Objet : au secours – chapitre 9

Le « businessman », ou plutôt, le cadre supérieur Mason Donovan de son vrai nom, était dans un état de nervosité inquiétant depuis une semaine. Sa secrétaire et ses collègues ne l’avaient jamais vu ainsi, ils se faisaient tous pas mal de soucis pour lui.

Il était tout pâle et ne dormait pas, ou très mal, si on en jugeait par les cernes qui se creusaient sous ses yeux. Il ne mangeait quasiment plus rien et fumait cigarette sur cigarette à longueur de journée. Il marchait la tête dans les épaules et évitait tout contact visuel quand il croisait des gens de son service dans le couloir. Il avalait des litres de café, ce qui le faisait trembler légèrement. Son teint était gris et cireux, il ne respirait franchement pas la santé…

Sa secrétaire, Janice, s’inquiétait pour lui. Mr Donovan était d’ordinaire un type plutôt suffisant et assez borné, rien ne l’intéressait en dehors de son travail, mais il avait toujours été agréable avec elle. Elle se décida à aller lui parler et essayer de comprendre d’où pouvait bien provenir son changement de comportement.

Elle versa du café dans deux tasses et se dirigea vers son bureau. Elle toqua, il sursauta.

-Hello, lui sourit-elle. Une petite pause ?

-Euh, oui, c’est pas de refus.

Il s’essuya le front de la manche et se leva de sa chaise, prenant la tasse fumante qu’elle lui tendait. Janice s’appuya au bureau de son patron, l’air de rien.

-C’est agréable, commenta-t-elle, dernièrement c’est calme…

-Hm ? Oui, c’est vrai.

-Pas de gros contrat, de deadlines à tenir dans le mois qui vient… Tout le monde est plutôt relax dans le service.

-Si vous le dites, marmonna-t-il en buvant une gorgée du café noir brûlant.

-Comment vont vos parents ? demanda-t-elle d’un ton innocent. C’était l’anniversaire de votre maman le mois dernier, n’est-ce pas ?

Mason lèva un regard vide sur elle, ne voyant pas pourquoi Janice lui parlait de sa mère. Il se massa le front du doigt.

-Euh, oui, elle a eu soixante-huit ans. Mes parents vont bien, ils sont en forme… Ils font une croisière dans les Caraïbes en ce moment…

Janice réfléchit. Son patron n’avait pas de frères et sœurs, ni aucun autre parent proche. Il n’avait pas de petite copine, ses seuls amis étaient les trois mecs et demi qu’il voyait chaque semaine à la salle de sport… Elle avait beau se creuser la tête, elle ne voyait pas trop d’où pouvaient provenir ses tracas. En tout cas, elle ne pouvait pas le faire parler sans se montrer indiscrète et, pour l’instant, il n’avait pas l’air très enclin à se livrer.

Le téléphone sonna sur le bureau de Janice, elle adressa un sourire d’excuse à Mason Donovan et s’en alla. Il l’observa pensivement décrocher le combiné et prendre note du nom de celui qui appelait. Il but une nouvelle gorgée de café et retourna à son travail, une ride se creusant profondément entre ses sourcils froncés.

Deux personnes, un homme et une femme, accompagnés par une des hôtesses d’accueil, tournèrent à l’angle du couloir et s’approchèrent. Ils discutaient à voix basse. Janice se figea en les voyant, prise d’un mauvais pressentiment ; l’hôtesse d’accueil semblait être très mal à l’aise.

Le petit groupe s’arrêta devant son bureau, elle s’accrocha au combiné en pinçant les lèvres, se préparant au pire. L’homme dévoila une plaque, le visage impénétrable.

-Police. Est-ce que Mr Donovan est ici ? fit-il.

Elle se tourna vers son patron, l’air inquiet, ce dernier lui rendit un regard de pure terreur, la culpabilité se lisant sur ses traits comme si c’était écrit noir sur blanc.

Qu’a-t-il bien pu faire pour avoir l’air aussi effrayé ? songea-t-elle, perdue.

 

 

Le jour même, à la même heure, à quelques kilomètres du bureau de Mr Donovan, on sonna à la porte de la maison de Paul. Sa mère alla ouvrir et, ne reconnaissant pas les deux personnes qui se tenaient devant sa porte, elle haussa les sourcils d’un air interrogateur :

-Oui ? Que puis-je faire pour vous ?

Ils étaient deux, un homme et une femme, habillés en civils.

-Madame Scotts ? (La maman de Paul acquiesça, interdite ; la femme exhiba une plaque.) Lieutenant Jane Cardwell, police de New York. Est-ce que votre fils est à la maison ?

-Euh… Oui. Pourquoi ?

-Nous aimerions lui poser quelques petites questions… Peut-on entrer ?

