Objet au secours – Chapitre 14

Novembre, cinq mois plus tard

 

Je tirai sur ma cravate, me sentant un peu à l’étroit dans mon costume et ma chemise sans pli, lorsqu’une voix féminine me fit immédiatement relever la tête.

-Tu es très chic, sourit Camilla.

Mon cœur rata un battement, je me levai de suite pour saluer la journaliste. Vêtue d’un tailleur sobre et élégant, elle était ravissante, aussi jolie que dans mon souvenir. Avançant dans le couloir du tribunal flanquée d’un garde du corps, ses talons claquaient sur le marbre noir et blanc.

-Camilla ! bafouillai-je. Je ne m’attendais pas à te revoir… Tu… (Je rougis jusqu’aux oreilles.) Merci, tu es très élégante toi aussi.

Peut-on faire plus pathétique ? Je me serais volontiers mis des baffes, mais cela risquait de me faire passer pour encore plus idiot que je ne l’étais déjà. Pourtant son sourire ne faiblit pas, elle n’eut pas l’air de me prendre pour un nul.

-Merci Ed. Je suis venue afin de témoigner pour la mise en accusation. Toi et Paul aussi, j’imagine ? (Je hochai la tête.) Il est dans la salle en ce moment ?

Le policier chargé de la protéger se posta dos au mur, à quelques pas de nous, nous laissant une certaine intimité. Il marmonna un truc dans sa radio et nous ignora, scrutant les gens passant dans le couloir d’un œil attentif. Je reportai mon attention sur la journaliste.

-Oui. Je crois qu’il me déteste vraiment pour le coup, rigolai-je. Lui qui a des palpitations dès qu’il doit faire un exposé, je te dis pas devant un grand jury ! Le procureur en a bavé pour le coacher…

Son front se plissa, elle se fit soucieuse, et je regrettai instantanément mes paroles.

-Ça doit être tellement dur pour vous de venir au tribunal, dit-elle d’un ton désolé. Je me sens vraiment mal de vous avoir entrainés dans mes histoires…

-Non ! Non, c’est pas dur, c’est… Enfin, je vais pas te mentir, c’est assez intimidant et stressant, avouai-je. Mais on gère. Et puis, c’est pour la bonne cause et tout, pour mettre des méchants en prison… Alors ne te fais pas de souci, tout va bien.

-Tu as quand même été bien amoché à cause de mes problèmes, remarqua-t-elle d’un ton amer. Tu as dû aller à l’hôpital.

Je haussai les épaules.

-Tant que c’est pas à l’étage de la morgue…

Elle leva les yeux au ciel, une ombre de sourire étirant ses lèvres. Redevenant sérieuse, elle posa la main sur le haut de mon bras, je me sentis rougir.

-Je suis contente d’avoir pu t’y rendre visite, souffla-t-elle. S’il vous était arrivé quelque chose, je ne me le serais jamais pardonnée…

-Pas besoin de t’en vouloir pour ça, toussai-je, embarrassé. Je n’avais que des bleus au cou et un peu de difficultés à respirer. (Je me grattai le crâne et grimaçai.) Quand je pense que je me suis évanoui juste pour ça. Ça fait pas hyper chevaleresque…

En réalité, c’était plutôt elle le chevalier valeureux qui m’avait sauvé, et moi la princesse en détresse ! La honte ! Ignorant mes tourments intérieurs, elle lâcha mon bras et me lança un regard sévère.

-C’est normal voyons ! s’exclama-t-elle. Ton cerveau n’était plus oxygéné, cette grosse brute t’avait broyé la trachée. (Son ton redevint plus calme.) Tu as été extrêmement courageux. Tu lui as ordonné de me laisser tranquille, tu t’es interposé entre lui et moi, Paul a pris une arme pour tenir en joue la complice du psychopathe… Ton ami est toi êtes des garçons très courageux.

