Est-ce exact ?

-Oui, lâcha-t-il.

Enfin, de base il n’avait pas eu l’intention de donner la vidéo, et son portable avec. Mais les policiers avaient insisté pour le lui prendre et ils l’avaient paumé –amer souvenir…

-Plus tard nous avons… perdu cette vidéo. (Elle grimaça). Plus précisément, elle a été volée dans nos locaux. Mais, quelques jours plus tard, un mail anonyme nous est parvenu avec une copie de la vidéo. Nous avons essayé de tracer le mail, l’adresse IP… Rien à faire, nous n’avons rien pu trouver sur celui ou celle qui nous a envoyé la vidéo.

Son collègue restait silencieux, imperturbable, ne semblant pas vouloir prendre part à la conversation. Paul se mit à suer à grosses gouttes. Foutu Ed, songea-t-il. À cause de cet abruti, je vais avoir des ennuis avec la police, ils savent que j’ai gardé une copie de la vidéo sans le leur dire ! Merde !

-Mais en dehors de la personne qui a tourné cette vidéo, des policiers chargés de l’enquête, de toi et d’Edmund, personne ne savait pour le meurtre. (La policière fixa Paul avec intensité.) Tu vois où je veux en venir ?

Il déglutit. Sa mère lui jeta un coup d’œil anxieux.

-Je… Je ne… Je ne crois pas…

-Paul, nous ne sommes pas ici pour te créer des problèmes, fit-elle d’une voix aussi douce que le miel. Nous cherchons à avoir tous les éléments en main pour pouvoir mener une enquête. Une enquête pour meurtre. (Elle le regarda droit dans les yeux, l’air consterné.) Quelqu’un a eu le courage de filmer la mort d’une personne afin de le signaler à la police. Ce quelqu’un est peut-être en danger à présent. Notre unique préoccupation est d’élucider un crime et de mettre derrière les barreaux celui qui l’a perpétré. Que tu aies gardé cette vidéo –peu importe la raison d’ailleurs – n’est pas important… tu ne penses pas ?

Paul hésita, puis hocha la tête.

-Bien. À présent il y a un deuxième détail qui mérite d’être éclairci. (Elle se passa la main dans les cheveux, qu’elle avait mi-longs et bruns.) Hier matin, nous avons reçu un second mail anonyme. Il contenait un fichier compressé, dans lequel il y avait des photos prises exactement au même endroit où la vidéo du meurtre a été filmée. Rebelote, on essaie de découvrir de qui il s’agit et on fait chou blanc : compte créé une heure avant et supprimé immédiatement après l’envoi du mail, adresse intraçable, bref, on s’est heurté à un mur. Sauf que…

-Sauf que ? répéta Paul, sur le fil du rasoir.

Il se mit à transpirer de plus en plus. Elle savait. La police savait tout. J’ai commis une erreur et ils sont remontés jusqu’à moi. Je vais finir en prison ! (Il ne me reste plus qu’à m’habituer à la couleur orange…) Sa mère était de plus en plus inquiète, mais n’osa pas intervenir, trop intimidée par la lieutenante et son collègue.

-Nous avons réalisé que ce second mail a été envoyé exactement à la même heure que le premier. (Ses yeux perçants le fixèrent intensément.) Est-ce que c’est toi qui l’a envoyé également ?

Paul baissa les yeux sur la table basse du salon. S’il parlait d’Edward le journaliste ou de Camilla, du fait qu’ils l’avaient vue sur Times Square, les flics allaient vraiment le tailler en pièces. Ed et lui avaient dissimulé des informations importantes, ils avaient agi en solo… Il réalisa soudain que sa bouche était anormalement sèche.

-Paul, mon chéri, fit sa mère, il faut que tu dises la vérité aux policiers.

Il dut faire appel à tout son courage pour secouer la tête.

-N… non, je… je ne peux pas…

-Paul, la lieutenante Cardwell dit d’une voix sirupeuse, si tu ne nous donnes pas tous les détails, si tu ne nous avoues pas tout ce que tu sais, la personne qui a pris ces clichés aura fait tout cela pour rien. Elle est peut-être en danger en ce moment même. Alors soit tu coopères avec nous en tant que témoin… (Son ton devînt un peu plus dur.)… soit je t’emmène au poste de force.