La mère de Paul s’effaça et ouvrit la porte, ils entrèrent.

-Que se passe-t-il ? s’inquiéta-t-elle. Est-ce que mon fils a fait quelque chose de mal ?

-Nous allons simplement lui poser des questions de routine, dit Cardwell d’une voix douce, se voulant rassurante. Votre fils n’a rien fait de répréhensible, ne vous inquiétez pas.

Elle acquiesça, les fit s’asseoir dans le séjour et alla chercher Paul. Il entra dans le salon une minute plus tard, blême, mais essayant de cacher sa peur panique avec un froncement de sourcils. Il s’assit à côté de sa mère, face aux deux policiers.

-Bonjour Paul, sourit Jane Cardwell, ne t’inquiète pas, nous ne sommes pas là pour te manger. (Elle recouvra son sérieux.) Mardi passé, si tu te rappelles bien, tu es venu au poste avec ton ami Edmund pour nous remettre une vidéo d’homicide, qu’il avait reçue par mail. Est-ce exact ?

-Oui, lâcha-t-il.

Enfin, de base il n’avait pas eu l’intention de donner la vidéo, et son portable avec. Mais les policiers avaient insisté pour le lui prendre et ils l’avaient paumé –amer souvenir…

-Plus tard nous avons… perdu cette vidéo. (Elle grimaça). Plus précisément, elle a été volée dans nos locaux. Mais, quelques jours plus tard, un mail anonyme nous est parvenu avec une copie de la vidéo. Nous avons essayé de tracer le mail, l’adresse IP… Rien à faire, nous n’avons rien pu trouver sur celui ou celle qui nous a envoyé la vidéo.

Son collègue restait silencieux, imperturbable, ne semblant pas vouloir prendre part à la conversation. Paul se mit à suer à grosses gouttes. Foutu Ed, songea-t-il. À cause de cet abruti, je vais avoir des ennuis avec la police, ils savent que j’ai gardé une copie de la vidéo sans le leur dire ! Merde !

-Mais en dehors de la personne qui a tourné cette vidéo, des policiers chargés de l’enquête, de toi et d’Edmund, personne ne savait pour le meurtre. (La policière fixa Paul avec intensité.) Tu vois où je veux en venir ?

Il déglutit. Sa mère lui jeta un coup d’œil anxieux.

-Je… Je ne… Je ne crois pas…

-Paul, nous ne sommes pas ici pour te créer des problèmes, fit-elle d’une voix aussi douce que le miel. Nous cherchons à avoir tous les éléments en main pour pouvoir mener une enquête. Une enquête pour meurtre. (Elle le regarda droit dans les yeux, l’air consterné.) Quelqu’un a eu le courage de filmer la mort d’une personne afin de le signaler à la police. Ce quelqu’un est peut-être en danger à présent. Notre unique préoccupation est d’élucider un crime et de mettre derrière les barreaux celui qui l’a perpétré. Que tu aies gardé cette vidéo –peu importe la raison d’ailleurs – n’est pas important… tu ne penses pas ?

Paul hésita, puis hocha la tête.

-Bien. À présent il y a un deuxième détail qui mérite d’être éclairci. (Elle se passa la main dans les cheveux, qu’elle avait mi-longs et bruns.) Hier matin, nous avons reçu un second mail anonyme. Il contenait un fichier compressé, dans lequel il y avait des photos prises exactement au même endroit où la vidéo du meurtre a été filmée. Rebelote, on essaie de découvrir de qui il s’agit et on fait chou blanc : compte créé une heure avant et supprimé immédiatement après l’envoi du mail, adresse intraçable, bref, on s’est heurté à un mur. Sauf que…

-Sauf que ? répéta Paul, sur le fil du rasoir.

Il se mit à transpirer de plus en plus. Elle savait. La police savait tout. J’ai commis une erreur et ils sont remontés jusqu’à moi. Je vais finir en prison ! (Il ne me reste plus qu’à m’habituer à la couleur orange…) Sa mère était de plus en plus inquiète, mais n’osa pas intervenir, trop intimidée par la lieutenante et son collègue.

-Nous avons réalisé que ce second mail a été envoyé exactement à la même heure que le premier. (Ses yeux perçants le fixèrent intensément.) Est-ce que c’est toi qui l’a envoyé également ?

Paul baissa les yeux sur la table basse du salon. S’il parlait d’Edward le journaliste ou de Camilla, du fait qu’ils l’avaient vue sur Times Square, les flics allaient vraiment le tailler en pièces. Ed et lui avaient dissimulé des informations importantes, ils avaient agi en solo… Il réalisa soudain que sa bouche était anormalement sèche.

-Paul, mon chéri, fit sa mère, il faut que tu dises la vérité aux policiers.

