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Under la cathé déménage !

Under la cathé déménage sur WattPad et change de nom ! Cette série s’appelle désormais  « Du sang frais dans le caveau ». Les chapitres ont été revus et corrigés, ils seront publiés tous les mois.

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Bonne semaine à vous^^

Pour lire Du sang frais dans le caveau, suivre le lien ci-dessous :

https://www.wattpad.com/story/206525846-du-sang-frais-dans-le-caveau

 

Under la cathé 8

Grâce à ma bonne nuit de sommeil, mon humeur s’améliora. Mais je faisais toujours des rêves étranges et confus, où les sons m’agressaient et les ombres se mélangeaient en une masse indistincte. C’était très étrange.

 

Je restais fidèle à moi-même, allant au gymnase, m’occupant d’Armelin, faisant mes devoirs, mes rapports avec ma famille s’étaient un peu détendus et mon quotidien était aussi normal qu’il avait pu l’être jusqu’à maintenant.

Enfin, jusqu’à aujourd’hui…

 

Je m’étais réveillé d’humeur neutre ce matin, mais soudainement, à midi, elle changea d’un coup. Le soleil passant par la fenêtre se mit à m’agresser les yeux et je le sentais presque me transpercer la peau pour atteindre mes os. Je changeai de place pour être à l’ombre, mais je n’arrivai pas à calmer ma colère, à fleur de peau et énervé. Je n’avais pas envie de voir qui que ce soit et voulais tuer tout le monde.

 

Malheureusement, j’avais encore trois cours et n’étais pas le genre de gars à sécher sans avoir une bonne raison. Je tentai de me raisonner et me calmer pour supporter mon après-midi en classe avec mes camarades, mais rien n’y fit. Plus le temps passait, plus mon agacement croissait. Le bruit du stylo que Maxence faisait tourner dans sa main m’insupportait, les faux ongles d’Alex sur le bois de la table me donnait envie de les lui arracher un à un et les commentaires chuchotés à mi-voix dans mon dos à propos du cours m’arrachaient des soupires exaspérés. Ne se rendaient-ils pas compte qu’ils étaient bruyants ? Fatigants ? Invivables ? Les minutes défilaient, mes pensées s’obscurcissaient à m’en faire peur. Je m’imaginai foutre le feu à la classe, briser des nuques et balancer mon bureau par terre. Même mon voisin de table le sentait –il me jetait des regards en coin, franchement mal à l’aise.

 

Le poing serré à m’en faire péter les jointures, je levai la main droite, le visage dur.

 

-Madame ? fis-je, tendu comme un arc. Est-ce que je peux aller aux toilettes ?

 

La prof d’histoire me lança un regard inquisiteur par-dessus ses lunettes d’intello.

 

-C’est bientôt la pause… Vous ne pouvez pas vous retenir d’ici là ?

 

Il y eut quelques ricanements de circonstance qui me donnèrent envie d’envoyer mon cahier voler à travers la pièce. Je fis non de la tête d’un mouvement sec, elle soupira.

 

-Eh bien allez-y, lâcha-t-elle d’un petit ton fataliste.

 

Je me levai et sortis d’un pas martial. Une fois la porte refermée derrière moi, je me mis à marteler le sol. J’étais furieux contre la prof, furieux contre les élèves, la terre entière et moi-même de ne pas avoir un meilleur self-contrôle. J’avais l’impression d’avoir toujours été en rage et que la violence que je sentais en moi ne faiblirait jamais. Je voulais boxer les murs, j’en avais marre de traverser toujours le même couloir encore et encore depuis le début de l’année. Qu’est-ce qui m’arrivait ?

 

La porte des wc heurta le carrelage et le son que la poignée en métal produisit contre les catelles me procura une satisfaction morbide. Si je ne m’étais pas dominé, j’aurais fait volte-face et aurais saisi le battant pour le renvoyer dans le mur. Comme ça. Juste pour le plaisir.

 

J’ouvris le robinet d’eau et en recueillis au creux de mes mains pour m’asperger le visage, un peu de fraîcheur me fit du bien. Je restai là, immobile, à fixer le lavabo pendant cinq minutes. Mon énervement ne s’en allait pas, il ne faiblissait pas d’un iota. Je tentai de respirer profondément, de me détendre, rien n’y fit. Impossible de me débarrasser de ces pulsions de rage, de ce besoin de me défouler sur quelque chose ou quelqu’un.

La sonnerie retentit, je soupirai. Je reculai d’un pas. Autant partir, des mecs allaient sûrement se pointer et je n’aurai plus la paix.

 

En revenant en classe, je constatai qu’un gars s’était assis sur ma table pour discuter avec une fille. Je fronçai les sourcils – je trouvais cela inacceptable.

 

-Tom, dis-je en interrompant leur conversation, tu es sur ma table. Tu pourrais bouger ?

 

Il me jeta un regard surpris (je n’adresse généralement pas la parole à mes camarades), mais ne bougea pas.

 

-Ça va, je te dérange pas, là. T’as qu’à t’asseoir sur ta chaise Cam.

 

Et il se tourna vers Lily, s’imaginant que l’incident était clos.

 

-Si, insistai-je, ce qui n’était pas du tout dans mes habitudes. Tu me déranges. Dégage.

 

Il fronça les sourcils.

 

-Oh ça va, calme-t…

 

Je le saisis à la gorge, il ne finit jamais sa phrase.

 

Lily cria, je l’ignorai. Tom n’osa pas bouger, j’avais planté mes doigts dans son cou pour l’agripper et le moindre de ses mouvements aurait pu arracher sa peau. Ma main formait une serre, je savais que je lui faisais mal, mais cette pensée était accessoire, secondaire. Tout ce qui comptait pour moi était qu’il m’obéisse. Qu’il comprenne que je lui étais supérieur, que sa misérable existence de mortel ne tenait qu’à mon caprice.

 

Il attrapa mes poignets pour me faire lâcher prise, je clignai des paupières. Qu’est-ce qui me prenait ? D’où me venaient ces pensées ?

 

Je le libérai de suite, interdit. Tom était furieux.

 

-T’es taré ! s’énerva-t-il. Putain, tu m’as fait mal !

 

-Désolé, murmurai-je d’une voix blanche. Je ne suis pas… dans un bon jour.

 

-Espèce de malade mental ! cracha-t-il en s’en allant.

 

Lily passa à côté de moi en me jetant un regard accusateur, je m’assis précipitamment. Je mis ma tête dans mes mains, n’y comprenant rien.

 

Heureusement que la prof était sortie pour prendre un café et qu’elle n’avait pas assisté à la scène.

 

 

À son réveil, Armelin me parut agité. Il nous salua du bout des lèvres, l’air renfrogné. Ma sœur (qui m’avait accompagné ce soir-là) ne se rendit compte de rien, mais je pouvais sentir l’irritation de notre ancêtre. Elle était presque palpable.

