Objet : au secours – chapitre 6

Nous arrivâmes chez Paul. C’était l’après-midi et il faisait une chaleur à crever.

Nous revenions de notre lycée. Le principal nous avait punis, nous avions dû aller laver notre salle de classe parce que nous avions courbé les cours, balayer le sol et enlever les chewing-gums de dessous les tables. Notre école avait prévenu nos parents que nous n’étions pas venus hier ! Qu’est-ce qu’on s’était fait engueuler !

Mais nous n’avions pas chômé pour autant ! Notre enquête progressait. La veille, j’avais exposé mon plan à Edward et Paul, qui m’avaient suivi sans discuter ‒j’en étais le premier surpris.

En gros, j’avais suggéré au journaliste de glisser un article dans le journal News Daily pour que Camilla le lise. Puisqu’elle n’était joignable ni par téléphone, ni par mail, il fallait utiliser un moyen détourné pour entrer en contact avec elle. Nous pensions tous trois qu’elle était restée à New York. Edward avait appelé son père, qui lui avait dit ne pas avoir eu de nouvelles d’elle depuis plus d’une semaine et à part chez lui, elle n’avait nulle part où aller. De plus, News Daily arrosait toute la côte est avec ses journaux, nous étions sûrs qu’elle en achèterait un, parce que c’est par cet unique biais qu’elle pouvait recevoir des nouvelles de son collègue journaliste.

En comparant nos adresses email, Edward et moi nous sommes rendu compte qu’elles étaient similaires, à deux chiffres près. Lui c’était ed1212-bandana@memail.com et moi ed2121-bandana@memail.com.

-Elle sait que je lis jamais mes mails pros, j’ouvre jamais ma boîte du boulot, nous a-t-il expliqué. Elle a dû se tromper en tapant mon adresse perso…

-Quelle coïncidence quand même ! Combien de chance y avait-il que ça tombe sur moi ?

-Surtout avec une adresse aussi merdique, avait maugréé Paul.

Si elle lisait l’article d’Edward, elle verrait qu’à la fin un mot lui était adressé : « A l’intention de Camilla Dietrich : www.comment-voir-un-mec-se-faire-tuer-et-en-faire-un-scoop-sauf-auprès-de-la-police.com ». Paul avait créé un site à partir de cette adresse (en moins de 10 minutes), avec un champ de saisie vide sur un fonds blanc. Il fallait taper le mot de passe dedans, celui-là même qu’elle m’avait envoyé par mail il y a quatre jours, et un lien apparaîtrait. Il n’y avait que Camilla (et nous autres) qui connaissait le code, personne à part elle ne pourrait accéder à ce lien. Une fois qu’elle aurait cliqué dessus, cela la mènerait directement à un forum de discussion sur un de nos jeux en ligne. C’était tordu, il y avait plein de trucs qui pouvaient foirer : Camilla pouvait passer à côté de l’annonce, elle pouvait ne pas comprendre qu’il fallait mettre son mot de passe dans le site –mais on y croyait. Et le forum de notre jeu en ligne était crypté, il serait très difficile à ses poursuivants de hacker la plateforme pour accéder aux messages que nous nous enverrions…

-Alors ? Elle s’est connectée ? je le pressai.

Il s’assit à son bureau et alluma son écran

-Depuis trois secondes que tu m’as posé la question ? Pour la centième fois, non, fit-il d’un ton blasé. Ed, je recevrai une notification dès qu’elle aura cliqué sur le… oh mince !

-Quoi ? je sursautai. Elle a été sur le site ? Elle est déjà sur le forum ? Quoi, mec, quoi ?!

-Ils ont fabriqué des figurines de mon jeu préféré, mais elles sont hors de prix ! lâcha-t-il en fixant son écran d’ordinateur.

-Imbécile, je fis, agacé. Tu m’as fait flipper !

-Peut-être qu’en chouinant un peu je pourrai demander à mon père de me l’acheter pour mon anniversaire…

Je sortis ma console et me mis à jouer. Le journal avait été imprimé et distribué tôt ce matin. Si elle l’avait lu, elle allait devoir trouver un accès internet pour consulter notre site puis se rendre sur le forum. Edward, Paul et moi-même pensions qu’elle n’avait plus son téléphone portable, ou en tout cas qu’elle ne pouvait plus l’utiliser, sinon elle aurait à nouveau essayé de communiquer avec une personne extérieure après avoir envoyé son mail d’au secours. Paul avait renvoyé la vidéo à la police hier soir avec une adresse email crée spécialement pour l’occasion, en trafiquant son adresse IP pour qu’on ne puisse pas le tracer. Il avait pris toutes les précautions du monde pour qu’on ne parvienne pas l’identifier.

Il ne nous restait rien d’autre à faire qu’attendre.

Mais cette attente me tuait.

On ne savait pas ce qu’il lui était arrivé. Elle avait peut-être déjà été rattrapée par les meurtriers de la vidéo… Elle était peut-être blessée, ou morte ? Pourquoi est-ce que cette histoire m’obsédait autant ? Le sort de cette fille m’importait plus que ça n’aurait dû, et je croyais que je faisais ça uniquement par altruisme désintéressé… mais je me voilai un peu la face.

-Mec, elle est sur le site.

