Under la cathé 8

Grâce à ma bonne nuit de sommeil, mon humeur s’améliora. Mais je faisais toujours des rêves étranges et confus, où les sons m’agressaient et les ombres se mélangeaient en une masse indistincte. C’était très étrange.

 

Je restais fidèle à moi-même, allant au gymnase, m’occupant d’Armelin, faisant mes devoirs, mes rapports avec ma famille s’étaient un peu détendus et mon quotidien était aussi normal qu’il avait pu l’être jusqu’à maintenant.

Enfin, jusqu’à aujourd’hui…

 

Je m’étais réveillé d’humeur neutre ce matin, mais soudainement, à midi, elle changea d’un coup. Le soleil passant par la fenêtre se mit à m’agresser les yeux et je le sentais presque me transpercer la peau pour atteindre mes os. Je changeai de place pour être à l’ombre, mais je n’arrivai pas à calmer ma colère, à fleur de peau et énervé. Je n’avais pas envie de voir qui que ce soit et voulais tuer tout le monde.

 

Malheureusement, j’avais encore trois cours et n’étais pas le genre de gars à sécher sans avoir une bonne raison. Je tentai de me raisonner et me calmer pour supporter mon après-midi en classe avec mes camarades, mais rien n’y fit. Plus le temps passait, plus mon agacement croissait. Le bruit du stylo que Maxence faisait tourner dans sa main m’insupportait, les faux ongles d’Alex sur le bois de la table me donnait envie de les lui arracher un à un et les commentaires chuchotés à mi-voix dans mon dos à propos du cours m’arrachaient des soupires exaspérés. Ne se rendaient-ils pas compte qu’ils étaient bruyants ? Fatigants ? Invivables ? Les minutes défilaient, mes pensées s’obscurcissaient à m’en faire peur. Je m’imaginai foutre le feu à la classe, briser des nuques et balancer mon bureau par terre. Même mon voisin de table le sentait –il me jetait des regards en coin, franchement mal à l’aise.

 

Le poing serré à m’en faire péter les jointures, je levai la main droite, le visage dur.

 

-Madame ? fis-je, tendu comme un arc. Est-ce que je peux aller aux toilettes ?

 

La prof d’histoire me lança un regard inquisiteur par-dessus ses lunettes d’intello.

 

-C’est bientôt la pause… Vous ne pouvez pas vous retenir d’ici là ?

 

Il y eut quelques ricanements de circonstance qui me donnèrent envie d’envoyer mon cahier voler à travers la pièce. Je fis non de la tête d’un mouvement sec, elle soupira.

 

-Eh bien allez-y, lâcha-t-elle d’un petit ton fataliste.

 

Je me levai et sortis d’un pas martial. Une fois la porte refermée derrière moi, je me mis à marteler le sol. J’étais furieux contre la prof, furieux contre les élèves, la terre entière et moi-même de ne pas avoir un meilleur self-contrôle. J’avais l’impression d’avoir toujours été en rage et que la violence que je sentais en moi ne faiblirait jamais. Je voulais boxer les murs, j’en avais marre de traverser toujours le même couloir encore et encore depuis le début de l’année. Qu’est-ce qui m’arrivait ?

 

La porte des wc heurta le carrelage et le son que la poignée en métal produisit contre les catelles me procura une satisfaction morbide. Si je ne m’étais pas dominé, j’aurais fait volte-face et aurais saisi le battant pour le renvoyer dans le mur. Comme ça. Juste pour le plaisir.

 

J’ouvris le robinet d’eau et en recueillis au creux de mes mains pour m’asperger le visage, un peu de fraîcheur me fit du bien. Je restai là, immobile, à fixer le lavabo pendant cinq minutes. Mon énervement ne s’en allait pas, il ne faiblissait pas d’un iota. Je tentai de respirer profondément, de me détendre, rien n’y fit. Impossible de me débarrasser de ces pulsions de rage, de ce besoin de me défouler sur quelque chose ou quelqu’un.

La sonnerie retentit, je soupirai. Je reculai d’un pas. Autant partir, des mecs allaient sûrement se pointer et je n’aurai plus la paix.

