Citation mystère

Une pensée, un morceau de dialogue ou une idée, cette courte citation vient d’un personnage qui n’a pas été créé sur papier, mais qui est pour l’instant seulement dans mon imagination. Qui sait, peut-être prendra-t-il (elle?) vie un jour ?

« C’est comme s’il prenait un plaisir malsain à briser chacune des parties de mon être, mon corps aussi bien que mon âme, réussissant à meurtrir des choses en moi-même dont je ne connaissais pas l’existence –et que je ne pensais pas non plus pouvoir être détruites avec autant d’application… »

–  ???  –

Under la cathé 4

Je ne comprenais rien. Je ne comprenais pas comment j’avais pu me retrouver dans cette situation. Pas parce que j’étais un gars futé et toujours aux aguets… autant ne pas trop se fourvoyer ! J’étais peut-être intelligent, mais je ne possédais pas cette étincelle de vie qu’on admire chez les génies.

Non. Je croyais pouvoir échapper à des ennuis éventuels parce que j’étais un garçon sans histoire. Je ne cherchais des ennuis à personne, je fuyais les gens violents comme la peste… alors pourquoi me retrouvais-je soudainement kidnappé, battu et ligoté à même le sol ?

– Pour la troisième fois, répéta l’homme, où se trouve la planque de ton patron ?

Il portait un jean et un t-shirt gris froissé sous une veste en cuir élimé. Je gigotai sur le sol, peinant à respirer. J’avais le goût de mon propre sang dans la bouche, probablement une côte fêlée, et la position que j’avais par terre me donnait mal à l’épaule.

– Quel… Quel patron ? bafouillai-je.

Il soupira et un de ses hommes de main me décrocha un autre violent coup de pied dans l’estomac. Tout l’air contenu dans mon diaphragme sembla se vider.

J’étais sorti du gymnase vers 18 heures à cause d’un cours qui avait été déplacé et le soleil n’était déjà plus qu’une lumière pâlotte à l’horizon. Sur le chemin, ces types m’avaient abordé, soi-disant pour me demander leur chemin, et l’un d’eux m’avait assommé par-derrière. Je n’avais pas perdu connaissance, mais la douleur avait été suffisamment violente pour m’empêcher de m’échapper. Ils m’avaient jeté dans le coffre d’une voiture et à présent ils « m’interrogeaient » à coup de grandes claques dans le visage.

J’eus peur.

Pour la première fois de ma vie, j’eus vraiment peur.

– Je ne comprends pas ce que vous me voulez ! suppliai-je. Je ne suis qu’un simple étudiant, je n’ai pas de patron !

Le type à la veste en cuir alluma une cigarette, me dévisageant d’un air agacé.

– Tu te fous de notre gueule, morveux. On sait que tu bosses pour Clément. (Il se pencha sur moi, je tentai de reculer malgré mes liens.) On t’a vu lui parler l’autre soir.

Il me choppa par les cheveux et les tordit pour que je le regarde en face. Je serrai les mâchoires pour m’empêcher de gémir, grimaçant.

– Mais qui ?! De qui vous parlez ?!

– De ce putain de Clément Sandoz ! Ce fumier nous a entubés de vingt-cinq mille francs ! (Ses doigts se resserrèrent pour me faire encore plus mal au crâne.) Et un de mes gars t’a pisté la semaine passée, tu es allé enterrer un cadavre pour lui !

Je me figeai.

– Quoi ?

– Je sais pas ce qu’il fait avec ces bonnes femmes, renifla-t-il, s’il les viole ou quoi, mais c’est toujours toi qui t’occupes de te débarrasser des corps. Tu es à sa botte, hein ?

Je clignai des yeux, n’en croyant pas mes oreilles. Ses types m’avaient vu faire disparaître les «repas » d’Armelin. Mais on aurait dit qu’ils le prenaient pour un autre. Qu’est-ce que mon ancêtre trafiquait ? Qui étaient ces espèces de prêteurs sur gages à qui il devait de l’argent ? Et surtout, comment leur échapper et me sortir de ce trou à rats ?

– Ce n’est pas mon boss, mentis-je, c’est mon grand-pè… euh, mon oncle !

L’homme fronça les sourcils et les grosses brutes dans son dos se firent plus attentives.

– Ah ouais ? lâcha-t-il d’un air sceptique. Il est pourtant vachement jeune pour être ton oncle.

– Mon père et lui ont vingt ans d’écart, inventai-je dans une tentative désespérée de le distraire. On se ressemble pas beaucoup, physiquement, mais c’est mon oncle.

– Et alors, grogna-t-il, que veux-tu que ça me foute ?

– C’est pourtant évident ! (Il fallait que je sorte d’ici.) Nous sommes de la même famille. (Que je me dépêche.) Nous… avons le même sang. (VITE.) Donc, logiquement, nous habitons au même endroit !

Quelle logique de merde… D’ailleurs, il ne sembla pas me croire une seconde.

– Quoi ?

– Oui, fis-je vivement, m’enfonçant un peu plus. Nous vivons au même endroit, je peux vous y conduire. Si on y va maintenant, on y sera d’ici…

Son pied s’écrasa sur mon visage, j’eus l’impression que mon nez explosait. Je hurlai malgré moi.

– Ta gueule, aboya-t-il. Arrête de mentir, petit con ! Tu dis des conneries ! Clément vit seul dans une espèce de petit appart ’ miteux, il a pas de famille !

– Je vous jure ! paniquai-je. Croyez-moi !

– Où est-il bordel !? Où … est … Clément !!?

Il ponctua chacun de ses mots par des coups de poing, je ne pus m’empêcher d’appeler au secours –ce qui était complètement ridicule puisque je me trouvais dans un endroit isolé où personne ne pouvait m’entendre.

Soudain, l’atmosphère sembla se figer, même le prêteur sur gages et ses gorilles semblèrent le sentir. Ils se tendirent et se tournèrent vers la porte, comme s’ils avaient entendu un bruit. Je me recroquevillai sur moi-même pour essayer de reprendre mon souffle et atténuer la douleur. En vain.

Il y eut quelques secondes de silence et le battant s’ouvrit lentement. Une silhouette émergea de l’obscurité du couloir, avançant dans la pièce d’une démarche imposante. Il portait un long manteau noir lui arrivant aux genoux, une chemise blanche sans un pli et des pantalons à pinces.

L’homme qui me posait des questions se redressa et lui adressa un sourire suffisant.

– Tiens ! Sandoz ! Nous interrogions justement ton larbin pour savoir où tu te terrais… Quelle coïncidence.

Armelin ne l’écoutait pas. Il me regardait d’un air que je ne lui connaissais pas, un mélange d’attente et de réflexion mêlées, je crois. Je ne suis pas sûr d’avoir interprété son expression correctement. Je le suppliai du regard pour qu’il me vienne en aide -et pendant un court instant je crus qu’il n’interviendrait pas.

– Camille, fit-il doucement. J’aimerais éviter de te traumatiser. Ferme les yeux s’il te plaît.

Je m’exécutai et serrai mes paupières l’une contre l’autre ; une des premières choses que j’avais apprise quand j’avais commencé à m’occuper de mon ancêtre, c’était d’obéir à tous ses ordres, même les plus farfelus. Il tenait à ce que ses demandes ne soient pas discutées parce qu’il se considérait comme bien plus instruit que les autres membres de notre famille. Et c’était vrai qu’il avait des années d’expérience de plus que nous.

– Qu’est-ce que tu racontes Clément ? On doit discuter du pognon que tu… GARGL !!

Les bruits que les hommes produisirent à ce moment-là étaient assez spectaculaires. Et gores aussi. Il y eut un craquement que j’identifiai comme étant une nuque brisée et de monstrueux gargouillis qui évoquaient une gorge coupée qui se vide de son sang…

(Eh oui, j’avais beau avoir un papy vampire, il m’arrivait à moi aussi de regarder des films d’horreur.)

– Tu peux rouvrir les yeux, fit la voix d’Armelin, tout proche.

Je m’exécutai, il s’était accroupi pour détacher mes poignets.

– Ils s’en sont pris à toi ? demanda-t-il.

– Un peu, répondis-je.

Je tremblai encore légèrement. Il ôta les cordes à mes pieds et m’offrit son bras pour m’aider à me relever. Tous les types dans la pièce étaient morts, égorgés ou estropiés. Armelin ne semblait pas s’en formaliser. Il avait même l’air plutôt calme.

– Comment as-tu su que j’étais en danger ? Et que je me trouvais ici ?

Il me lança un regard insondable, et j’eus l’impression qu’il se demandait si oui ou non cela valait la peine de me répondre.

– Tu m’as appelé. (Il pencha la tête de côté.) Tu as dit mon nom et m’as demandé de l’aide. Tu ne t’en souviens pas ? (Je secouai la tête.) Bon. Ça ne fait rien.

Je lui tournai le dos en me grattant la tête, trop épuisé pour chercher plus loin. Je concentrai mon attention sur le moyen de nous débarrasser de ces cadavres encombrants plutôt que sur l’attitude énigmatique de mon ancêtre.