 

Cela me troubla plus que je ne saurais l’expliquer. Armelin était toujours d’une humeur neutre, il restait impassible en toutes circonstances, j’avais pu le constater par moi-même lorsqu’il avait tué trois hommes sans ciller. Qu’il puisse ressentir des émotions, et qu’en plus il soit dans le même état d’énervement dans lequel j’avais été toute la journée, me déstabilisait.

 

-J’ai fini, annonça-t-il en revenant après seulement deux heures. Il y en a trois ce coup-ci.

 

Mon aînée écarquilla les yeux. C’était la première fois qu’il en ramenait autant dans un laps de temps aussi court. Je me levai, observant le vampire en silence. Se pourrait-il qu’il se soit défoulé en tuant des gens pour évacuer sa colère ?

 

-Comment vas-tu aujourd’hui Armelin ? lui demandai-je d’un ton badin, guettant sa réaction.

 

Je vis son dos se crisper. Il se tourna vivement vers nous, ne retenant pas sa vitesse surnaturelle comme il avait l’habitude de le faire pour ne pas nous surprendre. Ma sœur eut un mouvement de recul.

 

-Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? cracha-t-il.

 

-Je posais juste la question…

 

-Occupe-toi plutôt des cadavres, me coupa-t-il, excédé. Tu es là pour ça.

 

Il sortit d’un pas rageur, nous plantant là. J’étais pensif : c’était la première fois qu’il s’emportait ainsi contre moi.

 

-Depuis quand est-ce que tu essaies de taper la discuss’ avec lui ? chuchota furieusement mon aînée.

 

Je ne répondis pas, haussant juste les épaules. Elle leva les yeux au ciel.

Under la cathé 7

-À qui le tour ce soir?

 

Je relevai la tête de mon vocabulaire d’allemand et surpris six regards remplis d’espoir posés sur moi. Je fronçai les sourcils.

 

-Quoi ? lâchai-je.

 

-Ben, commença ma sœur, perso je m’étais dit, vu que t’as pas de projets…

 

-Parce que vous en avez ? m’étonnai-je.

 

– Ta mère et moi avons prévu d’aller au cinéma, s’empressa de dire mon père. On a réservé les tickets sur internet.

 

Il aurait dit « pas moi !», que l’effet aurait été le même. Ma mère hocha la tête avec véhémence pour l’appuyer.

 

– Et moi j’ai des révisions pour l’uni, lâcha ma sœur.

 

-J’ai l’air de jouer à la Xbox ? m’agaçai-je en agitant mon livre de voc.

 

-Oui, mais j’ai loupé un cours et j’ai une tonne de lectures à rattraper.

 

Encore l’éternel conflit entre aîné et cadet. Peu importe la quantité de devoirs que j’avais à l’école, les siens étaient plus importants puisqu’elle était au gymnase. À présent que j’étais au gymnase, j’aurais pu espérer que mon travail égalerait plus ou au moins le sien -mais non. Apparemment l’université c’était bien plus énorme que mes misérables dissertations et autres TP de physique…

 

Je soupirai. Il ne restait plus que mon petit frère, mes grands-parents et ma pomme. Autrement dit, j’allais devoir m’y coller : mon cadet ne voyait Armelin qu’en présence de papa (parce qu’il était trop jeune pour sortir seul tard le soir) et quel petit-fils étais-je pour faire crapahuter deux soixantenaires dehors, par une froide nuit d’automne ?

 

-OK je m’en charge.

 

Leur soulagement fut presque tangible. Je me retins de lever les yeux au ciel, on aurait dit qu’ils avaient tous comploté pour me refiler la patate chaude. J’en eus vraiment marre cette fois-ci. J’étais fatigué, vermoulu et je n’avais vraiment aucune envie de passer toute la nuit dans les sous-sols de la cathé, assis sur une pierre glacée et poussiéreuse en attendant que mon ancêtre revienne les bras chargés de cadavres. C’était la première fois que cette tâche me paraissait vraiment être une corvée.

 

Je me levai et sortis sans les saluer.

 

Je montai dans ma chambre et vidai mon sac d’école sur mon lit. J’y mis ma lampe de poche, une bouteille d’eau et mon porte-monnaie puis ajoutai quelques chaufferettes et des gants au cas où il ferait plus froid que d’habitude. Je m’emmitouflai dans une grosse écharpe, mis un manteau et un bonnet et sortis en moins de temps qu’il ne faut pour dire “vampire “.

 

Je devais prendre deux bus pour rejoindre la cathédrale depuis chez moi. Dire que les autres jeunes de mon âge s’éclataient en ce moment même dans des boîtes où ils n’avaient pas le droit d’aller et moi je n’avais rien d’autre à faire un vendredi soir que de m’occuper d’un vieux parent au sang froid. Quelle barbe.

 

Je fermai les paupières et m’obligeai à arrêter de râler. Passer du temps avec Armelin était agréable, je lui avais toujours rendu service avec plaisir…

 

Le trajet se déroula dans le calme ; à part un fêtard et deux de ses potes qui me proposèrent de la vodka-Redbull tandis que j’attendais à un arrêt, je n’eus aucun ennui. En arrivant à la cathédrale, je sortis le double de la clé et m’introduisis par la porte de derrière. Je refermai derrière moi et longeai le bord jusqu’à la grille menant aux entrailles de l’édifice.

 

Une fois en bas, je me posai par terre et attendis.

 

Armelin ouvrit le couvercle de son cercueil et se redressa en position assise. Il me regarda longuement.

 

-Bonsoir Camille.

 

-Bonsoir Armelin.

 

Il se leva gracieusement et lissa les plis de sa manche. Il sortit de sa boîte en enjambant le bord et enfila ses chaussures vernies.

 

-Comment vas-tu? s’enquit-il.

 

-Bien, mentis-je.

 

Il boutonna son col.

 

-Vraiment? fit-il d’un ton sceptique. Sans vouloir te vexer, tu es pâle comme de la faïence et tu as de plus grands cernes que moi -pourtant, je suis mort.

 

Je me passai la main dans les cheveux, soupirant.

 

-Je dors mal ces derniers temps. J’ai l’impression de ne pas me reposer, pourtant je vais me coucher à 21 heures. Et je ne me lève pas tôt.

 

-Je vois. Je sais que le sommeil est très important pour les humains, vous avez besoin de vous reposer énormément. (Il décrocha son manteau du clou où il était suspendu et le tapota pour en ôter la poussière avant de l’enfiler.) Si tu le désires, tu peux occuper mon lit.

 

Il me l’avait déjà proposé il y a quelques mois. Mais bizarrement, autant sa proposition m’avait paru saugrenue à l’époque, autant elle me tentait à présent.