Je clignai des yeux. Il y avait énormément de chaleur dans sa voix. Je détournai le regard, ne sachant plus où me mettre tant j’étais ravi par ses paroles. Un ange passa, je me raclai la gorge pour reprendre contenance, la rougeur sur mes joues s’étendait maintenant à mes oreilles et descendait le long de mon cou, montrant très clairement à quel point j’étais gêné.

-Je me pose la question depuis cette fameuse nuit… Est-ce que tu as acheté l’arme avec l’argent que je t’ai donné la nuit où nous nous sommes rencontrés ? demandai-je timidement.

Hésitant une seconde, elle acquiesça finalement avec réticence.

-Oui. Au départ je voulais acheter un spray au poivre, pour me défendre si quelqu’un essayait de s’en prendre à moi dans la rue… Mais vu le danger que je courrais… vu le type de personnes qui me poursuivaient, j’ai préféré me munir d’une arme. (Elle se mordilla la lèvre une seconde.) Quand j’étais ado, mon père m’avait appris à charger et à tirer avec un revolver sur des canettes, alors je sais comment me débrouiller avec une arme à feu…

-Voilà pourquoi tu as visé aussi bien, réalisai-je.

Elle eut un rire embarrassé, détournant le regard.

-Pas vraiment ! J’étais morte de trouille et je tremblais. Je l’ai atteint à l’épaule et au visage uniquement parce qu’il se tenait près de moi…

Le tueur avait survécu au tir de Camilla. Elle l’avait touché à la mâchoire, le type ne se nourrissait qu’à la paille à présent et il était devenu très dépendant des cachets anti-douleurs. Il avait un monstrueux trou dans le visage, une vrai gueule cassée…

-Je ne pensais pas que tu avais ça en toi, plaisantai-je pour détendre l’atmosphère.

-Moi non plus, murmura-t-elle. (Elle plongea ses beaux yeux bruns dans les miens, je retins mon souffle.) J’ai dû choisir entre le blesser ou te voir mourir sous mes yeux. Je ne voulais pas qu’il te fasse du mal. J’agirais exactement la même chose si c’était à refaire.

Je déglutis. Elle baissa à nouveau le regard et fixa le bout de ses chaussures. Les gens allaient et venaient dans le couloir, parlant à voix basse, ne nous prêtant aucune attention. Le policier ne nous écoutait pas, ou en tout cas s’il nous écoutait, il faisait semblant de rien, continuant à surveiller les allées et venues des avocats et des témoins potentiels.

-Eh bien… Merci, parce que si tu n’avais pas eu ce genre de réflexes, nous ne serions plus là pour en parler ! Une chance que tu ne te sois pas mis la pègre à dos.

Après que la complice du tueur fut passée par une salle d’interrogatoire, les policiers avaient pu l’identifier grâce à ses empreintes et la faire parler. Hacking et vol d’identité étaient son quotidien, elle était recherchée dans plusieurs États. Après avoir exigé un accord pour obtenir une peine plus légère, elle avait tout balancé, ne semblant pas vraiment attachée au concept de loyauté…

En réalité, l’employé de banque que suivait Camilla et qu’elle avait photographié faisait partie d’un petit club select de businessmen en manque de distractions qui détournaient de petites sommes à leur travail. Ils ne gardaient pas l’argent pour eux car ils n’en avaient que faire. Ils choisissaient ensemble un politicien qui leur paraissait être prometteur et ils lui versaient l’argent détourné en douce pour alimenter sa campagne.

Le politicien en question savait bien évidemment d’où provenait l’argent. Pendant plusieurs années, il avait gagné de plus en plus d’influence et de pouvoir, il avait même engagé des hommes de main pour faire le lien entre les hommes d’affaire et lui. Il voulait plus d’argent, toujours plus, il voulait devenir gouverneur… Et lorsque les businessmen avaient refusé, l’homme de main et tueur avait fait preuve de trop de zèle et en avait liquidé un.