Et là, il fit quelque chose auquel je ne m’attendais pas du tout.

Il immobilisa mes épaules et plongea ses crocs profondément dans mon cou.

Je hurlai.

Happy Halloween (Partie 2)

Happy Halloween (Partie 2)

 

La silhouette encapuchonnée lève immédiatement les yeux vers le premier étage, tous ses sens en alerte.

Narines dilatées, il sait de suite que c’est une fille. Elle sent la crème hydratante, des habits en polyester et elle s’est lavé les cheveux avec du shampoing à la mûre.

Pas de témoin, c’est ce qu’on lui a ordonné.

Il essuie son couteau sur son pantalon et, confiant, commence à gravir les marches.

Il est donc très surpris, quand il se ramasse une serpillère dans la figure. (Après avoir battu son ex à coup de parapluie, Ilona n’est plus à ça près !)

L’homme vacille, déséquilibré, et manque tomber. Elle lui assène alors un coup de serpillère décisif en plein ventre. Cette fois-ci, il ne peut se rattraper à la rampe; il roule en bas des escaliers et se cogne la tête contre un meuble.

Ilona le contourne en courant, se débat avec la serrure et sort, à pieds nus et en t-shirt, dans la rue. Elle réfléchit à la vitesse de la lumière pour considérer toutes les possibilités. La rue est pleine de gens, des enfants innocents et des parents. Personne ne saurait comment gérer cette situation, elle aurait le temps de se faire égorger trois fois avant d’être aidée. Tout le monde crie, rit et s’amuse… aucune aide ne lui sera apportée.

Elle voit du coin de l’oeil l’homme en noir qui sort de sa maison. Tant pis!

Elle se jette dans la foule et essaie de se fondre dans la masse. Malheureusement, on dirait qu’il la suit parfaitement. Il parait même gagner du terrain. Ilona accélère le pas, elle pousse même quelqu’un pour passer.

Malheureusement il n’y a pas que sa lenteur qui la désaventage : le goudron lui brûle les pied, le vent et le froid lui mordent les jambes.

Elle éternue et frissonne. Elle voit une rue transversale et elle se démène pour y arriver. Elle a tellement couru qu’elle ne sait plus où elle est.

Elle réussit à s’extraire de la foule, le meurtrier sur les talons. Elle prend la rue qu’elle avait vue et pique un sprint. Elle jubile. Elle est première de sa classe en course.

Sauf que lui peut aller bien plus vite qu’un simple humain. Cette pousuite ne l’a pas agacé, bien au contraire. Il s’est amusé à la faire courir et à la traquer à travers la foule. Son habilité, sa souplesse et sa rapidité hors du commun lui ont permis de rattraper la jeune femme en moins de deux. Il la ceinture du bras gauche.

Elle se débat. Pas question de se rendre sans lui avoir au moins démonté la tête! Il la retourne, la bloque contre le mur, lui écrasant le thorax de sa main. Peinant à respirer, elle essaie de se débattre. Il sort son couteau et elle s’affole. Sa main (vernie de rose) arrache la capuche de l’homme.

Là, elle ne peut plus bouger. Sa dernière pensée cohérente est : « Si c’est de l’hypnose, je me suis fais avoir comme une quiche! »

L’inconnu a un visage doux, la moitié droite mangée par un tatouage aux motifs celtiques. Mais ce qui retient l’attention d’Ilona, ce sont ses yeux noirs. On dirait deux abîmes. Deux puits sans fonds, dans lesquels elle se laisserait volontier noyer… La pupille et l’iris se confondent.

Un frisson lui parcourt l’échine.

Lui n’esquisse pas un geste non plus. Depuis des années, sa lame n’a jamais flanché, tranchant la chair sans relâche, jour après jour. Mais à l’instant où il a croisé son regard, il a su qu’il ne pourrait la toucher, lui faire du mal…

Il s’observent, ne bougent pas. Il n’y a pas d’animosité entre eux.

À part ce couteau, toujours appuyé contre la gorge d’Ilona.

Il parait que les âmes-sœurs, ça n’existe pas. Mais alors, comment nommer ce lien spontané entre lui et Ilona ?

– Désolé, murmure-t-il, mais j’ai reçu des ordres.

Il ne bouge pas, pourtant. Elle non plus, elle attend qu’il pose son arme, car même si son estomac lui dit le contraire, elle est sûre qu’il ne lui fera rien.

– Hem… Tu… tu as… enfin tu connais Steve?

– C’était mon ex, fait-elle froidement.

Il hausse un sourcil, penche la tête de côté et décolle d’un millimètre la lame de son cou.

– C’était? répète-t-il.

L’homme (le jeune homme plutôt) ne retient qu’une chose : elle est célibataire!

– On a rompu. Et il faut dire qu’il est… mort.

– Mort? Non. Il va se régénérer. Fallait que je le… « neutralise », pour le ramener.

– Vous avez une façon TRÈS personnelle pour neutraliser. Et comment ça, il se régénère?

– Mais je lui ai dit de venir! Tu l’as entendu! Il voulait pas!

– T-t-t! Ça veut dire quoi, régénérer?!

Il sourit.

– Oh noooon! Aurait-il omis de te dire certaines choses à son sujet? À voir ta tête, oui.

– J’écoute.

Elle croise les bras et le fusille du regard. Il hausse un sourcil. Les yeux bleus, ça fait pas super effrayant.

Il rengaine son arme et ébouriffe ses cheveux d’ébène mi-longs. Elle ne peut s’empêcher de les comparer avec ceux de son ex: Steve les a bruns et en brosse, ce qui lui donne une tête débile, alors que ce magnifique… euh tueur, les a ondulés (ce qui lui va très bien).

– Pour commencer, je m’appelle Nathan Jones, j’ai 24 ans et je suis chasseur. Les tatouages sur mon visage –que tu n’arrêtes pas de fixer– ça veut dire que j’ai fini ma formation et que je n’ai pas besoin de perm’ pour voyager parmi vous, les humains.

Elle rougit –tout n’est pas perdu, pense-t-il– puis elle se fige.

– Parmi… les humains?

– Les loups-garous sont trop instables pour vivre… « normalement ». Nous sommes trop dangereux. Moi et mes collègues travaillons pour le gouvernement, nous pouvons nous promener dans votre monde lorsqu’on nous donne des missions. Notre actuel président est l’A.S.C.L.C.A, une abréviation pour l’Alfa Suprême et Chef Lycantrope du Continent Américain.

Ilona le dévisage. Taré… complétement taré. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin :

– Les loups « bâtards » –comme Steve– vivent parmi les humains sans réaliser à quel point ils peuvent être un problème si leur nature est révélée. On les recherche, on les contacte discrètement pour leur signaler qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent rejoindre la meute. Malheureusement certains refusent de venir et je dois les… « convaincre » de manière plus musclée.

– Bien sûûûûûr, fait Ilona d’un ton infantilisant. Et après, vous allez dans votre monde magique peuplé de loups-garous, de vampires et de magiciens pour faire la fête tous ensemble !

– Ne te fous pas trop de ma gueule, la prévient-il.

– Ensuite, les petites fées des bois vont illuminer des chanterelles magiques et danser la farandole!

– J’ai plutôt l’impression que c’est toi qui es illuminée.

Avant qu’elle ne continue sa tirade ironique, la main de Nathan se métamorphose.

En patte.

Avec de longues griffes.

Ilona retient son souffle. En un clin d’oeil, la patte redevient une main.

Silence. Une minute passe. Elle est trop choquée pour dire quoi que ce soit. Lui attend sa réaction.

– Mmmh. Je te crois maintenant.

Il a un petit sourire.

– Tu ne diras rien, n’est-ce pas ?

– Qui me croirait ?!

– Donne-moi ta parole !

– Quoi ? D’accord ! Je te jure que je parlerai de notre rencontre à personne.

– Bien. Je poursuis: Steve ne va pas mourir, il doit déjà être en train de se régénérer.

– C’est-à-dire?

– Il guérit très rapidement : dans une heure, il n’aura plus aucune marque.

– Dommage… murmure-t-elle.

Il hausse les sourcils mais n’ajoute rien.

– Viens, je te raccompagne chez toi, finit-il par lâcher.

Ils se dirigent en direction de la maison, mais ils doivent s’arrêter car Ilona tremble.

– Dé-désolée, bredouille-t-elle en claquant des dents. J’arrive plus à me contrôler.

– Ça doit être le choc. Tu as tellement couru…

Il hésite puis ôte son sweat, qu’il lui tend.

– Merci.

Elle l’enfile, encore tremblante, mais elle n’arrive toujours pas à avancer. Il lui entoure la taille du bras et l’aide à marcher. Elle tente de retrouver le contrôle de son corps, mais ce sont les muscles puissants de Nathan qui la soutiennent. Elle se laisse finalement aller contre son torse, pestant contre ses jambes qui la lâchent dans un moment pareil, et ils évitent soudain de se regarder dans les yeux. Ils contournent la rue principale –trop fréquentée– et arrivent chez Ilona.

– Tiens ! T’es passé par la porte cette fois.

– Très drôle. Bon… au travail.