 

-Je ne sais pas si j’ose… Ça me gêne…

 

-Ne fais pas tant de manières. Si c’est son aspect qui te rebute, ferme les yeux et imagine-toi dans ton lit.

 

Mon cauchemar me revint en mémoire. Cette sensation d’étouffement, d’isolement et d’oppression me prit à la gorge, je portai instinctivement ma main à mon cou.

 

-D’accord, j’accepte. Mais enlève le couvercle, s’il-te-plaît.

 

Il me sembla que mon arrière-grand-oncle se retenait d’esquisser un sourire. Il acquiesça et s’accroupit pour ôter puis poser le couvercle de son cercueil contre le mur plus loin.

 

-Voilà. J’espère que tu y seras confortable. (Je m’avançai précautionneusement de la boîte, ayant tout de même quelques réserves.) Par contre, je te demanderai d’ôter tes chaussures avant d’y entrer…

 

-Je peux garder ma veste ? demandai-je. Il fait un peu froid pour rester en t-shirt.

 

-Oui. Je n’ai juste pas envie que l’intérieur se salisse. Ce satin est très difficile à ravoir, et ce n’est pas comme si je pouvais le faire nettoyer dans un pressing.

 

-D’accord, pas de soucis.

 

Je délaçai mes baskets et les enlevai l’une après l’autre pour entrer dans le cercueil. J’hésitai un instant puis m’assis dedans. Je n’avais jamais réalisé à quel point ce truc était étroit… Je ne pouvais pas bouger énormément les jambes, et j’imaginai qu’Armelin ne pouvait pas se tourner sur le côté une fois le couvercle refermé.

 

-Hé bien je te souhaite une bonne nuit, fit-il en boutonnant son manteau.

 

-À toi aussi.

 

Il sortit non sans m’adresser un bref hochement de tête au préalable. J’attendis une minute avant de m’allonger, soupirant.

 

Me voilà allongé dans le cercueil de mon grand-grand-grand-papy pour piquer un petit roupillon ! Ma soirée n’avait pas pris la tournure que j’imaginai.

 

 

 

-Camille?

 

Une main se posa doucement sur mon bras et me secoua gentiment.

 

-Camille. Il faut te réveiller, c’est bientôt l’aurore.

 

Je clignai des yeux et regardai autour de moi, un peu hagard. J’avais tenté de réviser un peu mon voc avant de dormir, mais finalement je m’étais assoupi sans apprendre un mot -mon cahier reposait d’ailleurs toujours sur ma poitrine.

 

-Hein ? Quoi ? Il est quelle heure ?

 

-Bientôt cinq heures et demi du matin. J’aimerais bien récupérer mon lit.

 

Je me redressai d’un coup, alarmé.

 

-Cinq heures et demi !? Je dois encore enterrer les corps ! Je n’aurai jamais le temps…

 

-Je m’en suis occupé, me coupa-t-il. Tu peux rentrer chez toi tranquillement, je les ai cachés.

 

-Je… Euh, quoi ?

 

-J’ai fait disparaître les corps.

 

-Quand ? Mais où ?

 

-Est-ce vraiment utile que tu le saches ?

 

Je haussai les épaules. Non, en réalité je m’en fichais. Mais d’habitude on ne procédait pas ainsi ; je me demandais pourquoi il m’avait épargné ce soir.

 

Je me levai lentement et enfilai mes chaussures. Il attendit que je les aie lacés et que j’aie rassemblé mes affaires pour me souhaiter une bonne journée.

 

-À bientôt, lui lançai-je en sortant.

 

-À bientôt. Camille (je me retournai pour sortir, mais il ajouta 🙂 Ménage-toi, d’accord.

 

J’acquiesçai après une seconde d’hésitation, et pris congé.

Under la cathé 6

J’essayai de me retourner dans mon sommeil, mais mon épaule droite heurta une surface dure.

 

La vague douleur que je ressentis me fit froncer les sourcils, je levai la main pour sentir les contours de la chose m’ayant tirée du demi-sommeil dans lequel j’étais plongé. C’était plat. Et grand. Je ne trouvai pas les bords.

 

Je me résolus à ouvrir les yeux pour identifier l’origine de mon problème, mon instinct m’avertissant que cela pourrait s’avérer plus complexe que je ne le pensais. Je ne vis rien –évidemment, ma chambre était plongée dans l’obscurité – alors je battis des paupières, espérant percevoir quelque chose. Dans mon impatience, je relevai le genou, qui rencontra lui aussi une résistance.

 

Pris de panique, je remontai mes mains au-dessus de ma tête pour voir jusqu’où allait l’obstacle : il s’arrêtait à trois centimètres au-dessus de mon crâne. En réalité, j’étais piégé sur plusieurs côtés. Mon souffle s’accéléra lorsque je compris où je me trouvai…

 

Dans une boîte.

 

On m’avait enfermé dans un cercueil.

 

Le hurlement qui s’échappa de ma gorge fut purement instinctif.

 

 

 

– C’est cool qu’on puisse enfin se parler face à face !

 

Je hochai la tête en me demandant comment je m’étais organisé dernièrement pour finir ici. J’étais en face de la fille la plus cool de ma classe dans un Starbuck (un endroit que j’avais tendance à fuir comme la peste, principalement à cause de ses prix exorbitants) et elle m’avait carrément offert mon café. La situation était surréaliste, ça ne m’était jamais arrivé auparavant.

 

Tout en discutant avec cette fille je me demandai si je devais la présenter à Armelin. Elle pourrait lui servir de repas, ça semblait une bonne initiative ; mais je me ravisai, me traitant mentalement d’idiot. Ne jamais choisir une personne proche de la famille ! Si quelqu’un parvient à remonter jusqu’à nous, ça nous mettrait tous en danger. L’un de nous se retrouverait soupçonné, mieux valait que mon ancêtre chasse dans des milieux que nous ne fréquentions pas. D’ailleurs pour qui je me prenais de vouloir lui livrer Joanna ? On avait jamais procédé comme ça avant ! Il était assez grand pour choisir ses repas tout seul, il n’avait pas besoin de nous pour ça.

 

Je changeai de position sur ma chaise, vaguement agacé par ma propre bêtise. Autant sacrifier une jeune fille innocente ne m’émouvait pas, autant mes idées farfelues sortant de nulle part m’agaçaient. (Peut-être ces pensées macabres étaient-elles tout simplement dues à mon cauchemar de cette nuit ?)

 

– On aurait très bien boire un café en classe pendant une pause, remarquai-je d’un ton plat.

 

Peut-être que mademoiselle ne supporta pas le café à un franc du Selecta ? (C’est vrai quoi, les machines à café, c’est tellement pas mode !!)