 

En revenant en classe, je constatai qu’un gars s’était assis sur ma table pour discuter avec une fille. Je fronçai les sourcils – je trouvais cela inacceptable.

 

-Tom, dis-je en interrompant leur conversation, tu es sur ma table. Tu pourrais bouger ?

 

Il me jeta un regard surpris (je n’adresse généralement pas la parole à mes camarades), mais ne bougea pas.

 

-Ça va, je te dérange pas, là. T’as qu’à t’asseoir sur ta chaise Cam.

 

Et il se tourna vers Lily, s’imaginant que l’incident était clos.

 

-Si, insistai-je, ce qui n’était pas du tout dans mes habitudes. Tu me déranges. Dégage.

 

Il fronça les sourcils.

 

-Oh ça va, calme-t…

 

Je le saisis à la gorge, il ne finit jamais sa phrase.

 

Lily cria, je l’ignorai. Tom n’osa pas bouger, j’avais planté mes doigts dans son cou pour l’agripper et le moindre de ses mouvements aurait pu arracher sa peau. Ma main formait une serre, je savais que je lui faisais mal, mais cette pensée était accessoire, secondaire. Tout ce qui comptait pour moi était qu’il m’obéisse. Qu’il comprenne que je lui étais supérieur, que sa misérable existence de mortel ne tenait qu’à mon caprice.

 

Il attrapa mes poignets pour me faire lâcher prise, je clignai des paupières. Qu’est-ce qui me prenait ? D’où me venaient ces pensées ?

 

Je le libérai de suite, interdit. Tom était furieux.

 

-T’es taré ! s’énerva-t-il. Putain, tu m’as fait mal !

 

-Désolé, murmurai-je d’une voix blanche. Je ne suis pas… dans un bon jour.

 

-Espèce de malade mental ! cracha-t-il en s’en allant.

 

Lily passa à côté de moi en me jetant un regard accusateur, je m’assis précipitamment. Je mis ma tête dans mes mains, n’y comprenant rien.

 

Heureusement que la prof était sortie pour prendre un café et qu’elle n’avait pas assisté à la scène.

 

 

À son réveil, Armelin me parut agité. Il nous salua du bout des lèvres, l’air renfrogné. Ma sœur (qui m’avait accompagné ce soir-là) ne se rendit compte de rien, mais je pouvais sentir l’irritation de notre ancêtre. Elle était presque palpable.

 

Cela me troubla plus que je ne saurais l’expliquer. Armelin était toujours d’une humeur neutre, il restait impassible en toutes circonstances, j’avais pu le constater par moi-même lorsqu’il avait tué trois hommes sans ciller. Qu’il puisse ressentir des émotions, et qu’en plus il soit dans le même état d’énervement dans lequel j’avais été toute la journée, me déstabilisait.

 

-J’ai fini, annonça-t-il en revenant après seulement deux heures. Il y en a trois ce coup-ci.

 

Mon aînée écarquilla les yeux. C’était la première fois qu’il en ramenait autant dans un laps de temps aussi court. Je me levai, observant le vampire en silence. Se pourrait-il qu’il se soit défoulé en tuant des gens pour évacuer sa colère ?

 

-Comment vas-tu aujourd’hui Armelin ? lui demandai-je d’un ton badin, guettant sa réaction.

 

Je vis son dos se crisper. Il se tourna vivement vers nous, ne retenant pas sa vitesse surnaturelle comme il avait l’habitude de le faire pour ne pas nous surprendre. Ma sœur eut un mouvement de recul.

 

-Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? cracha-t-il.

 

-Je posais juste la question…

 

-Occupe-toi plutôt des cadavres, me coupa-t-il, excédé. Tu es là pour ça.

 

Il sortit d’un pas rageur, nous plantant là. J’étais pensif : c’était la première fois qu’il s’emportait ainsi contre moi.

 

-Depuis quand est-ce que tu essaies de taper la discuss’ avec lui ? chuchota furieusement mon aînée.

 

Je ne répondis pas, haussant juste les épaules. Elle leva les yeux au ciel.

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