Je bondis hors de son lit (où je m’étais vautré pour jouer) et vins m’asseoir à côté de lui. Il se connecta sur le compte de son jeu en ligne préféré et il envoya un message sur le forum de discussion à l’intention du profil que j’avais créé pour Camilla.

« Salut, ça va ? »

Nous attendîmes une minute. Soudain, elle se connecta et nous écrivit une réponse.

« Je suis vraiment dans la panade, Ed… »

Je serrai l’accoudoir du siège avec mes doigts, Paul déglutit bruyamment. C’était elle ! C’était Camilla ! On lui parlait enfin en face à face –ou presque !

-Il faut la jouer subtile, je dis précipitamment. Il faut qu’on lui dise qui on est sans qu’elle prenne peur et se déconnecte.

Paul écrivit sur son clavier et envoya la phrase suivante :

« Nous sommes des amis d’Edward. Nous avons vu la vidéo et nous voulons vous aider. »

Elle mit quelques secondes à répondre.

« Qui êtes-vous ? »

« C’est nous qui avons reçu votre vidéo. Votre adresse est presque la même que celle de mon ami », s’empressa d’écrire Paul.

Elle ne répondit pas, mais resta connectée, comme si elle était songeuse et évaluait si on pouvait être digne de confiance. À tout moment on risquait de la perdre, je pris le clavier des mains de mon meilleur pote et me mis à taper frénétiquement :

« Edward est inquiet pour vous. Nous lui avons montré la vidéo du meurtre que vous avez filmée. C’est pour ça qu’il a mis cette adresse dans un de ses articles, pour que vous ayez un moyen de nous contacter »

Silence radio ? mais elle ne se déconnecta pas.

« Il nous fait confiance, car nous sommes doués en informatique » je poursuivis, désespéré qu’elle nous croie. « Nous voulons vous aider ! Nous avons prévenu la police et la vidéo a été volée dans leurs locaux, votre appartement a été saccagé… Vous êtes en réel danger ! »

Je fus distrait un instant par un mail reçu sur mon portable. Ah, rien d’important. C’est juste le site du jeu qui me signale que je me suis connecté sur un ordinateur inhabituel. Normal, c’est Camilla qui vient de se connecter depuis un endroit inconnu.

Je laissais ça de côté et me reconcentrai sur ce qui m’intéressait. La journaliste nous envoya sa réponse :

« Vous avez prévenu la police ? Est-ce qu’ils ont décidé d’enquêter ? »

« Oui », je fis. « Et après que la photo ait été volée, nous avons appris par Edward qu’ils continuent d’enquêter. Nous leur avons envoyé la vidéo une seconde fois, de manière anonyme. Espérons qu’ils ne la perdent pas à nouveau ! »

« Seigneur… C’est la première bonne nouvelle que j’ai depuis une semaine ! »

« Edward aimerait entrer en contact avec vous… Est-ce que vous pouvez le faire avec votre téléphone portable ? » j’hasardai.

« Non, je l’ai éteint et caché quelque part, et je ne peux pas aller le récupérer. Il se peut qu’on essaie de me tracer avec. »

Je pinçai les lèvres. Merde. Un peu trop prudente, peut-être, la demoiselle. Paul tapota mon bras pour attirer mon attention.

-Elle peut utiliser son mail pro.

Je transcris immédiatement sa suggestion.

« Non. Je suis retournée sur ma boîte mail hier, et j’ai vu que certains messages avaient été ouverts ou carrément effacés… »

Je fronçai les sourcils.

« Comment ça ? »

« Le brouillon avec la vidéo originale a été supprimé », expliqua-t-elle. « Ainsi que des mails sensibles où je parle de l’enquête que je mène. Du coup, est-ce que c’est vous qui avez fouillé ma boîte mail ? »

-Tu as effacé quelque chose toi ? je demandai à Paul.

-Non, rien. Et toi ?

-Non.

« Ce n’est pas nous qui avons effacé des choses. »

« Je pense que ce sont ces gens sur qui j’enquête, ou ceux que j’ai filmés avec mon portable. Ou les deux. » (Paul et moi frissonnâmes. Qui étaient ces types ?) « Ils ont dû pirater mon compte professionnel. Avez-vous fait une copie du film ? »

« Oui. »

Plusieurs même. Paul était tellement parano que j’en possédai trois copies et lui cinq, dont une clé USB cachée dans son casier au lycée, au cas où. Mais je n’allais pas me plaindre ! S’il n’avait pas pris cette peine, on aurait été bien embêté, puisqu’apparemment l’originale venait de disparaître.

« Bien. Il faut que vous disiez à Edward que je dois lui donner quelque chose. Dites-lui de venir sur Times Square demain à midi. »

« Attendez ! Que devez-vous lui donner ? »

« Je dois filer. Dites-lui bien : demain midi sur Times Square. Au revoir. »

Elle se déconnecta et nous laissa sur notre faim. Je me tournai vers Paul, il semblait pas mal secoué.

-Bon. On doit appeler Edward, je fis d’une voix un peu nouée.

-Et après ? couina-t-il.

-Après ? On va rencontrer Camilla Dietrich !

Il soupira.

-Je crois que j’ai déjà entendu ça quelque part, marmonna-t-il.

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