Il leva les yeux sur elle, il sentait une fine pellicule de transpiration se former au-dessus de sa lèvre. Elle ne le lâchait pas du regard. Il céda sous la pression.

-Oui, le second mail venait de moi, marmonna-t-il, baissant les yeux à nouveau.

Le coéquipier de Cardwell ne cilla pas. Elle recouvra son expression chaleureuse et son visage se fendit d’un sourire.

-Je comprends que c’est difficile, Paul, mais ne t’en fais pas. Toute cette histoire sera bientôt terminée. C’est beaucoup de pression pour tes épaules… Viens, on va prendre ta déposition au poste de police, d’accord ?

Il acquiesça à contrecœur. Ils se levèrent et se dirigèrent vers la sortie. La mort dans l’âme à l’idée de passer à nouveau des heures chez les flics pour un témoignage, il les suivit en traînant les pieds.

-Je vous accompagne, fit la maman de Paul en attrapant son sac.

-C’est inutile, sourit gentiment la policière. Nous allons juste lui faire retranscrire son témoignage par écrit, et nous vous le ramènerons en voiture de patrouille dans deux heures, maximum.

Madame Scotts hésita devant la prévenance dont faisait preuve Jane Cardwell, mais son instinct de mère protectrice prit le dessus –heureusement.

-Je préfère venir avec vous, je… enfin, mon fils est encore mineur, vous voyez…

Un muscle tressaillit au coin de la mâchoire de la représentante des forces de l’ordre, mais elle se reprit immédiatement.

-Bien sûr, je comprends tout à fait. Venez avec nous, notre voiture se trouve plus haut dans la rue.

Ils sortirent tous les quatre, Madame Scotts verrouilla la porte.

-Bonjour, fit une voix dans leur dos.

Ils se retournèrent vers deux personnes habillées en civils, qui avançaient vers eux. L’un d’eux exhiba une plaque de la police de New York. Paul cligna des yeux. Comment ? Deux visites de flics dans la même journée ?

-Police. Nous sommes les lieutenants Hawkins et Kehlar. Nous aurions quelques questions à vous poser…

-Encore ? s’étonna Paul.

Cardwell s’interposa entre lui et les deux nouveaux policiers, sourcils froncés.

-Lieutenant Hawkins… Mon coéquipier et moi-même sommes déjà en train de mener l’enquête sur le meurtre du Bronx…

Il fronça à son tour les sourcils.

-Comment ? C’est impossible. À quel commissariat appartenez-vous ?

-Et vous-même ? répliqua-t-elle d’une voix méfiante.

Ils échangèrent leurs plaques, mais cela sembla ajouter de la confusion à l’histoire. La maman de Paul restait en retrait, attendant que les policiers aient fini de discuter, mais lui-même se tenait sur ses gardes. C’était bizarre… Pourquoi donc ces quatre-là étaient sur la même affaire ? Les flics de New York n’étaient pas désorganisés à ce point généralement.

-C’est à n’y rien comprendre, grommela Kehlar.

-Oui, fit Cardwell, l’air troublé, vos papiers sont en règle… (Elle récupéra sa plaque et rendit la sienne au lieutenant Hawkins.) Laissez-moi juste passer un coup de fil à mon chef. Ça éclaircira ce mystère, je pense…

Elle s’éloigna de quelques pas et tourna le dos au groupe, sortant un portable de sa poche. Son collègue la rejoignit…

… et Jane Cardwell fit volte-face, pointant une arme sur Hawkins. Elle tira, Madame Scotts poussa un cri perçant, choquée.

Hawkins fut touché à l’épaule, il lâcha un cri de surprise et de douleur mêlées.

Paul se jeta au sol à même le trottoir. Kehlar sortit son arme et répliqua, se jetant sur le côté pour se mettre à couvert.

Tout s’était passé très vite, Jane et son collègue filaient déjà, ayant profité de la panique pour se tirer.

Ils disparurent au coin de la maison.

-Officier à terre, je répète, officier à terre, fit Kehlar dans son portable. Hawkins a pris une balle dans l’épaule, il me faut une ambulance et des renforts immédiatement !

Putain, mais qu’est-ce qui vient de se passer ?!? songea Paul, complètement paumé.