 

– Oh non, s’exclama-t-elle, pas avec tous ces gens autour, avec ce bruit constent, ce brouhaha… (Elle but une gorgée de son café chargé de crème chantilly avec un grand sourire.) Ici c’est plus personnel, plus intime.

 

Heureusement que son attention se porta sur une pub collée sur le mur ou elle aurait vu mon expression horrifiée. Pardon ? Intime ? C’est quoi cette embrouille ?

 

– Parle-moi un peu de toi, continua-t-elle d’un ton guilleret.

 

– What ?

 

– De toi, de ta famille : par exemple, comment sont tes parents ?  Est-ce que tu as des frères et sœurs ? Des cousins, des cousines ?

 

Cette conversation était telle que je l’avais imaginée avant qu’elle ne débute : ennuyeuse. Je n’étais pas du tout d’humeur à faire des efforts.

 

– Mes parents sont comme tous les parents : relou.

 

Je sursautai lorsqu’elle éclata d’un rire hystérique et manquai renverser du capucino sur mon jean.

 

– Ha ha ha! Qu’est-ce que tu es drôle ! (Non, pas du tout, le verlan c’est passé de mode depuis 20 ans ! Qu’est-ce qui lui prenait ?) Moi, côté frangins, j’ai seulement une grande sœur. Et toi ?

 

– Ouais, moi aussi j’ai une grande soeur. Et un petit frère.

 

Elle sembla attendre que je poursuive -ce que je ne fis pas.

 

– Et c’est tout ? fit-elle d’un air déçu. Tu n’as pas de grand frère ?

 

– Non.

 

– Ou un cousin plus âgé qui vivrait ici?

 

– Nope.

 

Je ne voyais pas où elle voulait en venir. Je bus une autre gorgée de café et en profitais pour jeter un coup d’œil ostensible à l’écran de mon natel.

 

– Rholàlà ! Il est déjà si taaaard! dis-je d’un ton exagéré. Mes parents m’attendent à la maison pour monter un meuble en kit, je vais devoir y aller.

 

– Mais on vient à peine de s’installer ! s’exclama-t-elle.

 

Je me levai en enfilant ma veste, prenant mon air contrit le plus convaincant.

 

– Je sais, désolé. Mais ça fait des jours et des jours qu’ils me tannent pour ça. Les modes d’emploi leur donnent migraine.

 

Elle ne sembla pas dupe.

 

– Mouais… Tu aurais pu choisir un autre jour pour les aider pourtant.

 

Je haussai les épaules dans un geste qui signifiait que je n’y pouvais rien et sortis du café à grandes enjambées, slalomant entre les gymnasiens faisant la queue à l’entrée. Une fois dehors, dans le froid, je savourai mon macchiato l’esprit plus calme : (vous croyez quoi ? Je l’avais pris avec moi ! Au prix que ça coûte !)

Under la cathé 5

J’émergeai en poussant un hurlement à réveiller les morts.

 

Assis dans mon lit, ma respiration haletante, je réalisai où je me trouvais. Ah. J’étais dans ma chambre, à la maison. Pas dans une pièce aveugle avec des hommes morts à mes pieds, maculant le sol de leur sang.

 

Je passai ma main dans mes cheveux, agacé. C’était la troisième fois que je faisais ce cauchemar ! À chaque fois c’était la même scène qui se répétait: ces types qui me battaient, l’intervention d’Armelin – et sa morsure. Je me réveillais toujours en proie à la panique, avec l’intime conviction que tout était réel, ressentant presque ses crocs dans ma chair. Ça brûlait. Ça faisait mal. C’était comme si je le sentais encore…

 

Je rejetai mes couvertures et sortis. J’allai dans la salle de bain en me traitant d’imbécile et me plantai devant la glace pour m’examiner à la lumière du néon. Outre un teint blafard et des cernes, il n’y avait rien d’anormal chez moi. La peau de mon cou était parfaitement lisse, preuve que j’avais bel et bien rêvé.

 

Je tentai de ne pas me mettre à gamberger. Je ne pensai pas qu’Armelin soit capable de mordre un membre de sa propre famille. Mon père avait été clair là-dessus quand j’étais enfant: si notre ancêtre s’en prenait à nous de quelque manière que ce soit, nous devions venir l’en avertir. Effectivement, nous étions plus ou moins à sa disposition pour lui rendre service, mais cela ne lui permettait pas d’abuser de notre personne.

 

Néanmoins, je ne doutais pas qu’il ne puisse maquiller son méfait s’il lui prenait l’envie de nous… « goûter». Il était très vieux, j’imaginais, et j’avais beau ne pas être un expert en vampires, j’avais vu suffisamment de films montrant que ces créatures possèdent des pouvoirs hors du commun. Même si la fiction n’est pas toujours juste, mon instinct me dictait qu’il y avait une part de vérité. Et j’avais constaté à une ou deux reprises la force, la rapidité et la supériorité de certaines de ses capacités.

 

Je jetai un regard à mon reflet, qui me semblait un peu sur les nerfs. Toutes ces interrogations stériles m’irritaient, je tournais en rond. Je ne pouvais pas avoir inventé tout cela (je n’avais pas assez d’imagination !) mais l’option inverse me dérangeait plus.

 

Malheureusement, je m’appliquais à éviter depuis plus d’une semaine la seule personne capable de me dire la vérité.

 

 

 

Je descendis pour la première fois les escaliers menant aux sous-sols de la cathédrale avec une certaine réticence. Je n’appréhendai pas de voir Armelin, je n’étais juste pas très chaud pour le confronter. Voilà.

 

J’allumai une bougie en arrivant tout en bas et m’assis à même le sol. J’étais moins calme qu’à l’accoutumée, tapant vaguement du pied et regardant l’heure sur mon portable toutes les quinze minutes. J’étais pourtant arrivé le plus tard possible, pour ne pas avoir à attendre son réveil pendant trois plombes, mais mon avidité à vouloir des explications me rendait impatient.

 

Finalement, le soleil dût se coucher, car Armelin ouvrit son cercueil et se redressa.

 

– Bonjour, fis-je d’un ton cassant (si-si, c’est possible).

 

– Camille, constata-t-il. Comment te sens-tu?

 

– Hein ?

 

Il me m’avait jamais posé cette question auparavant.

 

– Est-ce que tu te sens mieux ? demanda-t-il, l’air aussi indifférent que s’il s’enquérait du temps qu’il faisait ce matin. (Il se leva et arrangea sa chemise.) Voilà une semaine que je ne t’ai pas vu.