Il la lâche -ce qu’elle regrette- puis s’agenouille auprès de Steve. Il sort une corde de sa poche et commence à lui ligoter les pieds.

Tout en s’activant, il lui parle:

– Comme y’a du sang partout, les flics vont évidemment te poser des questions. Faudra que tu leur dise ça: « J’ai entendu du bruit, comme une fenêtre qui se brise. Je suis descendue puis… plus rien. On m’a peut-être assommée. Je suis teeeellement inquiète ! Trouvez le coupable, je vous en priiiie! » Prend une voix d’hystérique et des yeux hagards, ça marchera encore mieux.

Elle le regarde attacher les poignets de son ex, ayant l’impression de rêver tant la situation est surréaliste.

– Euh…d’accord.

Il se lève et la regarde droit dans les yeux.

– Alors, hem… tu sortais avec lui?

– Ouais.

– Et tu ne savais rien sur sa véritable nature ?

– Non. Nous n’allions pas faire de longues balades romantiques pendant la pleine lune.

– Les loups-garous contôlent leur métamorphose depuis leur naissance. La pleine lune ne joue aucun rôle là-dedans.

Ilona a très bien repéré la lueur de jalousie dans les beaux yeux noirs de Nathan, quand il parle de Steve. Elle sait parfaitement qu’il éprouve quelque chose pour elle ; ils n’arrêtent pas de se lancer des regards en coin, de faire de discrètes allusions pour voir si l’autre réagit. Elle décide de passer à l’action :

– Eeeeet… ta ville, où est-ce qu’elle se situe?

Il se fige, méfiant. Il n’est pas censé révéler ce genre d’information.

– Pourquoi?

– Pour te revoir.

Il se fige encore un peu plus.

– Toi? Tu voudrais me revoir?!

Elle hausse les épaules.

– Il se pourrait bien que… oui.

Il roule des yeux, puis se passe la main dans les cheveux. Il oscille d’un pied sur l’autre, semble peser le pour et le contre, se mordant la lèvre.

– Ici, au Canada en réalité. À Yukon.

Elle a un sursaut d’horreur, mais laisse paraître un minimum d’émotion. Il fait vachement froid là-bas !

(Note de l’auteur : Ilona vit au sud du Canada, le Yukon est une région bien plus au nord.)

– Yu… Yukon. Bien.

Il sourit.

-C’est loin mais je peux reveni…

– Y’a une université à Yukon… je crois.

-Tu serais prête à aller étudier là-bas? s’étonne-t-il. Juste pour moi?

-Ouais. Ça se pourrait bien.

Il sourit encore et se rapproche d’Ilona. Il se penche vers elle et glisse son index sur sa chevelure d’or soyeuse. Il l’embrasse légèrement sur la joue, un courant électrique la traverse.

Soudain il soupire.

-Je ne veux pas qu’on te soupçonne. J’espère donc que tu me pardonneras pour ça.

-Quoi ça?

-Ça.

Il l’assomme.

 

 

Bref, Ilona est réveillée quelques heures plus tard par sa mère, qui lui administre de petites claques sur la joue afin qu’elle revienne à elle. Elle raconte aux policiers exactement ce que Nathan voulait qu’elle raconte, elle joue la comédie devant la nouvelle de l’enlèvement de Steve, puis s’enferme dans sa chambre.

Elle sort un papier de sa poche de pyjama : un numéro de portable accompagné de quelques mots y sont inscrit.

Je reviens te voir pendant les vacances de noël. Tu… je me réjouis de te… salut quoi. N.

Ilona presse la lettre contre son cœur. Deux mois… c’est une éternité…

 

À suivre

 

Note de l’auteur aux lecteurs : J’ai écrit ce texte il y a plus de quatre ans et je l’ai retravaillé il y a peu pour le publier spécialement pour halloween. J’ai corrigé les (nombreuses !) fautes d’orthographes et modifié un peu le scénario mais l’esprit de cette histoire est resté le même ! J’espère sincèrement que ça vous plaira, et que la suite vous intéressera également. Joyeux halloween !

Happy Halloween (Partie 1)

Happy Halloween (Partie 1)

 

Le vent souffle dans les arbres. Les lampadaires éclairent doucement Maxim Street. Les enfants courent de maisons en maisons, la bouche remplie de chocolats et de bonbons.

« Il » tire sur sa cigarette et jette un regard aux alentours. Sa proie n’est pas encore là. L’homme en noir n’a pas peur de la perdre dans la foule ou de la louper. Son odorat et son ouïe ne l’ont jamais trahi.

Dans une maison plus loin, Ilona coiffe ses parfaits cheveux blonds. Elle est seule, ses parents étant sortis pour manger chez des amis, avec sa sœur aînée, sa sœur cadette et son petit frère.

Elle inspecte son reflet dans le miroir : pom-pom girl de son état, les yeux bleus, le corps fin… le prototype de la fille parfaite.

Le prototype de la fille sans cervelle qui se fait massacrer dans la première scène des films d’horreur.

Ce soir, elle porte un short et un t-shirt noir moulant avec un ange aux lèvres rouges dégoulinantes de sang. Ce n’est pas Halloween tous les jours.

Elle va se mettre au lit lorsque soudain un bruit la fait se retourner.

Elle tend l’oreille, mais… plus rien.

Elle hausse les épaules, même si ses tripes lui disent que quelque chose de louche se trame.

Elle éteint la lumière, puis la rallume aussitôt, entendant encore un grattement.

– Qui est là?

Rien.

– Qui est là? Si c’est une blague, c’est pas drôle!

Toujours rien.

Ilona déglutit difficilement. Prenant son courage à deux mains, elle ouvre doucement la porte de sa chambre, centimètre par centimètre pour ne pas faire grincer le battant et alerter un éventuel intrus.

Le couloir est vide. Sombre. Ilona fronce les sourcils et sort de sa chambre, éteignant le plafonnier au passage.

Pas à pas, elle avance dans l’étroit corridor, la moquette l’aidant à être silencieuse. Quand elle arrive en haut de l’escalier, elle plisse les yeux pour distinguer quelque chose. Malheureusement, les rideaux au rez-de-chaussée sont tirés et aucune lumière ne filtre.

Le plus discrètement possible, elle descend les marches, et serrant les dents à chaque fois que le vieux bois craque. Pourvu qu’on ne me repère pas! pense-t-elle.

Inspectant le salon, la cuisine et les placards, elle finit par penser qu’elle est parano.

Elle remonte l’escalier quand elle se rend compte que des bruits de pas proviennent de sa chambre. Le coeur passant à 10’000 pulsations secondes, elle jette un oeil à sa porte. Quelqu’un y est entré et a rallumé le plafonnier.

Oh-ooooh. Elle se précipite dans le hall, saisit un parapluie et remonte en quatrième vitesse. Elle traverse le couloir à pas de loup puis elle saute contre la porte, qui s’ouvre sous l’impacte, et se jette sur l’inconnu en lui donnant de grands coups de parapluie.

– Ilona! Aïe! Arrête! Ouille! Stop!

Steve lui arrache le parapluie des mains pour éviter de se faire éborgner. Ilona se fige immédiatement.

Steve est son ex. Elle l’a largué, car il ne voulait dire à personne qu’ils étaient ensemble. Et en plus il ne parlait que de… ben, de ce qu’elle ne voulait pas faire parce qu’elle trouvait que c’était trop tôt.

Il était parti, furieux, claquant la porte.

Le lendemain, la soeur d’Ilona présentait son petit copain, avec qui elle sortait depuis deux mois -un record.

Devinez qui c’était? (Rrrrrroulement de tambourrrrr!) Steve! Et encore aujourd’hui, lui et la soeur d’Ilona filent le parfait amour.

Ce qui reste en travers de la gorge d’Ilona.

– Qu’est-ce que tu fais dans ma chambre, espèce de gorille sans cervelle?

– Je voulais te parler, alors je suis entré par la fenêtre.

– Oh! Évidemment, les portes, c’est tellement démodé!

– J’ai frappé, t’as pas répondu.

Ilona se fige. C’était donc lui. Elle croise les bras et le fusille du regard. Avant tout, conserver un minimum de dignité : elle est en tenue très, trèèèès légère tout de même!

– Peu importe, qu’est ce que tu veux, imbécile?

– Parler avec toi. De nous.

Elle lève les yeux aux ciel.

– Une seconde s’il te plait plaît, j’vais gerber.

– Arrête, tu sais que je n’aime que toi.

– Va te faire…

Avant qu’elle n’explose littéralement, Steve lui prend le visage à deux mains et l’embrasse.

Et il se ramasse un poing dans le ventre.

Les choses qu’Ilona lui dit ensuite sont censurées pour ne pas choquer un public sensible.

– Ilo, je te jure que…

– Non, je suis fatiguée de tout ça, je n’en peux plus.

Un grand fracas retentit et ils se figent. « Quelqu’un » a dû faire voler en éclat une fenêtre pour entrer.

Steve éteint la lumière et sort dans le couloir, Ilona sur les talons.

Il ouvre la porte d’un placard et la pousse à l’intérieur.

– Reste là. Je m’en charge.