Objet : au secours – chapitre 8

Dans notre quartier général (l’appartement d’Edward) c’était règlement de compte sur règlement de compte.

Tout d’abord, il nous avait enguirlandés pour avoir créé la panique sur Times Square, parce que lui n’avait absolument pas vu l’homme au pistolet. Paul et moi avions dû lui expliquer que nous ne jouions pas aux marioles, mais que quelqu’un était véritablement en train de suivre son amie, une arme à la main.

-Ce n’est pas possible… Comment ceux qui en ont après elle ont pu savoir qu’elle serait à cet endroit-là, à ce moment précis ? s’inquiéta-t-il.

-Est-ce qu’ils savaient que nous allions la voir, que nous sommes au courant de tout ? je suggérai. Ils nous ont peut-être suivis.

Paul m’attrapa soudain le bras, devenant encore plus pâle que son teint blafard de gamer le lui permettait.

-Mec… Tu as reçu un message, non ?

-Quoi ? je fis.

-Quand on était sur Times Square, tu as reçu un message disant que quelqu’un s’était connecté depuis un ordinateur inconnu.

Je jurai.

-Mais oui ! On a pensé que Camilla s’était connectée pour vérifier l’heure du rendez-vous !

-En réalité c’était peut-être une autre personne qui a accédé à la conversation ! lâcha-t-il.

Il se jeta sur son sac à dos et en sortit son ordinateur portable (qu’il emmenait toujours partout avec lui, au cas où).

-Les gens qui ont saccagé son appartement ont pu lire les messages que vous lui avez envoyés !? s’exclama Edward, catastrophé. On leur a servi Camilla sur un plateau d’argent !

-On aurait dû effacer la conversation sur le chat, je gémis. On a été beaucoup trop confiants sur le coup.

Paul leva la main pour nous faire taire.

-Ouais. On aurait dû. Mais on aurait aussi dû prendre plus de précautions avec le site web que j’ai créé. Et avec le lien menant au chat. (Nous le dévisageâmes, ne comprenant pas ; il se passa la main sur le visage.) Quelqu’un a réussi à craquer le code. Ou plutôt, le connaissait. Il y a deux connexions sur le site : la première vient de Camilla, faite hier. La deuxième, d’origine inconnue, a été faite peu avant midi. Mon site n’a subi aucune attaque, la personne a rentré le bon identifiant et le bon code.

Je me mordis la lèvre.

-On aurait pu anticiper en supprimant la conversation… parce qu’en plus Camilla nous a dit dans ses messages que sa boîte mail avait été vidée… ce qui signifie que ces gens connaissaient déjà son code. Ils n’ont eu qu’à le taper dans le site que tu as créé pour accéder au chat. Comme elle l’a fait hier.

Nous restâmes silencieux, inquiets. Mon pote essuya la sueur qui perlait sur son front, la main légèrement tremblante. Soudain, Edward se racla la gorge.

-Les gars, vous êtes déjà trop impliqués, je ne devrais pas vous laisser continuer. Vous êtes trop jeunes, à peine des ados ! Même moi, cette histoire me dépasse, alors s’il vous arrive quoi que ce soit…

-J’admets qu’entre la maison saccagée et le type au flingue, je me sens un chouïa refroidi, admit Paul.

-Il ne nous est rien arrivé ! Je m’emportai. Écoute, je comprends vos craintes, vraiment. Mais bientôt, ces psychopathes ne pourront plus rien contre elle, ni contre nous. Si cette pochette contient des preuves du meurtre et qu’on les remet à la police, cette affaire va faire beaucoup de bruit. (Ils m’écoutaient attentivement, je poursuivis.) Le but de ces personnes est de faire taire la vérité et cacher ce meurtre à tout prix. Plus il y aura de gens au courant, mieux ce sera. La situation va vraiment leur échapper, ils paniqueront et il y aura plus de chances qu’ils commettent des erreurs.

Edward hésita. Il hésita pendant une bonne minute, me fixant droit dans les yeux pour juger si oui ou non il pouvait nous laisser aller plus loin. La détermination qu’il lut dans mon regard dut le convaincre, parce qu’il soupira et céda.

-D’accord Ed, lâcha-t-il à contrecœur. On regarde ça ensemble. Par contre, en fonction de ce qu’on va découvrir, si c’est trop dangereux, vous êtes hors-jeu. Compris ?