 

– Oui. J’ai été très occupé dernièrement. Le gymnase, les devoirs, tout ça…

 

J’avais réussi à persuader mon frère et ma sœur de s’occuper de notre ancêtre jusqu’à hier, mais ils avaient fini par en avoir marre. Pendant des années, j’avais toujours été plus que disposé à le faire alors qu’eux avaient plutôt tendance à rechigner. Ils se sont sentis obligés de me rendre ce service – mais apparemment leur peur d’Armelin surpassait leur pseudo gratitude, puisque j’étais de corvée ce jour-là !

 

– Oui, je comprends… et j’imagine que ton enlèvement t’a causé un choc. Tu as dû prendre du temps pour t’en remettre.

 

– Mon enlèvement ? (Donc, je n’avais pas rêvé !) Toute cette histoire était réelle !?

 

– Bien sûr, hocha-t-il la tête . Tu ne te souviens pas de ces hommes ? De ce qu’ils t’ont fait ? De ce que JE leur ai fait ? (Je ne pus réprimer un léger frisson.) Connaissant ta curiosité naturelle, je m’imaginais que tu me harcèlerais de questions… comme toujours.

 

– Tu… Tu serais d’accord de me répondre ? m’étonnai-je.

 

– J’y suis plus que disposé, haussa-t-il les épaules, vu que tu as été blessé par ma faute. Et que malgré ça tu t’es gardé de tout révéler à ton père…

 

– Ah. Ce n’est pas quelque chose à aller répéter… Cela a-t-il un rapport avec ton « travail »?

 

Armelin rapportait des sommes colossales à la famille, mais on ne savait pas toujours d’où il gagnait cet argent. Ces occupations liées à la famille étaient légales, mais on ne comptait que sur sa parole. Il ôta sa chemise et sortit une neuve du sac que je lui avais apporté. Il l’enfila et se mit à la boutonner.

 

– Non, fit-il sèchement. L’argent que j’ai emprunté à Marcelo n’a été utilisé ni pour les placements de la famille, ni pour financer la société de ton père.

 

– Pourquoi tu as demandé de l’argent à cet homme et non à papa ? C’était un prêteur sur gages, ou un truc du genre ?

 

– Tu penses que je dois aller mendier auprès du « chef de famille » pour obtenir ce que je veux ? Je possède mes propres comptes Camille ! Mais dans cette situation j’avais besoin d’une somme conséquente, et en échange d’un service Marcelo me la fournissait.

 

Son ton était tendu. Si son visage n’exprimait pas autant de calme, j’aurais pensé que mes questions le mettaient sur les nerfs. Pourtant, c’est lui qui avait accepté d’y répondre ! Je persévérai :

 

– Et tu ne lui as pas rendu ce service.

 

– Non. Parce qu’en plus d’être illégal, ça m’embêtait.

 

Il n’en dit pas plus. Je revins au sujet qui me préoccupait le plus.

 

– Que s’est-il passé après que tu m’aies libéré ? poursuivis-je. Tu es apparu comme par magie, tu as tué ces hommes et je me suis retrouvé dans ma chambre SANS UNE ÉGRATIGNURE. Comment est-ce possible ?

 

Il ne cilla pas malgré mon ton chargé de sous-entendus. Je savais déjà qu’il avait du mal à saisir le second degré, mais là même lui aurait dû comprendre que je l’accusais.

 

– Tu t’es évanoui, tout simplement. Tu as subi une expérience horrible en étant attaqué par Marcelo et ses gros bras, ils t’ont enlevé et ils t’ont salement amoché. Tu as sûrement relâché la pression en sachant que tu étais en sécurité avec moi.

 

– Ah ouais ? Mais comme tu le dis si bien, ils m’ont passé à tabac. Comment se fait-il que je n’aie aucune marque ? Pas de bleus, de contusions, pas la moindre petite douleur ?

 

Pour la première fois en plus de quatorze ans que je le connaissais, Armelin étira ses lèvres en un sourire fin et chargé d’ironie. Et croyez-moi, c’était encore plus flippant que d’apercevoir ses crocs.

 

– Ça… fit-il à mi-voix en retenant un ricanement, c’est mon petit secret.

 

Trop perturbé ce jour-là par les réactions de mon parent et surtout à court de questions à poser, je n’approfondis pas mon interrogatoire.

 

Ce que j’allais regretter amèrement au cours des semaines suivantes… Et des années à venir.

Under la cathé 4

Je ne comprenais rien. Je ne comprenais pas comment j’avais pu me retrouver dans cette situation. Pas parce que j’étais un gars futé et toujours aux aguets… autant ne pas trop se fourvoyer ! J’étais peut-être intelligent, mais je ne possédais pas cette étincelle de vie qu’on admire chez les génies.

Non. Je croyais pouvoir échapper à des ennuis éventuels parce que j’étais un garçon sans histoire. Je ne cherchais des ennuis à personne, je fuyais les gens violents comme la peste… alors pourquoi me retrouvais-je soudainement kidnappé, battu et ligoté à même le sol ?

– Pour la troisième fois, répéta l’homme, où se trouve la planque de ton patron ?

Il portait un jean et un t-shirt gris froissé sous une veste en cuir élimé. Je gigotai sur le sol, peinant à respirer. J’avais le goût de mon propre sang dans la bouche, probablement une côte fêlée, et la position que j’avais par terre me donnait mal à l’épaule.

– Quel… Quel patron ? bafouillai-je.

Il soupira et un de ses hommes de main me décrocha un autre violent coup de pied dans l’estomac. Tout l’air contenu dans mon diaphragme sembla se vider.

J’étais sorti du gymnase vers 18 heures à cause d’un cours qui avait été déplacé et le soleil n’était déjà plus qu’une lumière pâlotte à l’horizon. Sur le chemin, ces types m’avaient abordé, soi-disant pour me demander leur chemin, et l’un d’eux m’avait assommé par-derrière. Je n’avais pas perdu connaissance, mais la douleur avait été suffisamment violente pour m’empêcher de m’échapper. Ils m’avaient jeté dans le coffre d’une voiture et à présent ils « m’interrogeaient » à coup de grandes claques dans le visage.

J’eus peur.

Pour la première fois de ma vie, j’eus vraiment peur.

– Je ne comprends pas ce que vous me voulez ! suppliai-je. Je ne suis qu’un simple étudiant, je n’ai pas de patron !

Le type à la veste en cuir alluma une cigarette, me dévisageant d’un air agacé.

– Tu te fous de notre gueule, morveux. On sait que tu bosses pour Clément. (Il se pencha sur moi, je tentai de reculer malgré mes liens.) On t’a vu lui parler l’autre soir.

Il me choppa par les cheveux et les tordit pour que je le regarde en face. Je serrai les mâchoires pour m’empêcher de gémir, grimaçant.

– Mais qui ?! De qui vous parlez ?!

– De ce putain de Clément Sandoz ! Ce fumier nous a entubés de vingt-cinq mille francs ! (Ses doigts se resserrèrent pour me faire encore plus mal au crâne.) Et un de mes gars t’a pisté la semaine passée, tu es allé enterrer un cadavre pour lui !

