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Happy new year bébé (Partie 1)

Happy new year bébé (Partie 1)

 

Ilona Simmons tire ses cheveux blonds en une queue de cheval parfaite et examine son reflet dans le miroir. Mince, yeux bleus et silhouette élancée, tout est normal. Ce qui l’est moins, ce sont ces grands cernes mauves sous ses yeux. Pourtant, elle dort la nuit, et pas qu’un peu ! Elle s’effondre sur son matelas à 20 heures pour se lever difficilement à 7 heures le lendemain. Et ce, depuis plus d’une semaine.

 

Elle sort, emmitouflée dans sa grosse veste d’hiver et son écharpe. Elle se dirige vers la paroisse, frigorifiée. Elle s’est inscrite avant Noël pour aller rendre service au pasteur avec d’autres lycéens, elle en est quasi à le regretter à cause de son manque de sommeil ; elle paierait cher pour être encore dans son lit à ce moment-là !

Elle arrive juste à l’heure et s’assied à la hâte sur une chaise, essayant de ne pas se faire remarquer.

-Tu vas finir par être en retard.

 

Se débattant pour enlever sa veste, elle fusille du regard sa voisine de droite (ce qui est inutile, car ses beaux yeux bleus ne font jamais peur à personne), le pasteur se lève pour commencer la séance d’information.

-Bonjour. Je suis assez pressé au niveau du programme, alors on va faire rapidement les présentations : voici Nolwenn Foster, qui a déménagé ici il y a…?

-Deux jours.

 

Une nouvelle ? Ilona l’a complètement loupée ! Sa voix, venant d’un côté de la salle, est grave et bien posée, assurée. Ilona fronce les sourcils et se penche pour essayer de la repérer parmi le groupe de jeunes, car il lui semble l’avoir déjà entendue quelque part.

 

La peau mate, des yeux noirs insondables, une présence bien marquée et une haute stature, Nolwenn a tout le bas du visage recouvert de tatouages noirs qui s’arrêtent sur ses joues et passent même sur ses lèvres.

 

Notre blonde préférée a un sursaut en la voyant : est-elle un loup-garou ? Elle n’oserait pas aller le lui demander, ça ne se fait pas ! Et elle est peut-être seulement humaine, n’importe qui peut se faire tatouer.

Nolwenn pose son regard calme sur elle et la transperce de ses yeux acérés.

-Mademoiselle Simmons ? On ne dévisage pas les gens de cette manière.

L’intéressée fait volte-face, cramoisie, et tout le monde éclate de rire -sauf la nouvelle.

Elle va me prendre en grippe direct, songe Ilona.

 

Les travaux que leur confie le pasteur sont simples, pourtant la journée se déroule bizarrement. Ilona sent toujours Nolwenn l’observer, et quand elle se tourne pour vérifier, l’autre la dévisage sans gêne. Elle ne se montre pas très amicale avec les personnes qui l’abordent ; elle ne répond que par onomatopées et ne sourit pas, ne semblant pas vouloir se lier aux jeunes.

 

Être fixée ainsi pendant des heures est assez éprouvant, Ilona est vachement contente de retourner à la maison. Une fois au chaud dans l’entrée, elle pousse un long soupir.

 

-Ilona ? l’appelle sa mère. C’est toi ? On est dans la cuisine ! Rejoins-nous.

Nous ? Qui nous ? Il y a une visite surprise ?

-J’te raconte pas la journée que j’ai eue, soupire Ilona en traversant le couloir. On a…

Elle se fige sur le seuil. Nolwenn est assise en face de sa mère, une tasse de café à la main.

-Ton amie voulait te parler alors je l’ai laissée entrer pour papoter. Je ne savais pas que tu correspondais avec elle depuis si longtemps !

 

Ilona, la bouche ouverte, hésite à dire la vérité pour que sa mère vire cette intruse de la maison, mais une chose la décourage rapidement. Nolwenn se tourne vers elle avec une lenteur calculée et soulève le pan de son long manteau, dévoilant un couteau de chasse dans son fourreau.