-Oui ! je fis d’un ton peut-être un peu trop enthousiaste.

Il me lança un coup d’œil exaspéré. Puis, il ouvrit délicatement la pochette. Il en sortit un carnet rouge et une carte SD.

-Est-ce que c’est… ? commença Paul.

-Les photos qu’elle a prises lors du meurtre ? je hasardai. Probablement.

Edward releva la tête, inquiet. Lorsque Camilla avait filmé la scène, elle prenait des photos en même temps. Il y avait des chances que ces clichés soient suffisamment nets pour qu’on puisse enfin identifier le tireur de la vidéo, et la victime également.

N’attendant pas plus longtemps, Edward alla jusqu’à son bureau pour allumer son ordinateur et insérer la carte dans un petit boîtier prévu à cet effet. Penchés par-dessus son épaule, mon meilleur ami et moi ne loupions pas un de ses gestes.

Il cliqua sur la mémoire de la carte. La première série de photos montrait un illustre inconnu en costard (un businessman sûrement). On le voit marcher dans la rue, discuter dans un restaurant chic et fumer des cigarettes à la sortie du bureau. Ça continua ainsi pendant un moment, les clichés ayant probablement été pris pendant plusieurs jours d’affilée, puis lui succédèrent des photographies d’un bâtiment à moitié abandonné.

-C’est là, je dis. Dans la vidéo du meurtre, on voyait cet immeuble-là.

Edward acquiesça. Il continua à faire défiler les clichés, cliquant inlassablement sur la petite flèche à l’écran. Le focus se fit sur une fenêtre, donnant sur un appartement vide, apparemment en rénovation (on pouvait voir des bâches au sol et des pots de peinture un peu partout dans la pièce). Il y avait un groupe d’hommes réunis en cercle, ils étaient six. Parmi eux il y avait le taré en costard bleu foncé qu’on avait vu sur Times Square, et le businessman qui figurait sur les premières photos.

Le psychopathe de Times Square restait là, les bras croisés, il semblait surveiller les autres participants. Ils étaient apparemment trois contre trois, lui d’un côté avec deux hommes tout aussi flippants que lui ; et le businessman face à eux, deux autres types en costume à ses côtés.

Ils se disputaient tous, bien qu’on remarque même sur les photos que le gang du taré au flingue avait l’avantage. Ils se montraient clairement menaçants, les autres se tenaient un peu voûtés et avaient l’air plus effrayés qu’en colère.

Soudain le psychopathe en bleu tira un pistolet muni d’un silencieux de sa poche. Il obligea un des comparses du businessman à se mettre à genoux et était apparemment en train de lui hurler dessus. Ses gorilles essayèrent de le retenir, mais il avait l’air tellement en colère qu’il en devenait sûrement hors de contrôle. Il tira sur le pauvre type à genou.

Il tomba à terre, mort. Les gorilles se mirent à paniquer. Le businessman et son seul pote restant étaient bien trop flippés pour tenter quoi que ce soit. Horrifiés, debout les bras ballants, ils étaient apparemment incapables de réagir. Un des gorilles jeta un coup d’œil vers la fenêtre et fixa l’objectif. Il venait d’apercevoir Camilla en train de les immortaliser sur sa carte mémoire. Il la pointa du doigt en ouvrant grand la bouche, hurlant probablement, tandis que le psychopathe au pistolet se ruait vers la porte.

C’était la dernière photo.

Nous restâmes silencieux quelques secondes.

-Il faut qu’on balance tout ça à la police, je soufflai finalement.

-Oui, acquiesça Edward. Si ça c’est pas des preuves… (Il déglutit.) Mais je ne peux pas leur donner ça comme ça. Ils sauront que j’ai vu Camilla, ou que je suis entrée en contact avec elle d’une manière ou d’une autre. Et je risque d’avoir des ennuis.

-On pourrait utiliser la fausse adresse que j’avais créée pour envoyer la vidéo du meurtre à la police, après qu’ils se soient fait voler la vidéo, proposa Paul.

-Bon plan, approuva le journaliste.