Je me figeai.

– Quoi ?

– Je sais pas ce qu’il fait avec ces bonnes femmes, renifla-t-il, s’il les viole ou quoi, mais c’est toujours toi qui t’occupes de te débarrasser des corps. Tu es à sa botte, hein ?

Je clignai des yeux, n’en croyant pas mes oreilles. Ses types m’avaient vu faire disparaître les «repas » d’Armelin. Mais on aurait dit qu’ils le prenaient pour un autre. Qu’est-ce que mon ancêtre trafiquait ? Qui étaient ces espèces de prêteurs sur gages à qui il devait de l’argent ? Et surtout, comment leur échapper et me sortir de ce trou à rats ?

– Ce n’est pas mon boss, mentis-je, c’est mon grand-pè… euh, mon oncle !

L’homme fronça les sourcils et les grosses brutes dans son dos se firent plus attentives.

– Ah ouais ? lâcha-t-il d’un air sceptique. Il est pourtant vachement jeune pour être ton oncle.

– Mon père et lui ont vingt ans d’écart, inventai-je dans une tentative désespérée de le distraire. On se ressemble pas beaucoup, physiquement, mais c’est mon oncle.

– Et alors, grogna-t-il, que veux-tu que ça me foute ?

– C’est pourtant évident ! (Il fallait que je sorte d’ici.) Nous sommes de la même famille. (Que je me dépêche.) Nous… avons le même sang. (VITE.) Donc, logiquement, nous habitons au même endroit !

Quelle logique de merde… D’ailleurs, il ne sembla pas me croire une seconde.

– Quoi ?

– Oui, fis-je vivement, m’enfonçant un peu plus. Nous vivons au même endroit, je peux vous y conduire. Si on y va maintenant, on y sera d’ici…

Son pied s’écrasa sur mon visage, j’eus l’impression que mon nez explosait. Je hurlai malgré moi.

– Ta gueule, aboya-t-il. Arrête de mentir, petit con ! Tu dis des conneries ! Clément vit seul dans une espèce de petit appart ’ miteux, il a pas de famille !

– Je vous jure ! paniquai-je. Croyez-moi !

– Où est-il bordel !? Où … est … Clément !!?

Il ponctua chacun de ses mots par des coups de poing, je ne pus m’empêcher d’appeler au secours –ce qui était complètement ridicule puisque je me trouvais dans un endroit isolé où personne ne pouvait m’entendre.

Soudain, l’atmosphère sembla se figer, même le prêteur sur gages et ses gorilles semblèrent le sentir. Ils se tendirent et se tournèrent vers la porte, comme s’ils avaient entendu un bruit. Je me recroquevillai sur moi-même pour essayer de reprendre mon souffle et atténuer la douleur. En vain.

Il y eut quelques secondes de silence et le battant s’ouvrit lentement. Une silhouette émergea de l’obscurité du couloir, avançant dans la pièce d’une démarche imposante. Il portait un long manteau noir lui arrivant aux genoux, une chemise blanche sans un pli et des pantalons à pinces.

L’homme qui me posait des questions se redressa et lui adressa un sourire suffisant.

– Tiens ! Sandoz ! Nous interrogions justement ton larbin pour savoir où tu te terrais… Quelle coïncidence.

Armelin ne l’écoutait pas. Il me regardait d’un air que je ne lui connaissais pas, un mélange d’attente et de réflexion mêlées, je crois. Je ne suis pas sûr d’avoir interprété son expression correctement. Je le suppliai du regard pour qu’il me vienne en aide -et pendant un court instant je crus qu’il n’interviendrait pas.

– Camille, fit-il doucement. J’aimerais éviter de te traumatiser. Ferme les yeux s’il te plaît.

Je m’exécutai et serrai mes paupières l’une contre l’autre ; une des premières choses que j’avais apprise quand j’avais commencé à m’occuper de mon ancêtre, c’était d’obéir à tous ses ordres, même les plus farfelus. Il tenait à ce que ses demandes ne soient pas discutées parce qu’il se considérait comme bien plus instruit que les autres membres de notre famille. Et c’était vrai qu’il avait des années d’expérience de plus que nous.

– Qu’est-ce que tu racontes Clément ? On doit discuter du pognon que tu… GARGL !!

Les bruits que les hommes produisirent à ce moment-là étaient assez spectaculaires. Et gores aussi. Il y eut un craquement que j’identifiai comme étant une nuque brisée et de monstrueux gargouillis qui évoquaient une gorge coupée qui se vide de son sang…

(Eh oui, j’avais beau avoir un papy vampire, il m’arrivait à moi aussi de regarder des films d’horreur.)

– Tu peux rouvrir les yeux, fit la voix d’Armelin, tout proche.

Je m’exécutai, il s’était accroupi pour détacher mes poignets.

– Ils s’en sont pris à toi ? demanda-t-il.

– Un peu, répondis-je.

Je tremblai encore légèrement. Il ôta les cordes à mes pieds et m’offrit son bras pour m’aider à me relever. Tous les types dans la pièce étaient morts, égorgés ou estropiés. Armelin ne semblait pas s’en formaliser. Il avait même l’air plutôt calme.

– Comment as-tu su que j’étais en danger ? Et que je me trouvais ici ?

Il me lança un regard insondable, et j’eus l’impression qu’il se demandait si oui ou non cela valait la peine de me répondre.

– Tu m’as appelé. (Il pencha la tête de côté.) Tu as dit mon nom et m’as demandé de l’aide. Tu ne t’en souviens pas ? (Je secouai la tête.) Bon. Ça ne fait rien.

Je lui tournai le dos en me grattant la tête, trop épuisé pour chercher plus loin. Je concentrai mon attention sur le moyen de nous débarrasser de ces cadavres encombrants plutôt que sur l’attitude énigmatique de mon ancêtre.

Et là, il fit quelque chose auquel je ne m’attendais pas du tout.

Il immobilisa mes épaules et plongea ses crocs profondément dans mon cou.

Je hurlai.

Under la cathe 3

Je me reposais sur une branche de l’arbre du jardin de la maison familiale. Les oiseaux chantaient, leur douce musique me détendait. Dos au tronc, paupières closes, je savourai la tranquillité de ces petits moments de paradis que la vie nous accorde parfois.

Ma grand-mère sortit de la maison. Je ne la remarquai que lorsqu’elle ferma la porte-fenêtre. J’ouvris paresseusement les yeux et l’observai traverser le jardin de son pas rendu plus lent par l’âge. Elle se dirigea vers le potager, au panier au bras et un tablier autour du cou.