Il dut faire appel à tout son courage pour secouer la tête.

-N… non, je… je ne peux pas…

-Paul, la lieutenante Cardwell dit d’une voix sirupeuse, si tu ne nous donnes pas tous les détails, si tu ne nous avoues pas tout ce que tu sais, la personne qui a pris ces clichés aura fait tout cela pour rien. Elle est peut-être en danger en ce moment même. Alors soit tu coopères avec nous en tant que témoin… (Son ton devînt un peu plus dur.)… soit je t’emmène au poste de force.

Il leva les yeux sur elle, il sentait une fine pellicule de transpiration se former au-dessus de sa lèvre. Elle ne le lâchait pas du regard. Il céda sous la pression.

-Oui, le second mail venait de moi, marmonna-t-il, baissant les yeux à nouveau.

Le coéquipier de Cardwell ne cilla pas. Elle recouvra son expression chaleureuse et son visage se fendit d’un sourire.

-Je comprends que c’est difficile, Paul, mais ne t’en fais pas. Toute cette histoire sera bientôt terminée. C’est beaucoup de pression pour tes épaules… Viens, on va prendre ta déposition au poste de police, d’accord ?

Il acquiesça à contrecœur. Ils se levèrent et se dirigèrent vers la sortie. La mort dans l’âme à l’idée de passer à nouveau des heures chez les flics pour un témoignage, il les suivit en traînant les pieds.

-Je vous accompagne, fit la maman de Paul en attrapant son sac.

-C’est inutile, sourit gentiment la policière. Nous allons juste lui faire retranscrire son témoignage par écrit, et nous vous le ramènerons en voiture de patrouille dans deux heures, maximum.

Madame Scotts hésita devant la prévenance dont faisait preuve Jane Cardwell, mais son instinct de mère protectrice prit le dessus –heureusement.

-Je préfère venir avec vous, je… enfin, mon fils est encore mineur, vous voyez…

Un muscle tressaillit au coin de la mâchoire de la représentante des forces de l’ordre, mais elle se reprit immédiatement.

-Bien sûr, je comprends tout à fait. Venez avec nous, notre voiture se trouve plus haut dans la rue.

Ils sortirent tous les quatre, Madame Scotts verrouilla la porte.

-Bonjour, fit une voix dans leur dos.

Ils se retournèrent vers deux personnes habillées en civils, qui avançaient vers eux. L’un d’eux exhiba une plaque de la police de New York. Paul cligna des yeux. Comment ? Deux visites de flics dans la même journée ?

-Police. Nous sommes les lieutenants Hawkins et Kehlar. Nous aurions quelques questions à vous poser…

-Encore ? s’étonna Paul.

Cardwell s’interposa entre lui et les deux nouveaux policiers, sourcils froncés.

-Lieutenant Hawkins… Mon coéquipier et moi-même sommes déjà en train de mener l’enquête sur le meurtre du Bronx…

Il fronça à son tour les sourcils.

-Comment ? C’est impossible. À quel commissariat appartenez-vous ?

-Et vous-même ? répliqua-t-elle d’une voix méfiante.

Ils échangèrent leurs plaques, mais cela sembla ajouter de la confusion à l’histoire. La maman de Paul restait en retrait, attendant que les policiers aient fini de discuter, mais lui-même se tenait sur ses gardes. C’était bizarre… Pourquoi donc ces quatre-là étaient sur la même affaire ? Les flics de New York n’étaient pas désorganisés à ce point généralement.

-C’est à n’y rien comprendre, grommela Kehlar.

-Oui, fit Cardwell, l’air troublé, vos papiers sont en règle… (Elle récupéra sa plaque et rendit la sienne au lieutenant Hawkins.) Laissez-moi juste passer un coup de fil à mon chef. Ça éclaircira ce mystère, je pense…

Elle s’éloigna de quelques pas et tourna le dos au groupe, sortant un portable de sa poche. Son collègue la rejoignit…

… et Jane Cardwell fit volte-face, pointant une arme sur Hawkins. Elle tira, Madame Scotts poussa un cri perçant, choquée.

Hawkins fut touché à l’épaule, il lâcha un cri de surprise et de douleur mêlées.

Paul se jeta au sol à même le trottoir. Kehlar sortit son arme et répliqua, se jetant sur le côté pour se mettre à couvert.

Tout s’était passé très vite, Jane et son collègue filaient déjà, ayant profité de la panique pour se tirer.

Ils disparurent au coin de la maison.

-Officier à terre, je répète, officier à terre, fit Kehlar dans son portable. Hawkins a pris une balle dans l’épaule, il me faut une ambulance et des renforts immédiatement !

Putain, mais qu’est-ce qui vient de se passer ?!? songea Paul, complètement paumé.

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