-Tu ne lui as pas parlé de moi? dit-elle dans un sourire. C’est pas cool ça… On a mangé ensemble la semaine passée pourtant, et on s’échange des mails depuis des mois.

Ilona ne sait pas ce que cette fille veut, mais apparemment elle a envie de jouer à la meilleure copine. Nolwenn risque de les empaler si elle nie, ou pire !

-Franchement, quand elle a sonné à la porte avec tous ses tatouages je me suis dit : « Mais qui est cette grande perche ?! »

-Oui, marmonne Ilona. Au premier abord, on peut se méprendre. C’est une fille très… surprenante.

 

Et plus rapide qu’elle ! Ilona s’est dépêchée de rentrer, mais Nolwenn l’a devancée, et de beaucoup vu qu’elle a eu le temps de boire un café avec sa mère.

-On a des devoirs de vacances à terminer, annonce soudain la grande fille, dépliant son immense corps en se levant.

-Bien sûr, travaillez bien les filles !

La géante chope Ilona par le coude et la traîne à l’étage en lui faisant signe de se taire, un doigt sur les lèvres. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Est-ce une simple détraquée ? Ou une ennemie de Nathan qui veut s’en prendre à la famille d’Ilona ?

Elle pousse cette dernière dans sa propre chambre et s’enferme avec elle.

-T’es plus coopérative que ce que j’pensais.

-Qu’est-ce que tu me veux ? Me tuer ?

 

Elle se laisse tomber sur le lit et -oh miracle !- sourit.

-C’est difficile à croire, mais je suis là pour te protéger.

-Bien sûr…

-Je suis une louve. Tu l’as tout de suite deviné, non ? Je suis une amie de Nathan.

-Comment pourrais-je te croire ?

-Je ne m’appelle pas Nolwenn, mais Ursula.

 

Ilona ouvre de grands yeux. Évidemment ! C’est pour ça qu’elle reconnaissait sa voix, elle l’a entendue dans la clairière il y a une semaine.

-Toi ! Tu es horrible, tu étais prête à me sacrifier pour attraper le vampire !

-Nathan mérite mieux… et il doit se concentrer sur son job, pas s’enticher d’une bête humaine.

-Il n’y a pas de niveau au-dessus de chasseur !

La louve hausse un sourcil, étonnée que cette pauvre fille sache ça.

-Non, admet-elle. C’est vrai.

-Pourquoi es-tu entrée comme ça chez moi et m’as-tu menacée avec un couteau ?

-Je n’aurais jamais blessé ta mère, t’inquiète. Pas seulement parce qu’elle est amusante, mais parce que je savais que tu m’obéirais si je te faisais peur. Je ne voulais pas que tu crées de scandale, c’est pour ça que j’ai recouru à cette méthode.

-Il y une chose que je ne comprends pas…

-Ça ne m’étonne pas venant de toi.

-… pourquoi tu joues les gardes du corps ? termine Ilona en la fusillant du regard.

 

La louve inspire profondément avant de répondre, choisissant bien ses mots :

-Le vampire qui t’a mordu… était très vieux et puissant. Il se trouve que sa salive peut te transformer en goule n’importe quand.

-En QUOI ?!

-Pchhhhhht ! Moins fort !

-Maismaismais… je veux pas devenir une… une goule ! (La blondinette se fige.) Qu’est-ce que c’est d’ailleurs ?

Ursula hésite, sentant que l’autre risque de péter un câble en apprenant la vérité.

-Un genre de… de zombie qui…

-PARDON ?! Quelle horreur !

-Silence !

-J’aime pas les zombies ! C’est dégueu et ça me donne des cauchemars !

-Att…

-J’adore ma vie ! Je veux pas dévorer des gens et devenir…

-Putain ! Laisse-moi terminer mes explications, merde !

 

Ilona la regarde d’un air paniqué et se mord la lèvre, au bord des larmes.

-Tu es ici pour protéger les autres de moi, hein ?

-Aussi oui. Mais principalement pour veiller sur toi. Nathan dit que tu as besoin d’être aidée si d’autres vampires veulent s’en prendre à toi.

-Oh my god.