-Pour finir ça n’était ni la mafia, ni le lobby des armes, c’étaient des combines politiques pour faire élire untel plutôt que l’autre, conclut-elle, faisant écho à mes pensées.

Je souris. Paul et moi lui avions fait part de nos théories.

-Ça reste un genre de mafia, donc, haussai-je les épaules.

Un rire spontané lui échappa.

-Pas faux, sourit-elle.

À cet instant, son téléphone émit un bip. Elle consulta l’écran.

-Mince ! L’assistant du procureur veut me parler. (Elle m’adressa un regard désolé.) Je vais devoir y aller…

Je me forçai à ne pas paraître trop déçu.

-Oh. Ben… Courage pour ton témoignage et… à bientôt ? J’imagine ?

Elle me fixa pendant quelques secondes, semblant peser le pour et le contre. À quoi peut-elle bien réfléchir ?

-Dix-sept ans, hein ? (Elle soupira, l’air un peu embêtée.) Bon… J’irai pas en prison pour ça.

Me prenant totalement au dépourvu, elle réduisit la distance entre nous en deux pas et se hissa sur la pointe des pieds. Posant délicatement sa main sur ma joue, elle rapprocha son visage du mien…

Mince, elle est en train de m’embrasser ! réalisai-je, choqué et ravi.

Je fermais les yeux, mon cœur se mis à battre plus vite. Elle sentait le savon et les fleurs fraîches. Ses lèvres étaient d’une douceur inimaginable, je n’avais jamais été aussi heureux de toute ma vie.

-À bientôt, me souffla-t-elle, le rose aux joues.

Elle recula de deux pas, l’air un peu amusé, et s’en alla d’une démarche assurée. Le policier la suivit, me saluant d’un signe de tête au passage.

Aux anges, je la regardai s’éloigner. Elle avait dit « à bientôt » ! Est-ce qu’elle souhaitait me revoir ? J’espérai qu’on aurait souvent l’occasion de se croiser… Bon sang, quelle fille épatante !

-Alors… Tu l’auras eu finalement, le baiser de ta princesse.

Je sursautai. Paul venait de me sortir de ma rêverie.

-Depuis combien de temps es-tu derrière moi ? Tu as déjà fini de témoigner ?

-Oui. D’ailleurs dans un quart d’heure ce sera à toi. Edward passera ensuite, j’imagine, et ils feront appeler Camilla.

-Comment est-ce que ça s’est passé ? m’inquiétai-je.

Il fit une grimace.

-Horrible ! Ils étaient tous là en train de me fixer avec leurs gros yeux, et le procureur et l’avocat de la défense m’ont posé des tonnes de questions… (Il s’épongea le front avec la manche de son costume tout neuf, spécialement acheté pour l’occasion.) Et dire qu’après avoir témoigné devant le grand jury, il va falloir se taper des mois et des mois de procès, la poiiiiiisse…

Je lui tapotai l’épaule, tout sourire.

-Ne t’en fais pas, ça ira vite ! Viens, rejoignons nos mères à la cafétéria. Je te paie un soda et un doughnut.

Il me lança un regard ennuyé.

-Je te trouve drôlement en forme… Quoi, elle embrasse si bien que ça ?

-Imagine que nous nous lançons dans une nouvelle quête, fis-je, ignorant son commentaire désobligeant et l’entraînant avec moi. Toi et moi, la justice moyenâgeuse, un duc corrompu et ses sbires à mettre derrière les barreaux…

-Ah non alors, on sait où elles mènent tes quêtes, merci bien !

J’éclatai de rire. Nous marchâmes côte à côte, il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

-L’aventure continue, conclus-je.

 

Fin

 

Je dédie « Objet au secours » :

À la famille Tanigami, mes geeks préférés ;

Et à HamletMachine et Thisbe, les new-yorkais les plus cool que j’aie jamais rencontré !

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