– Non! chuchote-t-elle. Je peux très bien…

Il lui claque la porte au nez.

Entre les aspirateurs et les serpillères, elle cherche à tâton la poignée. Avec toute cette poussière, elle va éternuer!

D’où elle est, elle a une vue plongeante sur le salon. Steve parle avec un gars, tout vêtu de noir et le visage dissimulé par une capuche. L’homme en noir est un peu plus petit. Et moins imposant, moins musclé.

Plus le genre de type qui a une souplesse de chat et un cerveau affûté qu’un mec bodybuildé sans rien dans la boîte crânienne.

Ils sont en train de se disputer.

– Arrêtez de me gonfler avec ces histoire. Je n’ai pas besoins d’une « éducation ».

– Tu en as plus que besoin, siffle l’homme. Et si l’A.S.C.L.C.A. l’a décidé, tu viendras.

– Et qui va m’emmener, hein ? Toi ? Je dois faire le double de ton poids.

Ilona s’interroge. Qui est ce mec ? Et l’A.S.C… quelque chose ? Et pourquoi Steve aurait-il besoin d’une éducation –mis à part le fait que ce soit un crétin fini ?

– J’ai des arguments… de taille.

Et il sort un couteau de sa manche.

Ilona sent un hurlement monter dans sa gorge. Le visage arrogant de Steve pâlit. Ce couteau fait bien une trentaine de centimètre et est courbé, comme un sabre.

– Non…

– Oh que si, ricane l’autre. Suis-moi ou sinon je te decou…

Dans un élan de stupidité (ou de courage, c’est pareil), Steve s’élance sur l’homme en noir.

Il se prend la lame dans les côtes.

Ilona est terrifiée. Elle ne peut plus esquisser le moindre geste. On vient de poignarder son ex.

Ce dernier hoquète pitoyablement et s’affaisse lentement sur le sol. Du sang sort de sa bouche et elle pense juste « Maman va me faire la peau si elle trouve des taches sur la moquette. »

Elle se secoue. N’en a-t-elle tellement rien à faire de son ex qu’elle… pense au ménage? Non, ça doit être le stress… la panique, le choc.

Mais le tueur ne s’arrête pas en si bon chemin. Il sort la lame et la plante une deuxième fois.

Dans le ventre.

Steve s’évanouit et Ilona fait un truc.

LE truc qu’il ne faut pas faire dans ce genre de situation.

Elle gémit.

La silhouette encapuchonnée lève immédiatement les yeux vers le premier étage, tous ses sens en alerte.

Under la cathe 3

Je me reposais sur une branche de l’arbre du jardin de la maison familiale. Les oiseaux chantaient, leur douce musique me détendait. Dos au tronc, paupières closes, je savourai la tranquillité de ces petits moments de paradis que la vie nous accorde parfois.

Ma grand-mère sortit de la maison. Je ne la remarquai que lorsqu’elle ferma la porte-fenêtre. J’ouvris paresseusement les yeux et l’observai traverser le jardin de son pas rendu plus lent par l’âge. Elle se dirigea vers le potager, au panier au bras et un tablier autour du cou.

Je cueillis une cerise tandis qu’elle s’attaquait aux mauvaises herbes. Elle ne m’avait ni vu, ni entendu. Je croquai le fruit en regardant le soleil jouer avec ses cheveux gris et qui écrasait ses frêles épaules de ses rayons blancs.

Je me déplaçai et fis pendre mes jambes depuis la branche pour me laisser tomber au sol. Ma grand-mère se retourna, sursautant comme un animal craintif. Elle avait été alertée par le bruit puis apeurée par ma présence, une silhouette menaçante du fait qu’elle reste dans la pénombre de l’arbre.

-Mon petit Camille ! s’exclama-t-elle sur un ton de reproche un peu trop aigu. Ne me surprends pas ainsi en te cachant pour surgir quand je m’y attends le moins ! Pense à mon pauvre cœur !

-Désolé grand-maman, dis-je d’un ton neutre, je ne voulais pas t’effrayer. Je souhaite te poser deux-trois questions…

-Ah ? Sur quoi mon petit ? fit-elle en se penchant pour couper de la salade.

-Armelin.

Elle se figea et je vis nettement son visage ridé et jovial perdre toute couleur. Comme tous les autres membres de ma famille, ses réactions me semblent disproportionnées, sa peur surjouée.

-Tu… tu as vraiment envie de parler de lui ?

L’idée même lui était inconcevable. Je haussai les épaules.

-Est-ce que tu sais depuis combien d’années il nous protège et nous lui rendons service en échange ? Depuis 20 ans ? 100 ans ? Plus ? Est-il réellement notre ancêtre ?

-Je n’en ai aucune idée, je ne veux pas le savoir, marmonna-t-elle très vite. Un jeune garçon comme toi ne devrait pas s’intéresser à « ça ». (J’allais laisser, mais elle lâcha une information précieuse.) Demande donc à quelqu’un d’autre.

Et elle retourna à son jardinage. Toujours debout dans l’ombre du cerisier, je me remémorai alors que ma grand-mère n’était pas dans ma famille depuis sa naissance, qu’elle en faisait partie seulement depuis son mariage. J’aurais meilleur temps de me renseigner auprès de mon grand-père…

Je me dirigeai vers la maison, le soleil de cet après-midi d’automne baignant tout mon corps de lumière. Mes pupilles me brûlèrent jusqu’à ce que je pénètre le salon.

 

Entendant des pas, je me retournai. J’étais en train de relire mon vocabulaire allemand à la lumière d’une bougie, assis à même le sol de la crypte. Mes yeux reconnurent Armelin, toujours habillé élégamment de son pantalon noir sans un pli, de sa chemise blanche immaculée style 18e siècle, de son manteau à col haut et de ses chaussures vernies.

-Tu as terminé ? fis-je en me levant.

Je me dirigeai vers la pelle posée contre le mur, mais il leva la main pour m’arrêter.

-Inutile. Je me suis chargé des cadavres aujourd’hui.

-Oh, m’étonnai-je. Pourquoi donc ?

-J’ai été assez loin… Il n’aurait servi à rien de les ramener à Lausanne, je m’en suis débarrassé sur place.

Il ôta son manteau ainsi que ses chaussures. J’avais remarqué qu’il conservait des habitudes humaines. En se levant au coucher du soleil, il me disait « bonjour » comme s’il commençait sa journée. En allant dormir, il enlevait ses vêtements d’extérieur et marmonnait un « bonne nuit » ensommeillé alors que c’était l’aube.

-Tu peux t’en aller si tu veux. Tu n’es pas obligé de rester si longtemps avec moi.

Je m’appuyai contre la paroi et, renversant la tête en arrière, je lâchai mon vocabulaire sur le sol. J’étais plutôt fatigué.

-Est-ce que ma présence te dérange ?

-Non, dit-il, songeur. Et toi ?

-Non plus. J’aime bien rester en ta compagnie.

Il me dévisagea puis s’assit dans son cercueil.

-Ça me surprend… D’habitude, tout le monde a peur de moi. Surtout ma famille.

-Je n’ai jamais eu peur. Jamais. (Je fixai le sol, un peu gêné par mon aveu.) En réalité…, j’ai de la peine à… ressentir. Les émotions, c’est pas vraiment mon truc.

-Tu es encore un peu jeune pour tomber amoureux, tu as tout ton temps pour cela.

-Non. Disons que… qu’il m’est difficile d’avoir peur, de me mettre en colère, de me sentir heureux. Il faut vraiment qu’il m’arrive un événement marquant pour sortir de cet état neutre que je ressens constamment.

-Ce que tu tentes de m’expliquer, reprit-il, c’est que tout t’indiffère. Je me trompe ?

-Oui, c’est exactement ça. (J’hésitai un instant.) Est-ce mal ?

Un sourire exquis se dessina sur ses lèvres et il joignit ses mains. C’était la première fois que je le voyais exprimer quelque chose.

-Je ne pense pas être celui qui est le mieux placé pour disserter sur le mal… (Il y eut un court silence, je ne voyais pas quoi répondre.) Tu me sembles de plus en plus exténué Camille, changea-t-il de sujet. Quand je sors me nourrir, tu pourrais te reposer dans mon lit.

-Ça me gêne, je n’oserais pas, dis-je (pas très emballé).

-Je m’en voudrais si tu tombais malade à force de t’occuper de moi. Maintenant, rentre te coucher et dors.

-D’accord.

Je rassemblai mes affaires sous un regard pensif. Dans un certain sens, c’était triste que le seul être avec qui j’arrivai à m’entendre fût un monstre centenaire sociopathe et buveur de sang. Mais au moins j’avais quelqu’un avec qui m’entendre, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Under la cathe 2

-…ille.

Je rêvais. L’atmosphère était tendue, les gens autour de moi parlaient et, même si je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, je savais qu’ils avaient peur. Je le savais ; je le sentais à leurs voix plus aiguës et leurs gestes plus brusques qu’à l’accoutumée.

-…mille !

Je bougeai la tête en fronçant les sourcils. Décidément, le bois n’était pas confortable.