Il prit alors le petit carnet rouge et l’ouvrit. Il le parcourut des yeux. Il était à moitié plein, les pages étaient griffonnées de notes manuscrites, de noms, d’emails et de numéros de téléphone. Il le referma d’un geste sec.

-Qu’est-ce que c’est ? je demandai, curieux.

-Ce sont tous les contacts de Camilla, ainsi que ses notes sur ses enquêtes en cours.

Je sursautai.

-Alors, les noms des types qui cherchent à la tuer sont peut-être dedans ! Ou en tout cas l’identité du mec en costard qu’on voyait sur les premières photos !

Il ne m’écoutait que d’une oreille. Il était en train de réfléchir.

-Il y a des chances, oui.

-Tu ne nous montres pas qui c’est?

-Non, m’interrompit-il.

Je me figeai, surpris. Paul haussa les sourcils.

-Pourquoi pas ? s’étonna ce dernier. Enfin, pas que j’ai vraiment envie de me retrouver mêlé à cette affaire, soyons honnêtes… (Je le fusillai du regard, il m’ignora.) Mais pourquoi nous écarter maintenant ?

-Parce que je me souviens sur quoi elle bossait. Et c’est un sujet beaucoup trop sensible pour que vous soyez mis dans la confidence.

Cette fois j’eus beau insister pendant de longues minutes, il ne céda pas. Il ne voulut rien entendre.

-Allez les gars. Rentrez chez vous. Pour vous l’aventure s’arrête là.

Je rechignai. Nous ne pouvions pas le savoir à ce moment-là, mais il se trompait sur toute la ligne…

Objet : au secours – chapitre 7

Je piaffai, stressé.

-Ed, fit Paul d’un ton plat. Calme-toi. Tu vas attirer l’attention sur nous.

J’étais effectivement un peu sous tension, j’étais en train de taper du pied avec angoisse. Je me mis à ronger mes ongles.

-Tu penses qu’elle va venir ? je demandai.

-Bah oui : c’est elle qui a fixé le rendez-vous.

Ce bon vieux Paul, toujours aussi pragmatique. Je scrutai la foule, essayant de repérer d’où pouvait venir Camilla Dietrich. Il était bientôt midi, l’heure du rendez-vous approchait. J’avais harcelé Edward pendant des heures jusqu’à ce qu’il accepte que je l’accompagne, et il avait fini par céder. Paul et moi avions obtenu sa permission pour venir avec lui, mais devions nous tenir éloignés pour qu’elle ne nous voie pas. (Vu qu’elle était prise en chasse par des potentiels meurtriers, elle risquait de prendre peur et de faire demi-tour en apercevant deux inconnus, ce qui serait un peu contre-productif…) Et nous avions interdiction d’intervenir.

Edward était à une trentaine de mètres de nous. Il semblait détendu, mains dans les poches, et il faisait des allers-retours sur le trottoir. Il jetait souvent des coups d’œil vifs à la foule pour essayer de repérer son amie. Il y avait énormément de monde, des touristes principalement, mais aussi des citadins qui traversaient Times Square d’un pas rapide pour aller se chercher à manger pendant leur pause de midi.

-Comment Camilla va-t-elle faire pour le retrouver dans cette foule ? s’interrogea Paul.

-Il paraît qu’ils avaient pour habitude d’aller s’acheter des M & M’s ensembles quand ils finissaient d’écrire un article particulièrement difficile –jusqu’à ce que Camilla devienne végan et arrête de manger du chocolat au lait. Du coup Edward a pensé qu’elle viendrait probablement aux alentours de la boutique…

Il hocha la tête. Je sentis mon natel vibrer, je le sortis de ma poche, intrigué.

-Qu’est-ce qu’il y a ? m’interrogea Paul.

-C’est bizarre, je fronçai les sourcils. Le site sur lequel on a chatté avec Camilla…

-Ouais ?

-Ils viennent de m’envoyer un mail pour me signaler que quelqu’un s’est connecté sur un ordinateur inconnu…

-Bah oui, c’était Camilla, hier, dit-il d’un ton indifférent.

-Non, j’ai reçu un mail identique hier, cinq minutes après qu’elle se soit connectée, mais là le site me signale que quelqu’un s’est à nouveau connecté.

-C’est peut-être elle. Elle voulait probablement relire la conversation, ou vérifier qu’on ne lui avait pas envoyé un autre message entre-temps.