-Il faut que je te suive 24h sur 24, car d’imperceptibles changements peuvent indiquer une transformation imminente.

-Bouhouhou… (Ilona percute ce que la louve vient de lui dire.) Attends, quoi ? 24h sur 24 ?

-Je dois rester dormir avec toi.

-Oh, mais bien sûr, ironise Ilona. Je vais faire passer en douce une louve de deux mètres pendant la nuit et la faire dormir sur le canapé du sa…

 

Elle s’interrompt au milieu de sa phrase, dévisageant Ursula comme si elle venait de comprendre les lois de l’univers tout entier.

-Quoique… Oui, ça peut passer.

-Hein ?

-Vu que t’as déjà charmé ma mère… je vais lui demander si tu peux rester dormir.

-Madame Simmons est plutôt sympathique pour une humaine… quel dommage qu’elle ait une fille telle que toi.

-Occupe-toi de ta propre mère, OK? Laisse la mienne tranquille.

-Mes parents ont été tués quand j’avais cinq ans.

 

Ilona se fige, la main sur la poignée, et bafouille :

-Je… excuse-moi.

L’autre hausse les épaules d’un air détendu.

-Tu ne savais pas. Bon, alors je peux m’installer ?

-Je vais lui demander pour ce soir, elle devrait être d’accord. Mais je ne te veux pas ici pendant dix ans, trouve-toi un autre endroit pour dormir !

-Ouais, ouais.

 

Elle s’allonge sur le lit d’Ilona et joue sur son portable. Pas gênée…

La blondinette dévale les escaliers, une boule dans la gorge. Ursula la déteste, mais elle n’a rien fait pour ça. Elle sort simplement avec Nathan ! On dirait que pour un loup, être avec un humain c’est la dèche.

-Maman ? Ursu… euh, Nolwenn peut-elle rester ici cette nuit ?

-Bien sûr. Je m’en doutais, j’ai déjà rajouté un couvert.

-T’es la best. Ci-mer, rit-elle en collant un bisou sur la joue de sa mère.

Elles montent au grenier pour prendre un matelas. Quand Ursula les voit entrer avec, elle bondit du lit et les aide immédiatement. Une fois la mère de famille partie, les deux jeunes filles font le lit.

-Comment tu connais Nathan ?

 

La louve lui accorde à peine un regard.

-La soeur de son père m’a adoptée.

-Waouh. Ça fait perpèt’.

-Ouais.

-Et vous êtes amis depuis ?

-Ouaich.

-Alors pourquoi ne supportes-tu pas qu’il soit avec moi ? Tu es jalouse ?

 

Ursula se redresse en soupirant et s’étire.

-Non. Mais franchement, une pauvre humaine blonde pleurnicharde… il aurait pu choisir mieux.

-La dernière fois, tu as parlé de filles qui tueraient pour lui, l’interroge Ilona, ignorant l’insulte.

-Oui, car il est fort, beau et intelligent. Il pourrait être l’alfa d’une grande meute, quand il aura cinq-six ans de plus, j’en suis sûre. Se trimballer avec toi va ruiner ses chances.

-Tu méprises les humains.

Ça n’est pas une question… elle a cerné Ursula. Elle les considère comme des choses faibles, fragiles et bêtes à bouffer du foin.

-SOUPER !

 

Ursula ôte son manteau et Ilona rage en voyant son corps parfaitement proportionné, moulé dans un top noir. Cette louve ne semble ni dégingandée ni mal à l’aise dans son grand corps.

Jalousie, jalousie…

 

La grande louve fait sensation en pénétrant dans la salle à manger. Elle dépasse le père d’Ilona d’une bonne tête. Jenna se redresse sur sa chaise, le cadet ouvre de grands yeux et l’aînée retient un mouvement de recul.

-Je suis navrée de m’incruster…

-Non! C’est un plaisir de connaître les amis de nos enfants. Installe-toi à côté de Ben.

 

Ce dernier a la bouche un peu ouverte.