Un homme était là, son ton était ferme et intraitable, mais pas menaçant. Moi je m’en fichai, je restai calme, jouant avec mes petits soldats. C’est ce dernier détail qui me fit penser « Et si en réalité il s’agissait d’un souvenir ? »

-Camille !

Je me redressai d’un coup, me réveillant en sursaut. La classe éclata de rire en voyant mon air hagard. Le prof me fusilla du regard, penché sur moi.

-Hein ?

Je me frottai le haut du crâne. Apparemment il m’avait frappé avec son exemplaire de Madame de Bovary.

-Ne dites pas « hein » ! Est-ce la Littérature qui vous endort à ce point, ou mon cours ?

-Les cours ! s’exclama un rigolo au fond de la salle de classe, déclenchant l’hilarité générale.

Je serrai les lèvres pour éviter de bâiller au visage de mon prof de français (il était suffisamment en rogne contre moi, inutile d’en rajouter !) et m’ébouriffai les cheveux d’un geste las.

-Désolé m’sieur… J’ai pas beaucoup dormi cette nuit…

-Encore ! Et peut-on savoir à quoi vous occupez vos soirées ?

-Ça vous intéresse vraiment ?

-Oh oui ! ironisa-t-il. Qu’est-ce qui peut être si passionnant pour que vous y consacriez toutes vos nuits ? Dites-le-nous donc !

J’adorerais voir sa mâchoire se décrocher en lui annonçant que j’ai transporté le corps exsangue d’une femme jusqu’à un chantier où je l’ai négligemment abandonnée dans un trou prévu pour être rempli de béton le lendemain matin… mais je préférai me taire pour qu’il ne me prenne pas pour plus taré que j’en avais l’air.

Face à mon silence éloquent, il secoua la tête d’un air désolé.

-Camille, remuez-vous un peu et suivez mon cours.

-Cam, je rectifiai en marmonnant. Pas Camille.

Nouveaux ricanements. Contrairement à mes pairs qui raccourcissaient leur prénom par esprit pratique, je mettais un point d’honneur à ce qu’aucune de mes connaissances n’utilisât mon nom entier parce que seule ma famille y était autorisée. Premièrement parce que les autres se foutaient de moi, car j’étais un garçon avec un prénom de fille ; et deuxièmement parce que quand on appelait un gars « Cam », on ne s’attendait pas à rencontrer un dangereux sociopathe, plutôt un mec paumé et inoffensif.

La sonnerie me libéra du regard accusateur de mon professeur, je sortis en bâillant de sa salle de classe.

-Hé, Cam ! (Une fille de mon cours me rattrapa et me sourit. Je m’arrêtai de marcher.) Tu serais d’accord qu’on aille boire un truc ensemble ?

Je haussai les sourcils. Elle m’invitait ? Moi ? La jolie poupée du groupe d’espagnol proposait au latiniste asocial d’aller se taper un café, on nageait en plein roman.

-Euh… je suis pas super en avance avec les devoirs… Cette semaine c’est fou la quantité de travail qu’on a…

Ses amies arrivèrent dans son dos, chuchotant entre elles avec des airs perplexes. Ah, elles aussi étaient surprises de l’intérêt que Joanna me portait soudainement.

-Grave ! T’as trop raison ! La semaine prochaine alors ?

Elle avait beau me faire les yeux doux, j’allais refuser. Malheureusement, mon natel se mit à sonner et j’avais interdiction de louper mes appels.

-Écoute… (Un coup d’œil à l’écran m’apprit que c’était mon père. Zut.) OK, va pour la semaine prochaine.

-Super !

Je répondis tandis qu’elle s’en allait d’un pas joyeux :

-Allô ? Qu’est-ce qui se passe papa ?

-Hum… Camille… Je suis obligé de travailler tard ce soir. Tu vois, je me demandai si ça t’ennuierait de… t’occuper de « l’oncle ».

Nous utilisions ce mot pour désigner Armelin et parler de lui librement devant nos amis (le peu que nous avions). Je soupirai en prenant le chemin de la Cathédrale.

-Ouais, mais alors ce week-end c’est toi qui t’en charges ! À force de le veiller un soir sur deux, je ronfle en classe.

-C’est problématique, je te le concède…

-À peine, grinçai-je. J’ai un exposé à préparer pour lundi alors laisse-moi bosser !

Silence au bout du fil.

-… d’accord, lâcha-t-il après une hésitation.

Mon paternel avait peur de notre ancêtre commun (ça n’était un secret pour personne) et il s’arrangeait toujours pour éviter de se retrouver en présence.

-Merci, je soupirai. Tu sais, il ne mord pas ! Et il n’aurait aucun avantage à s’en prendre à nous.

Je ne reçus pas de réponse, mon père devait être sceptique. Je raccrochai et grimpai jusqu’à la Cathédrale.

 

-Toi qui te vente d’avoir lu tous les classiques, qu’est-ce que tu penses de Madame de Bovary ?

Armelin me dévisagea, mi-figue mi-raisin. Il s’assit élégamment dans son cercueil en toussotant, vaguement agacé que j’aie osé lui adresser la parole – moi, simple mortel !- mais condescendit à me répondre.

-Je l’ai lu à sa sortie. Je ne suis pas un grand critique, mon avis est à prendre avec des pincettes. (Il tapota son oreiller immaculé.) Eh bien, c’est un ouvrage qui plaît, mais j’avoue préférer d’autres livres.

Pensant que notre discussion était close, il s’allongea dans sa boîte matelassée et ferma les paupières.

-À sa sortie ? Mais c’était en 1857 ! (Assis sur les marches en colimaçon, je me penchai en avant, légèrement intrigué.) Quand es-tu né papy ? Quel âge as-tu ?

Il ouvrit les yeux, semblant exaspéré par mes questions.

-Je suis fatigué Camille, et je n’aime pas m’épandre en causeries inutiles.

– Dis-m’en plus ! je m’exclamai. Quand as-tu été transformé ? Par qui ? Je te connais presque depuis ma naissance, pourtant je ne sais rien sur toi ou tes origines.

-Je n’aime pas en parler, grommela-t-il.

Il se redressa et tira le couvercle sur lui. Je me levai et pris un ton suffisant.

-Eh bien, si tu refuses de me répondre, j’irai demander à mes parents et mes grands-parents !

Il se figea et me lança un regard mort.

-Fais comme tu veux. Mais ils en savent certainement encore moins que toi. Bonne nuit.

Il referma le cercueil. Je fulminai un instant et m’en allais vivement, gravissant les marches quatre à quatre. Je dus rapidement ralentir à cause de la faible lumière que produisait ma lampe torche. Je déverrouillai la grille et la refermai. Me voilà seul, seul dans la Cathédrale immense, sombre et silencieuse, comme le ventre d’un géant endormi.

Je remontai l’allée centrale d’un pas lent, mains dans les poches, et m’allongeai sur un banc dur pour réfléchir aux paroles de mon « oncle ». Ainsi… J’étais celui qui connaissait le plus de choses sur Armelin. C’était étrange. Jusqu’à maintenant, je pensais que mes grands-parents, forts de leur âge et leur expérience, savaient tout de sa vie. Et de sa mort. À l’entendre, «ça n’était pas le cas.

Je me relevai une demi-heure plus tard en bâillant et sortis par la grande porte. Le soleil m’éblouit, je dus me protéger les yeux avec la main en pare-soleil. C’était déjà le petit jour.

La lumière était définitivement mon ennemie ; et l’obscurité le doux nid où j’aimais me blottir.

Apprenties sorcieres-chap1

Apprenties sorcières (1)

-Je vous en conjure, faites de moi votre Disciple.

Malgré le fait qu’elle soit agenouillée à terre, mains et front au sol, son ton n’est pas le moins du monde suppliant. Elle a parlé calmement, comme si elle récitait une citation ou un poème.

Comme je ne suis pas du genre à m’étonner pour si peu :

-Entre, fais-je en lui tournant le dos et en pénétrant dans ma masure.

Elle se lève, époussetant ses genoux, l’air parfaitement calme. En entendant des coups frappés à ma porte il y a trente secondes, j’ai ouvert le battant et mon regard est tombé sur elle, agenouillée à terre.

Je me dirige vers la cuisinière et mets de l’eau à bouillir dans une casserole plus ou moins propre. Puis je me tourne vers la jeune femme qui attend debout dans ma cuisine/salle à manger/salon.

-Assieds-toi et dis-moi pourquoi tu veux que je fasse de toi ma Disciple. (Elle s’exécute, je m’appuie contre ma cuisinière, bras croisés.) Tu dois savoir que je n’en ai jamais eu -et qu’il va falloir me donner une bonne raison pour changer mes habitudes…

-Je fais partie du clan de la Cascade Pourpre, je m’appelle Daphné et j’aimerais devenir votre disciple.

Je coupe le feu et verse l’eau brûlante dans deux tasses dont le fond est tapissé de feuilles séchées. En posant la tasse devant elle, je vois son regard neutre observer les tatouages sur les muscles de mes bras.

-Au clan de la Cascade Pourpre, l’aîné se voit attribuer le pouvoir du Malheur… Au contraire, le cadet doit se contenter du pouvoir du Bonheur.