Je cueillis une cerise tandis qu’elle s’attaquait aux mauvaises herbes. Elle ne m’avait ni vu, ni entendu. Je croquai le fruit en regardant le soleil jouer avec ses cheveux gris et qui écrasait ses frêles épaules de ses rayons blancs.

Je me déplaçai et fis pendre mes jambes depuis la branche pour me laisser tomber au sol. Ma grand-mère se retourna, sursautant comme un animal craintif. Elle avait été alertée par le bruit puis apeurée par ma présence, une silhouette menaçante du fait qu’elle reste dans la pénombre de l’arbre.

-Mon petit Camille ! s’exclama-t-elle sur un ton de reproche un peu trop aigu. Ne me surprends pas ainsi en te cachant pour surgir quand je m’y attends le moins ! Pense à mon pauvre cœur !

-Désolé grand-maman, dis-je d’un ton neutre, je ne voulais pas t’effrayer. Je souhaite te poser deux-trois questions…

-Ah ? Sur quoi mon petit ? fit-elle en se penchant pour couper de la salade.

-Armelin.

Elle se figea et je vis nettement son visage ridé et jovial perdre toute couleur. Comme tous les autres membres de ma famille, ses réactions me semblent disproportionnées, sa peur surjouée.

-Tu… tu as vraiment envie de parler de lui ?

L’idée même lui était inconcevable. Je haussai les épaules.

-Est-ce que tu sais depuis combien d’années il nous protège et nous lui rendons service en échange ? Depuis 20 ans ? 100 ans ? Plus ? Est-il réellement notre ancêtre ?

-Je n’en ai aucune idée, je ne veux pas le savoir, marmonna-t-elle très vite. Un jeune garçon comme toi ne devrait pas s’intéresser à « ça ». (J’allais laisser, mais elle lâcha une information précieuse.) Demande donc à quelqu’un d’autre.

Et elle retourna à son jardinage. Toujours debout dans l’ombre du cerisier, je me remémorai alors que ma grand-mère n’était pas dans ma famille depuis sa naissance, qu’elle en faisait partie seulement depuis son mariage. J’aurais meilleur temps de me renseigner auprès de mon grand-père…

Je me dirigeai vers la maison, le soleil de cet après-midi d’automne baignant tout mon corps de lumière. Mes pupilles me brûlèrent jusqu’à ce que je pénètre le salon.

 

Entendant des pas, je me retournai. J’étais en train de relire mon vocabulaire allemand à la lumière d’une bougie, assis à même le sol de la crypte. Mes yeux reconnurent Armelin, toujours habillé élégamment de son pantalon noir sans un pli, de sa chemise blanche immaculée style 18e siècle, de son manteau à col haut et de ses chaussures vernies.

-Tu as terminé ? fis-je en me levant.

Je me dirigeai vers la pelle posée contre le mur, mais il leva la main pour m’arrêter.

-Inutile. Je me suis chargé des cadavres aujourd’hui.

-Oh, m’étonnai-je. Pourquoi donc ?

-J’ai été assez loin… Il n’aurait servi à rien de les ramener à Lausanne, je m’en suis débarrassé sur place.

Il ôta son manteau ainsi que ses chaussures. J’avais remarqué qu’il conservait des habitudes humaines. En se levant au coucher du soleil, il me disait « bonjour » comme s’il commençait sa journée. En allant dormir, il enlevait ses vêtements d’extérieur et marmonnait un « bonne nuit » ensommeillé alors que c’était l’aube.

-Tu peux t’en aller si tu veux. Tu n’es pas obligé de rester si longtemps avec moi.

Je m’appuyai contre la paroi et, renversant la tête en arrière, je lâchai mon vocabulaire sur le sol. J’étais plutôt fatigué.

-Est-ce que ma présence te dérange ?

-Non, dit-il, songeur. Et toi ?

-Non plus. J’aime bien rester en ta compagnie.

Il me dévisagea puis s’assit dans son cercueil.

-Ça me surprend… D’habitude, tout le monde a peur de moi. Surtout ma famille.

-Je n’ai jamais eu peur. Jamais. (Je fixai le sol, un peu gêné par mon aveu.) En réalité…, j’ai de la peine à… ressentir. Les émotions, c’est pas vraiment mon truc.

-Tu es encore un peu jeune pour tomber amoureux, tu as tout ton temps pour cela.

-Non. Disons que… qu’il m’est difficile d’avoir peur, de me mettre en colère, de me sentir heureux. Il faut vraiment qu’il m’arrive un événement marquant pour sortir de cet état neutre que je ressens constamment.

-Ce que tu tentes de m’expliquer, reprit-il, c’est que tout t’indiffère. Je me trompe ?

-Oui, c’est exactement ça. (J’hésitai un instant.) Est-ce mal ?

Un sourire exquis se dessina sur ses lèvres et il joignit ses mains. C’était la première fois que je le voyais exprimer quelque chose.

-Je ne pense pas être celui qui est le mieux placé pour disserter sur le mal… (Il y eut un court silence, je ne voyais pas quoi répondre.) Tu me sembles de plus en plus exténué Camille, changea-t-il de sujet. Quand je sors me nourrir, tu pourrais te reposer dans mon lit.

-Ça me gêne, je n’oserais pas, dis-je (pas très emballé).

-Je m’en voudrais si tu tombais malade à force de t’occuper de moi. Maintenant, rentre te coucher et dors.

-D’accord.

Je rassemblai mes affaires sous un regard pensif. Dans un certain sens, c’était triste que le seul être avec qui j’arrivai à m’entendre fût un monstre centenaire sociopathe et buveur de sang. Mais au moins j’avais quelqu’un avec qui m’entendre, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Under la cathe 2

-…ille.

Je rêvais. L’atmosphère était tendue, les gens autour de moi parlaient et, même si je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, je savais qu’ils avaient peur. Je le savais ; je le sentais à leurs voix plus aiguës et leurs gestes plus brusques qu’à l’accoutumée.

-…mille !

Je bougeai la tête en fronçant les sourcils. Décidément, le bois n’était pas confortable.

Un homme était là, son ton était ferme et intraitable, mais pas menaçant. Moi je m’en fichai, je restai calme, jouant avec mes petits soldats. C’est ce dernier détail qui me fit penser « Et si en réalité il s’agissait d’un souvenir ? »

-Camille !

Je me redressai d’un coup, me réveillant en sursaut. La classe éclata de rire en voyant mon air hagard. Le prof me fusilla du regard, penché sur moi.

-Hein ?

Je me frottai le haut du crâne. Apparemment il m’avait frappé avec son exemplaire de Madame de Bovary.

-Ne dites pas « hein » ! Est-ce la Littérature qui vous endort à ce point, ou mon cours ?

-Les cours ! s’exclama un rigolo au fond de la salle de classe, déclenchant l’hilarité générale.