Ursula s’attaque au poulet préparé par madame Simmons et mange de bon coeur. Les autres se mettent à raconter leur journée, tentant de ne pas dévisager l’invitée comme une curiosité touristique :

-Tu te rends compte que Lola m’a demandé pourquoi je ne sors avec personne ! se plaint Jenna. Non mais franchement, quelle idiote !

-Bah… pourquoi ? interroge Ursula, mettant bien les pieds dans le plat.

 

Ilona serre les lèvres; et c’est repartiiiiiii. La complainte de la cadette « lourdingue-et-inconsolable » sur le petit copain disparu.

-Tu vois Nolwenn… mon petit ami a été enlevé le jour d’Halloween. Il y avait son sang sur la moquette de l’entrée.

-Ça a mis une semaine à partir, marmonne Ilona.

-Il a sûrement été victime d’un enlèvement, gémit la cadette en enfouissant son visage dans ses mains. Oh mon dieu! Pauvre, pauvre Steve!

-Moi je me suis fait assommer, tout le monde s’en fout apparemment.

-Le monde ne tourne pas autour de toi Ilona ! s’écrie sa sœur.

 

Ilona en a le souffle coupé. Quoiquoiquoi ? Elle égoïste ? Sa soeur n’inversait pas un peu les rôles ?

-Tu penses pas que ton mec s’est fait la malle ?

Ilona éprouve un soudain élan de sympathie pour la louve.

-Attends, fait Ursula en fronçant les sourcils. Il s’appelle Steve ?

-Ouais. Et?

 

Le regard de la louve-garou devient pensif, tandis qu’elle coule un regard vers Ilona. A-t-elle déjà croisé le jeune loup ? Nathan lui a-t-il raconté quelque chose sur son compte ? Car Steve a créé des problèmes en refusant de se rendre à Yukon pour suivre sa formation et Nathan a dû venir le chercher par la peau des fesses.

 

Enfin, il l’a poignardé et ficelé comme un saucisson pour pouvoir ensuite le kidnapper.

-Nolwenn, ton appétit fait plaisir à voir! rigola la mère en voyant la louve saucer le plat. Mes filles veulent toutes ressembler à des mannequins, ha ha ha!

-Ah ouais Ilo? ricane la goinfre en se léchant le pouce. Moi j’ai toujours une faim de loup ! Tu fais un régime pour plaire à ton petit copain peut-être ?

-J’en ai pas, nie l’autre.

-Tu dis que c’est un pote, mais personne n’est dupe, fait Jenna. Tu as traîné deux jours avec la semaine passée !

-Il n’empêche que c’est mon ami.

-Tu n’oses même pas nous le présenter.

-Il ne veut voir personne. Et si je mange peu, c’est parce que je n’ai pas faim.

Depuis une semaine elle pouvait se contenter d’un repas par jour, sinon elle avait une sensation d’écoeurement qui ne la quittait plus.

-Fais attention à ne pas perdre encore plus. Tu as presque l’air malade, s’inquiète sa mère.

 

Ilona pose sa fourchette et monte dans sa chambre avec Ursula.

-Ai-je gaffé avec Nathan ? Tu n’as pas parlé de lui avec ta famille ?

-Il ne le souhaitait pas.

-Ah ? Et tu lui obéis ?

-Je pense avant tout à son anonymat. Puis mon dernier petit copain voulait aussi garder notre relation secrète alors j’ai l’habitude.

-Steve. Nathan m’a parlé de ton ex, il le déteste. Mais comment se fait-il que ta soeur soit sortie avec ? Je n’ai pas tout suivi.

-Il était avec nous deux en même temps, sauf que nous n’étions pas au courant. Je m’en suis rendu compte après avoir rompu. J’ai renoncé à en parler à Jenna, c’est qu’une gamine écervelée.

Ursula semble songeuse.

-C’est une garce ouais.

 

Ilona s’assied sur son lit, à côté de l’immense louve, pour qui tout paraît simple dans la vie.

-T’as bien cerné le personnage, ouais.

-Tu sais que même avant de t’avoir rencontrée, Nathan me saoulait avec sa nouvelle petite copine ?

-Comment ça?