J’avale une gorgée. C’est la tradition chez les sorciers : les enfants doivent choisir entre servir le Bien ou le Mal. Parfois, ils se mettent d’accord ou leurs aptitudes naturelles leur désignent la Voie à suivre.

Mais dans la plupart des clans on n’a pas le choix : le pouvoir qui guide notre vie est imposé par des traditions ou par notre famille.

-Et je suis la cadette. (Elle marque une pose dramatique.) Quand ma sœur atteindra 21 ans, elle recevra ses pouvoirs et servira le Mal.

-Et alors ?

-Je veux servir le Mal.

Silence. Elle boit une gorgée de thé et ses yeux se plantent soudain dans les miens, semblant vouloir les transpercer.

-Je suis une personne beaucoup trop mauvaise pour faire le Bien ou le Bonheur. Au contraire, mon aînée n’est pas une fille méchante. Elle culpabilise trois semaines lorsqu’elle écrase une fourmi.

-Sympa ta petite histoire, mais en quoi me concerne-t-elle ?

-J’aurais besoin de vous.

-Je m’en doutais, j’ironise.

-Il me faut un Maître qui accepterait de me transmettre les pouvoirs du Mal avant que ma sœur ne les reçoive, pour la prendre de vitesse. Elle serait donc obligée de servir le Bien. Mais évidemment les membres de ma famille n’accepteraient pas.

-Et moi oui ? je m’étonne.

Elle ne répond pas tout de suite, fixant le liquide fumant dans sa tasse.

-Vous êtes un grand sorcier Nerabass…

-Les flatteries ne fonctionnent pas avec moi.

– … mais vous n’êtes pas quelqu’un de… « conventionnel « . Exactement comme moi. J’ai souvent entendu dire… que vous suivez votre Voie à la perfection. Que tourmenter les hommes est votre seconde nature . Que l’herbe se dessèche sous vos pas. Que votre famille entière tremble devant votre puissance et qu’il n’existe pas de sorcier ou sorcière égalant votre puissance.

J’éclate de rire.

-Que d’éloges ! C’est très exagéré ! Il y a beaucoup d’êtres ayant des pouvoirs égaux ou supérieurs aux miens. (Mon regard s’attarde sur la minuscule fenêtre sale donnant sur la montagne où je me suis isolé depuis des mois.) Un en particulier…

Elle ne dit rien, je me ressaisis et lui souris d’un air mauvais garçon.

-Je me suis accordé des vacances il y a cinq mois, ou plutôt une retraite forcée provisoire pour jouer les ermites et réfléchir. Mais je suis un homme d’action ! Admettons-le, je me fais chier comme un rat mort ici! Un peu de compagnie -féminine qui plus est – ne peut pas me causer du tort.

Elle reste un instant interdite, ne comprenant pas tout de suite.

-Vous acceptez de faire de moi votre Disciple ?

-Je dois te prévenir : je suis narcissique, intenable, borderline, pas sortable, exigeant, crasseux, un poil pervers et totalement insupportable. En plus, je n’ai jamais eu de Disciple, je ne saurais pas que t’apprendre.

-Vous n’êtes pas obligé de m’enseigner quoi que ce soit. Faites de moi une Servante du Malheur et je m’en irai en vous laissant tranquille.

Je ne souris plus et, m’approchant, je prends mon ton le plus sérieux.

-Non, ça ne serait pas… « utile». Tu ne suivrais pas correctement ta Voie. (J’ébouriffe mes cheveux corbeau.) Je suis assez à cheval sur l’assiduité et le travail que doit fournir n’importe quel sorcier. Et il vaudrait mieux pour toi que tu sois sincère, que tu ne retournes pas chez toi en pleurnichant parce que la tâche est trop dure… voire dangereuse ou effrayante.

Son regard se durcit.

-Je ne faillirai pas.

J’ai un petit rire. Sans être attiré physiquement par cette gamine, je ressens de l’affection pour elle.

-Tu sais quelle est ma dernière folie en date ? je susurre en appuyant mes paumes sur la table, me penchant vers elle. C’est un acte qu’aucun sorcier ou sorcière n’a osé tenter depuis quatre siècles.

Elle secoue la tête en signe de dénégation. En dépit de son visage impassible, je sens clairement sa curiosité. J’ouvre lentement la bouche et tire la langue pour lui montrer le motif complexe tatoué dessus : un pentagramme ornementé de symboles complexes.

Ses yeux verts remontent sur les miens.

-Je ne m’y connais pas beaucoup, mais ce sort… Est-ce celui qui…

-Oui, fais-je, tout joyeux. toute parole sortant de ma bouche est considérée comme maléfique ! Il me suffit de prononcer une bête malédiction comme « Va au diable ! » ou « Je souhaite que tu crèves ! » pour que cela se réalise.

-La Langue de Cabris, apprécie-t-elle . Tous les malheurs que vous souhaitez aux gens deviennent vrais.

-Toujours partante ? je ricane. (Elle sourit.) Bon. Va poser tes affaires dans la pièce à côté. Y’a un canapé où tu pourras dormir. (Je lui lance un linge et désigne le tas de vaisselle dans l’évier.) En attendant de recevoir tes pouvoirs, essaie de rendre à mes assiettes leur couleur d’origine.

Elle se lève et va mettre son sac derrière la porte. Elle se met ensuite à la tâche sans rechigner.

~~~~~~~~~~~~~~

Avec une craie, je trace un pentagramme enfermé dans un cercle à même la pierre. La lune brille dans le ciel, glacée. Daphné se place au centre de l’immense étoile et s’agenouille. Elle porte une longue robe noire et moi une sorte de soutane de la même teinte, mais brodée de fils argentés.

Je me mets à tracer des mots en latin sur les contours du cercle. Nous attendons minuit – l’heure du crime!

-Tu ne regrettes pas le coup bas fait à ta sœur ? Et à ta famille ? je demande.

-Non. Je suis consciente que ce que je m’apprête à accomplir va les énerver, mais je ne peux pas penser autrement : ma Voie c’est le Mal. J’ai coupé les ponts avec eux et ne les reverrai sans doute plus jamais.

-Est-ce que par hasard… tu les détestes ?

-Pas vraiment. Sauf mon aînée peut-être… Elle m’agace souvent. elle est tellement… gentille, lâche-t-elle d’un ton méprisant.

-Quelle horreur, je fais platement.

-Elle est toujours si bêtement optimiste ! Elle sourit aux gens, elle est sympa avec tout un chacun… Elle ménage aussi la chèvre et le chou, c’est pour cela qu’elle a commencé les entraînements pour la Voie du Mal. Elle ne voulait surtout pas faire de vagues et décevoir nos parents. (Elle renifle.) Personnellement je me fiche de leur avis. Je n’ai pas besoin de leur approbation.

-Quelle force de la nature ! Est-ce ton côté bravache ou ton vrai caractère qui parle ?

-Les deux sont indissociables.

Je pose la craie, et j’observe la jeune femme, mortellement sérieux.

-Si ce que tu me dis là n’est que mensonge… si ça n’est que de la poudre aux yeux tu vas le regretter. Parce que dès que je t’aurai confié tes pouvoirs, dès que nous aurons commis l’irréparable, tu seras rejetée par tous tes proches! Tu seras rayée de la Communauté des Sorciers tout entière, traitée comme une paria. Alors, répète-moi à présent que tu es sûre de toi à 100 %. (Son visage pâle ne trahit aucune émotion.) Tu vois… Ça n’est pas un choix que l’on fait de son propre chef d’habitude.

-Vous parlez pour vous là?

Je détourne le regard.

-Oui, peut-être.

Je saisis un sac et en sors un flacon rempli d’une potion verdâtre.

-Je ne connais pas votre situation… mais je suis une fille que rien n’arrête. J’ai tendance à foncer quand la cause me tient à cœur, et ce, peu importe les risques.

Je débouche le récipient et en verse le contenu tout autour d’elle.

-Je sais, j’ai remarqué ! (Je ricane.) Tu es suffisamment folle pour te tirer de chez toi à 17 ans et venir retrouver un sorcier douteux en espérant vaguement qu’il fasse de toi sa Disciple.

-Pas folle. Déterminée. (Elle m’observe un instant parsemer d’herbes sauvages la pierre en dehors du cercle.) Est-ce que vous… me raconterez un jour ce qu’il s’est passé pour que vous abandonniez votre famille et recherchiez à devenir un des plus puissants sorciers de votre temps ?

-Pas ce soir ! je m’exclame. C’est ta Cérémonie de Transmission de Pouvoir ! (Je lui lance un clin d’œil complice.) Il serait dommage de plomber l’ambiance avec mes histoires de vieillard grabataire et déprimant.

-Vous n’êtes pas si vieux, proteste-t-elle .

-Ah oui ? Pour les gens de ton âge, je suis un fossile bon pour le musée. (J’écarquille les yeux d’un air comique.) Ciel ! 36 ans ! J’ai déjà un pied dans la tombe !

Elle ne se déride pas et m’observe sans même esquisser un rictus. Ça promet…

Je sors un couteau de cuisine, un de ceux que l’on utilise pour découper de la viande. Trente secondes avant minuit…

-Alors… Prête à devenir une Servante du Mal ? je souris.

Elle hoche la tête. Elle colle donc ses bras contre sa poitrine, mains ouvertes sous le menton. C’est la position pour le rituel. À ce moment-là, je remarque que ses doigts tremblent.

J’appuie la lame du couteau contre mon poignet, agenouillé face à elle. Je commence à réciter la formule traditionnelle. Une fine ligne de sang s’élève de ma veine et flotte dans l’air comme un ruban rouge.

Ce fil insolite se met à se mouvoir autour de la tête de Daphné. Elle respire de plus en plus fort, ses iris verts fixant le sol sans le voir.

La lumière de la lune frappe le fluide, qui commence à pulser. Je jette une poignée de poudre dessus, mon sang devient noir et vaporeux. Sans cesser de psalmodier, je prononce le nom de mon Maître.

-… Le Malin tu serviras.

Un trait de sang s’approche de son front et entre en contact avec sa peau. Elle hurle.

-… Tu te plieras à sa volonté.

Le liquide se dirige aussi vers ses poignets et y pénètre. Ses cris de douleur redoublent. Je tente de ne pas y prêter attention : je suis moi aussi passé par là. Elle savait ce qui l’attendait. On le sait tous.

Pourtant, c’est ce qu’on veut.

-… Tu obéiras à ses ordres.

Elle se cambre et son regard vide fixe la voûte céleste. Il arrive que la sorcière ou le sorcier qui passe la Cérémonie de Transmission décède -à cause de la souffrance. Les pouvoirs du Malheur ou du Bonheur rejettent le sorcier. Ou le sorcier les rejette. Mais c’est de l’ordre du 1%, il est très rare que ça arrive.

-… Pour lui tu vivras et pour lui tu mourras.

Mon sang entre totalement en elle, elle ne bouge plus. La pulsation malsaine résonnant à nos oreilles s’arrête et sa tête retombe sur sa poitrine d’un mouvement sec.

J’attends un instant. Elle papillonne des paupières et m’observe à son tour d’un air hagard.

– C’est terminé ?

– Oui. À présent nous allons commencer ta Formation. « Moi, Nerabass, déchu du Clan de la Branche de Cerisier, je serai ton Maître. »

– « Et moi, Daphné du Clan de la Cascade Pourpre, je serai votre Disciple. »

Nous nous levons en époussetant nos genoux et effaçons le pentagramme au sol.