Je serrai les lèvres pour éviter de bâiller au visage de mon prof de français (il était suffisamment en rogne contre moi, inutile d’en rajouter !) et m’ébouriffai les cheveux d’un geste las.

-Désolé m’sieur… J’ai pas beaucoup dormi cette nuit…

-Encore ! Et peut-on savoir à quoi vous occupez vos soirées ?

-Ça vous intéresse vraiment ?

-Oh oui ! ironisa-t-il. Qu’est-ce qui peut être si passionnant pour que vous y consacriez toutes vos nuits ? Dites-le-nous donc !

J’adorerais voir sa mâchoire se décrocher en lui annonçant que j’ai transporté le corps exsangue d’une femme jusqu’à un chantier où je l’ai négligemment abandonnée dans un trou prévu pour être rempli de béton le lendemain matin… mais je préférai me taire pour qu’il ne me prenne pas pour plus taré que j’en avais l’air.

Face à mon silence éloquent, il secoua la tête d’un air désolé.

-Camille, remuez-vous un peu et suivez mon cours.

-Cam, je rectifiai en marmonnant. Pas Camille.

Nouveaux ricanements. Contrairement à mes pairs qui raccourcissaient leur prénom par esprit pratique, je mettais un point d’honneur à ce qu’aucune de mes connaissances n’utilisât mon nom entier parce que seule ma famille y était autorisée. Premièrement parce que les autres se foutaient de moi, car j’étais un garçon avec un prénom de fille ; et deuxièmement parce que quand on appelait un gars « Cam », on ne s’attendait pas à rencontrer un dangereux sociopathe, plutôt un mec paumé et inoffensif.

La sonnerie me libéra du regard accusateur de mon professeur, je sortis en bâillant de sa salle de classe.

-Hé, Cam ! (Une fille de mon cours me rattrapa et me sourit. Je m’arrêtai de marcher.) Tu serais d’accord qu’on aille boire un truc ensemble ?

Je haussai les sourcils. Elle m’invitait ? Moi ? La jolie poupée du groupe d’espagnol proposait au latiniste asocial d’aller se taper un café, on nageait en plein roman.

-Euh… je suis pas super en avance avec les devoirs… Cette semaine c’est fou la quantité de travail qu’on a…

Ses amies arrivèrent dans son dos, chuchotant entre elles avec des airs perplexes. Ah, elles aussi étaient surprises de l’intérêt que Joanna me portait soudainement.

-Grave ! T’as trop raison ! La semaine prochaine alors ?

Elle avait beau me faire les yeux doux, j’allais refuser. Malheureusement, mon natel se mit à sonner et j’avais interdiction de louper mes appels.

-Écoute… (Un coup d’œil à l’écran m’apprit que c’était mon père. Zut.) OK, va pour la semaine prochaine.

-Super !

Je répondis tandis qu’elle s’en allait d’un pas joyeux :

-Allô ? Qu’est-ce qui se passe papa ?

-Hum… Camille… Je suis obligé de travailler tard ce soir. Tu vois, je me demandai si ça t’ennuierait de… t’occuper de « l’oncle ».

Nous utilisions ce mot pour désigner Armelin et parler de lui librement devant nos amis (le peu que nous avions). Je soupirai en prenant le chemin de la Cathédrale.

-Ouais, mais alors ce week-end c’est toi qui t’en charges ! À force de le veiller un soir sur deux, je ronfle en classe.

-C’est problématique, je te le concède…

-À peine, grinçai-je. J’ai un exposé à préparer pour lundi alors laisse-moi bosser !

Silence au bout du fil.

-… d’accord, lâcha-t-il après une hésitation.

Mon paternel avait peur de notre ancêtre commun (ça n’était un secret pour personne) et il s’arrangeait toujours pour éviter de se retrouver en présence.

-Merci, je soupirai. Tu sais, il ne mord pas ! Et il n’aurait aucun avantage à s’en prendre à nous.

Je ne reçus pas de réponse, mon père devait être sceptique. Je raccrochai et grimpai jusqu’à la Cathédrale.

 

-Toi qui te vente d’avoir lu tous les classiques, qu’est-ce que tu penses de Madame de Bovary ?

Armelin me dévisagea, mi-figue mi-raisin. Il s’assit élégamment dans son cercueil en toussotant, vaguement agacé que j’aie osé lui adresser la parole – moi, simple mortel !- mais condescendit à me répondre.

-Je l’ai lu à sa sortie. Je ne suis pas un grand critique, mon avis est à prendre avec des pincettes. (Il tapota son oreiller immaculé.) Eh bien, c’est un ouvrage qui plaît, mais j’avoue préférer d’autres livres.

Pensant que notre discussion était close, il s’allongea dans sa boîte matelassée et ferma les paupières.

-À sa sortie ? Mais c’était en 1857 ! (Assis sur les marches en colimaçon, je me penchai en avant, légèrement intrigué.) Quand es-tu né papy ? Quel âge as-tu ?

Il ouvrit les yeux, semblant exaspéré par mes questions.

-Je suis fatigué Camille, et je n’aime pas m’épandre en causeries inutiles.

– Dis-m’en plus ! je m’exclamai. Quand as-tu été transformé ? Par qui ? Je te connais presque depuis ma naissance, pourtant je ne sais rien sur toi ou tes origines.

-Je n’aime pas en parler, grommela-t-il.

Il se redressa et tira le couvercle sur lui. Je me levai et pris un ton suffisant.

-Eh bien, si tu refuses de me répondre, j’irai demander à mes parents et mes grands-parents !

Il se figea et me lança un regard mort.

-Fais comme tu veux. Mais ils en savent certainement encore moins que toi. Bonne nuit.

Il referma le cercueil. Je fulminai un instant et m’en allais vivement, gravissant les marches quatre à quatre. Je dus rapidement ralentir à cause de la faible lumière que produisait ma lampe torche. Je déverrouillai la grille et la refermai. Me voilà seul, seul dans la Cathédrale immense, sombre et silencieuse, comme le ventre d’un géant endormi.

Je remontai l’allée centrale d’un pas lent, mains dans les poches, et m’allongeai sur un banc dur pour réfléchir aux paroles de mon « oncle ». Ainsi… J’étais celui qui connaissait le plus de choses sur Armelin. C’était étrange. Jusqu’à maintenant, je pensais que mes grands-parents, forts de leur âge et leur expérience, savaient tout de sa vie. Et de sa mort. À l’entendre, «ça n’était pas le cas.

Je me relevai une demi-heure plus tard en bâillant et sortis par la grande porte. Le soleil m’éblouit, je dus me protéger les yeux avec la main en pare-soleil. C’était déjà le petit jour.

La lumière était définitivement mon ennemie ; et l’obscurité le doux nid où j’aimais me blottir.