-Possible…

Un sentiment de malaise m’étreignit. J’avais un mauvais pressentiment.

S’il s’agissait d’une des personnes qui pourchassait la journaliste, il pourrait savoir l’heure et le lieu du rendez-vous. Même si Times Square est une grande place et qu’il y a toujours du monde, le pourcentage de probabilité qu’il la trouve venait d’augmenter.

Les minutes défilèrent. Après un temps qui me sembla infini, soudain, elle apparut. J’en eus le souffle coupé. Enfin, je la voyais en vrai. Elle portait un sweat shirt à capuche noir, un jean troué et de grosses chaussures de chantier. Elle marchait vite à travers la foule, regardant autour d’elle d’un air inquiet. Elle semblait toute menue, toute fine et fragile. Elle ne ressemblait pas à ces filles de manga ou d’anime, qui ont de grands yeux et qui sont parfaites. Elle avait la peau très pâle, des cernes et des habits froissés, mais je n’avais jamais eu le cœur qui battait aussi fort en voyant une femme.

Je l’observai, troublé, elle avisa soudain Edward, et se dirigea vers lui. Tout en attirant son attention en lui faisant un signe de la main, elle ouvrit son sac imprimé militaire pour en sortir une pochette en tissu.

-Ed. Ed, merde, regarde le mec derrière elle ! s’exclama Paul.

Je m’arrachai à la contemplation de la jeune journaliste à regret, alarmé par l’urgence dans la voix de mon meilleur ami. Je suivis des yeux la direction qu’il m’indiquait et mon sang se glaça d’un coup.

Un grand type au visage en lame de couteau la suivait, à huit mètres derrière elle. Il portait un costard bleu foncé presque noir, il avait les cheveux coupés courts comme les militaires et il avait une démarche vive. Il gardait les yeux rivés sur Camilla comme sur une cible, sans ciller, et était également en train de sortir discrètement un pistolet de sa poche.

-Merde ! je jurai. Il va pas l’abattre en pleine rue quand même ?!

-Et elle ne l’a pas vu !

Quels étaient ces tarés ? Capables de tuer un homme à bout portant, d’infiltrer les locaux de la police pour leur voler des données et de se balader sur Times Square un flingue à la main ? Bien sûr qu’ils n’hésiteraient pas une seconde à tuer une femme de jour, au milieu d’une foule ! Ils semblaient capables de tout !

J’eus une bouffée d’angoisse ; cette pauvre Camilla n’allait tout de même pas finir de la sorte ! Il fallait que j’intervienne –mais nous étions trop loin pour nous interposer (ce qui aurait été un peu suicidaire d’ailleurs).

Je fis alors la seule chose à faire quand on voit un psychopathe armé poursuivre quelqu’un dans une foule en essayant de rester discret.

-UN PISTOLET ! je hurlai en pointant le type du doigt. CET HOMME A UNE ARME !

Celui-ci se tourna immédiatement vers moi, Camilla fit volte-face et l’aperçut enfin. Il rangea son pistolet sous le pan de sa veste, son regard me transperçant et j’y lus de la haine pure. Mais trop tard. Une dame venait de le voir.

-APPELEZ LA POLICE ! je continuai à crier le plus fort possible, mettant un coup de coude à Paul pour qu’il fasse pareil.

-Oh mon Dieu, euh, UNE ARME, CIEL !

Camilla se mit à courir. Avant de disparaître, elle lança la pochette en tissu qu’elle tenait en direction d’Edward, qui l’attrapa au vol et fila immédiatement dans la direction inverse. Leur mouvement entraîna celui de plusieurs personnes, qui se mirent à fuir. Il y eut des cris, de la panique, l’homme à l’arme sembla furieux, il s’élança en direction de Camilla, je les perdis de vue.

Paul et moi partîmes en quatrième vitesse pour ne pas traîner dans les parages et nous faire bêtement piétiner par la foule. Nous fîmes un détour pour éviter des policiers qui se précipitaient vers la place et une fois à quelques rues de distances de Times Square, nous nous engouffrâmes dans le métro.

-Hé ben ça alors… Elle a dû fâcher quelqu’un de particulièrement hargneux cette fille !

Paul hocha la tête, aussi secoué que moi.