~~~~~~~~~~~~~~

Voilà à présent trois mois que j’entraîne Daphné à être une Servante du Mal. Elle est douée, avide d’apprendre et assimile très rapidement mes ordres ou mes explications.

Je dois vous raconter deux-trois choses sur les sorciers avant d’aller plus loin dans cette histoire. Vous devez en savoir plus sur nos coutumes ou vous allez pédaler dans la semoule.

Donc : avant la Cérémonie de Transmission de Pouvoir, un sorcier ou une sorcière possède déjà la capacité d’utiliser sa magie, mais ce n’est qu’après le rituel qu’on arrive à s’en servir complètement.

Les Clans sont d’immenses familles. Chacune d’elle fonctionne de manière différente, il y en a une bonne centaine à travers le monde. Les sorciers préfèrent vivre en communauté, ils se sentent plus rassurés – excepté bien sûr les gens bizarres tels que moi! De temps à autre, ces familles se réunissent pour causer et frimer avec ceux qui sont les plus puissants de leur Clan.

Dans ma propre famille, c’est le Bien qui prime. L’aîné se voit attribuer les pouvoirs du Bien: il est admiré et choyé par les siens. Les cadets sont détestés et rejetés par tous à cause de leur Voie. Après avoir vu pendant 20 ans la moitié de mes oncles et tantes traités en parias, courber l’échine sous les regards noirs et autres remarques désagréables, j’ai décidé de ne surtout pas finir comme eux. J’avais subi assez de dégoût pour toute une vie.

Alors, aussitôt après ma Transmission, j’ai fugué et ai tenté de me trouver un Maître. J’ai sillonné la Terre, essuyant refus sur refus jusqu’à ce qu’une sorcière m’ouvre enfin sa porte. Elle avait peut-être senti le potentiel que je possédais déjà à l’époque…

En constatant ma disparition, ma famille a bien évidemment été en colère. Tout paria qu’il soit, laisser échapper un sorcier du Clan est embêtant. Ils se sont dit que je ne reviendrais jamais et m’ont gentiment oublié…

Dommage ! Je suis revenu en force, telle une armée de pucerons increvables ! Mais de manière indirecte. Ils ont appris que j’ai terminé ma Formation avec brio, ensuite que j’ai vaincu des sorciers très forts en duel. Que j’ai réussi à terrasser un dragon à moi tout seul . Que ceux qui me croisent évitent de rester dans mon sillage, qu’on ne soutient pas mon regard trop longtemps. Bref, qu’en échappant à leur influence je suis devenu incontrôlable, dangereux…. et que je fais du bruit.

Beaucoup de bruit, peut-être même trop.

~~~~~~~~~~~~~~

Nous sommes actuellement sur le toit d’un supermarché. Je ramène mes cheveux en arrière, le vent souffle tellement fort que mon manteau claque dans mon dos avec violence.

-Bon, je soupire. Concentre-toi bien et réessaye le sort. Il faut que la criminalité de ce quartier augmente, et on sait qu’un paysage déprimant est propice aux changements d’humeur. Dessèche-moi cette végétation !

Elle hoche la tête. Elle pose un genou à terre (à toit devrais-je dire !) et le bout de ses doigts effleure le béton. Elle se met à murmurer des paroles en latin, sa magie s’infiltre à travers les murs : les bactéries à l’intérieur des frigos commencent à se multiplier, la moisissure envahit les parois et le béton s’effrite légèrement.

Ses pouvoirs s’infiltrent dans le sol. Les arbres se mettent à se recroqueviller, les racines à durcir… J’arrive à suivre le parcours de ses tentacules insolites et destructeurs.

– Qu’est-ce qui se passe ? je demande en les voyant s’immobiliser.

– Je ne comprends pas, s’étonne-t-elle, on dirait qu’une force extérieure tente de me bloquer.
– Un obstacle ?

-Non, je ressens une sorte de cercle qui m’entoure et m’empêche de m’étendre plus loin.

– Ça signifie qu’il y a quelqu’un dans les parages. Arrête tout, je vais vérifier.

Je ferme les paupières et lance une onde mentale dans les environs pour trouver l’intrus. Normalement les humains dorment à cette heure tardive.

-Ce sont des sorciers. On ferait mieux de…

-Inutile de fuir mon cher.

Deux silhouettes atterrissent sur le toit d’un coup. Avant de ne serait-ce que pouvoir les identifier, la plus petite des deux s’accroupit au sol et frappe le béton du poing. Le sort de Daphné est immédiatement neutralisé et se volatilise. Les nuages se mettent à tourbillonner au-dessus de nos têtes.

-Qui êtes-vous ?! s’exclame ma Disciple en se relevant d’un bond. Et de quel droit vous permettez-vous de bloquer mon sortilège ?

La femme à terre -car c’en était une – redresse le visage vers nous.

-Coucou Daphnie ! sourit-elle.

Daphné se fige puis s’étouffe de rage ; ses globes oculaires sortent de ses orbitent et on aperçoit presque de la bave à ses lèvres.

– Jézabel ?!

– Qui est-ce ? j’interviens.

– Ma Disciple, répond l’autre sorcier en ôtant le capuchon de son sweat.

Bien que je ne l’aie pas vu depuis des années, je reconnais immédiatement mon frère aîné. Toujours ce même regard méprisant, supérieur… et ces cheveux noirs.

-Salut Artie, t’as drôlement vieilli dis-moi ! je lance joyeusement.

-Va te faire mettre !

– L’âge ne t’a en tout cas pas rendu plus aimable, je constate ! (Je me penche vers ma Disciple qui tremble à mes côtés, bouillonnant apparemment de rage contenue.) Je suppose que la jeune personne qui accompagne mon frère est ta grande sœur ?

– Oui ! crache-t-elle. Qu’est-ce que tu fiches là, toi ?! Tu peux pas arrêter de me fliquer!? Si ce sont les parents qui t’envoient, tu pourras leur dire…

-Stop ! rit son aînée en levant la main. Je ne suis pas là en tant que sœur… mais en tant qu’ennemie et rivale naturelle.

– Qu’est-ce que tu racontes encore ?

-Jézabel est ma Disciple, répète mon frangin.

– Comment ? C’est quoi ces bêtises !

– En apprenant le jour même de ma Cérémonie de Transmission que ma chère petite sœur m’a volé les pouvoirs qui m’étaient destinés, j’ai décidé de prendre les choses en main. J’ai su que tu as été acceptée comme Disciple par le tristement célèbre Sorcier Noir Nerabass. Du coup, j’ai été trouver son… parfait opposé.

– J’ai refusé de devenir son Maître jusqu’à ce qu’elle me dise le sale coup que vous lui avez joué, avoue mon frère. L’idée de te mettre des bâtons dans les roues était trop tentante…

– Un « sale coup « ? ricane Daphné. C’est pas le premier, et j’ai pas fini de t’en faire.

-Contrairement à ce que tu crois, je ne suis pas en colère contre toi. (Je hausse les sourcils.) Ou en tout cas, je ne le suis plus.

– Vous me surprenez Jézabel ! je m’exclame. Votre sœur vous a ridiculisé devant votre Clan au complet, non ?

Elle est jolie la frangine… Cheveux d’un brun chocolat à l’aspect soyeux, yeux perçants, posture droite et visage franc. Elle me plaît beaucoup !

– Oui. Mais j’ai réalisé qu’elle ne pouvait pas me rendre un plus grand service. À présent je peux suivre la Voie qui me correspond sans déclencher la colère des miens. Ma pauvre chérie ! Tu t’es discréditée auprès de toute notre famille et je suis la gentille fifille victime des ruses abjectes de sa cadette capricieuse et jalouse.

Daphné hoquète de fureur, j’esquisse un rictus. Cette jeune femme a un sacré caractère ! Elle est plus fourbe qu’elle ne le laisse paraître.

-Qui pourrait être jalouse d’une espèce de truc mou et fade tel que toi!? grince-t-elle.

– Je suis tout le contraire, s’amuse Jézabel ton erreur est de penser que faire le Bien, c’est être faible. Mais la gentillesse est une force. Le Bien est une arme -mon arme ! Et j’te l’prouve !

Elle agite négligemment les mains. De la neige se met à tomber, et très vite le paysage lugubre de la banlieue se transforme en décor de conte de fées.

– Oh, des flocons ! C’est joli !

-C’est tout ce que vous trouver à dire ? s’agace Daphné.

-On a été bluffé, autant admirer la manœuvre sans protester. (Je hausse les épaules en souriant, devant ressembler vaguement à un gosse de cinq ans la veille de Noël.) Joli coup, beauté !

Jézabel rougit et éclate de rire. Artie fronce les sourcils.

– On s’en va, lâche-t-il sèchement.

Je n’arrive pas à la quitter des yeux, occultant totalement mon propre frère.

– J’espère avoir le… plaisir de vous revoir. (Ma Disciple me met un coup de coude.) Quoi ? On remarque tant que ça que je bave avec des yeux de merlan frit ?

– Arrêtez de fricoter avec l’ennemi !

Son aînée me fait un clin d’œil.

-Voyons monsieur Nerabass ! Le Bien et le Mal ne peuvent coexister !

Son ton est ironique, elle ne croit pas un mot de ce qu’elle dit.

– Comment connaissez-vous mon prénom ? je m’émerveille.

-Qui ne le connaîtrait pas, grogne mon aîné, un monstre tel que toi!

Et les deux sorciers disparaissent sur un geste de sa main, juste après que Jézabel m’ait fait un petit signe d’au revoir.

– Dis-moi… Elle est vachement forte… T’es sûre qu’elle a que 21 ans ?

-Non mais, s’exclame Daphné, vous êtes de quel côté !?

– Je remarque simplement que, si elle a un tel niveau après un mois seulement d’entraînement… la Voie du Mal a du souci à se faire…

-Elle se la pète, c’est tout !

Je réfléchis un instant, songeur.

-Si je t’épargne une semaine de vaisselle… est-ce que tu me files son numéro ?

-Quoi ? Vous plaisantez ? Elle a l’âge d’être votre fille.

– Tu exagères ! Bon, deux semaines ? T’es d’accord ?

-Non !

– Trois ?

– Non ! C’est une cruche fadasse qui collecte des vêtements pour les SDF pendant ses vacances ! Vous n’iriez pas ensemble !

Je souris en observant la neige qui tombe toujours autour de nous, étrangement de bonne humeur !

J’attends la suite avec impatience…

Under la Cathé

Fuyant la chaleur estivale étouffante de cet été naissant, je me faufilai par la porte en bois de l’immense édifice religieux. La température chuta d’au moins dix degrés, je pus retirer ma casquette et mes lunettes de soleil. Mes pupilles se dilatèrent immédiatement -comme celles d’un chat- pour que je m’habitue à la pénombre.

Je continuai ma route, traversant l’allée de pierres plates à grandes enjambées, comme si mon corps connaissait déjà le chemin par cœur, trop habitué à le parcourir chaque semaine. Je tournai à gauche devant l’autel, ignorant un couple de touristes s’extasiant sur un vitrail.

Je contournai alors l’autel et m’immobilisai devant une grille encastrée dans un mur à ma droite. Je sortis une vieille clé à moitié rouillée de la poche arrière de mon jean et ouvris la porte, non sans vérifier que personne ne me regardait. Je me glissai comme une ombre dans l’obscurité la plus totale et tirai la grille vers moi pour la verrouiller ensuite de l’intérieur, m’enfermant moi-même.

En tentant de faire le moins de bruit possible, sur la pointe des pieds et à tâtons, je descendis l’escalier raide, rendu humide et poussiéreux avec le temps. Je sentais le vide sous moi et il n’y avait aucune rambarde à laquelle me raccrocher. Après ce qu’il me parut être une éternité de descente, mon pied rencontra le sol et non le vide qui précède une marche. J’allumai mon briquet et mis le feu à une torche posée par terre, que je posai sur un présentoir accroché au mur. Elle éclaira le cercueil à mes pieds et les murs de la crypte étroite.

J’attendis. J’attendis encore, les heures passant. Je sus que le soleil s’était couché au moment où le couvercle du cercueil glissa.

-Bonjour Armelin, fis-je calmement en jouant avec ma casquette.

-Bonjour, bâilla-t-il.

-As-tu bien dormi papy?

Il se fâcha.

-Ne m’appelle pas ainsi, tu me rajeunis.

-Dois-je t’appeler arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père ? C’est long.
Il ne répondit pas.

-Viens me rejoindre dans trois heures, j’aurai fini d’ici là.
-Bien.

-Tu peux te reposer dans mon lit si tu le désires…
Mon regard tomba sur le cercueil.

-Non merci, je m’en passerai.
Il disparut. Trois heures plus tard donc, je le rejoignis en haut, dehors.

-Où as-tu été cette fois ? demandai-je.

-À la discothèque du centre. Le « MAD « . Il y a toujours de quoi se servir.

-Pas faux… commentai-je .

Il me considéra un instant de son regard mort.

-Je préfère quand tu viens à la place de ton père.

-Je sais, tu me l’as déjà dit.

-Bien, conclut-il, indifférent, à demain, je pense .

Je posai la pelle prise dans la crypte et la posai en équilibre sur la pile de corps entassés dans la brouette qu’Armelin avait empruntée, puis la soulevai.

-Oui… À demain, dis-je dans le vide -il était déjà parti.

Partie d’echecs entre la Vie et la Mort

Une petite fille est allongée sur une table. Elle porte un masque et a le ventre ouvert. Il y a des inconnus penchés au-dessus d’elle, tous habillés de robes vertes stériles et portant des gants en caoutchouc. Ils semblent si concentrés qu’ils ne remarquent pas l’homme et la femme assis par terre dans un coin de la pièce. Mais peut-être n’arrivent-ils pas à les voir ?

L’homme est habillé d’un jean et d’un sweat à capuche lui dissimulant le visage, tous deux noirs. La femme porte une robe blanche et a de longs cheveux blonds. Ils sont penchés sur un jeu d’échecs.

-Sympa ta capuche, cousin, lance-t-elle d’une voix tendue. Elle est nouvelle ? Elle te va plutôt bien.

-Tu répètes sans arrêt les mêmes banalités. Change de disque !

-C’est pour mieux te déconcentrer mon enfant. (Elle tend la main vers un pion, qu’elle avance avec hésitation, les dents serrées.) Je tente le tout pour le tout.

-Échec, lâche-t-il en dérobant le pion avec son fou.

Les hommes en habits verts s’agitent, car soudain les moniteurs se sont affolés. Elle serre le poing gauche en ignorant le sourire amusé de son adversaire. Elle joue sa reine pour bloquer le fou.

-Échec, répète-t-il en déplaçant sa pièce à nouveau.

Les hommes dans le dos de la jeune femme paniquent. Les battements du cœur de la fille se sont arrêtés.

-ÉCHEC ET MAT ! s’écrie-t-elle en abattant violemment sa tour devant le roi noir .

Le moniteur se remet à biper normalement. L’homme, immobile et stupéfait, considère le plateau de jeu comme s’il l’avait trahi.

Elle sourit et s’affale contre le mur, triomphante bien qu’exténuée. Elle a gagné. Elle sursaute en le voyant donner une claque dans le plateau de jeu pour l’envoyer balader. Les pièces s’éparpillent sur le sol.

-Quel mauvais perdant ! raille-t-elle tandis qu’ils se lèvent.

-Tssk ! Je gagne toujours ! À la fin…

-Ouais. À dans huitante ans pour la prochaine partie.

Il a un rictus menaçant. Ils disparaissent dans un claquement de doigts.