-Je pensais que c’était une louve. D’habitude il n’en parle pas, et elles se succèdent rapidement. Mais là il me vantait ton courage et le fait que tu lui tiennes tête.

-Vraiment ?

-Ne m’oblige pas à te le dire deux fois…

-On dirait pourtant qu’il me considère comme une quantité négligeable. Il me donne rarement de ses nouvelles.

-Sérieux ? T’as son numéro ? Il le donne jamais. (Ilona ouvre de grands yeux, étonnée.) Tu comptes pour lui, tu passes avant son boulot – ça m’agace d’ailleurs – ce qui n’est jamais arrivé non plus. Il a réellement paniqué quand il t’a vue prisonnière du vampire.

 

Ilona sourit, ravie d’entendre un des proches de son amoureux lui dire de telles choses, malheureusement Ursula n’a pas fini.

-Je vois pourtant que tu ne mesures pas l’étendue de la force d’un loup-garou. Quand nous commettons un meurtre, il est difficile de ne pas céder à l’odeur du sang et de se précipiter sur une autre victime pas loin pour la liquider.

 

C’était pour ça qu’après avoir poignardé Steve, Nathan s’est mis à traquer Ilona dans la rue pour la plaquer contre un mur? En réalité il a, l’espace d’une seconde, essayé de la…

-Il voulait me tuer.

-Quoi ?

-La première fois que je l’ai rencontré, il a failli me trucider, après avoir blessé mon ex avec une arme.

-Oh.

Silence embarrassé, ni l’une ni l’autre ne sait quoi dire. Ursula se demande à présent si Ilona n’est pas un peu dérangée et se promet de ne pas trop lui faire confiance. Quel genre de nana est capable de sortir avec un mec qui a tenté de la tuer !?

 

Elles vont se doucher tour à tour et s’endorment sans plus parler.

Mais dès que le souffle de Ursula devient plus léger, qu’un discret ronflement s’élève de ses lèvres et que toute la maisonnée est enfin silencieuse, Ilona ouvre les yeux.

 

Elle se lève, en short et en top, les cheveux attachés en une queue de cheval lâche et les pieds nus. Elle ouvre son placard, enlève une des planches au sol grâce à un stylo et en sort un long imperméable noir taché et des baskets de la même couleur, qu’elle enfile.

Elle entrouvre la porte et descend les escaliers sur la pointe des pieds avec une discrétion absolue. Elle sort dans le froid après avoir ouvert la porte puis s’en va. Elle court de rue en rue, puis arrive au centre-ville en trois minutes, alors qu’elle n’y parvient qu’en vingt pendant la journée.

 

Elle s’immobilise au coin d’une rue, guettant qui elle va pouvoir attaquer. Elle attend, accroupie, pendant près d’une demi-heure, pour enfin voir une femme d’une trentaine d’années sortir d’un bar, saoule.

 

Elle ne bouge pas, le coeur accélérant à l’idée du goût du sang de l’autre dans sa bouche. Sa peau ferme, son pouls lent et ce liquide chaud, circulant dans tout son système sanguin…

Quand elle dépasse Ilona, la femme n’a aucune chance : se redressant sans bruit, bondissant comme un diable hors de sa boîte, la jeune blonde la renverse et la plaque au sol avec une force surhumaine et plonge deux canines effilées dans sa gorge. La femme ne peut hurler, car la main d’Ilona la bâillonne.

 

En deux minutes à peine, tout le sang est drainé. Ilona contemple son manteau et ses mains humides et sales. Merde, le soleil se lève dans un quart d’heure et il faut encore qu’elle se lave. Elle abandonne le cadavre à même le trottoir sans même un regard en arrière.

 

Retourner à la maison lui prend cinq minutes. Elle cache ses vêtements souillés sous les planches du placard et, jurant secrètement à cause de la louve qui a mis trois plombes à s’endormir et qui va se réveiller d’ici pas longtemps, s’enferme dans la salle de bain. Elle lave ses mains au savon doux, mais frotte vigoureusement, provoquant des rougeurs sur sa peau. Elle se rince dix fois le visage en quatrième vitesse. Elle crème son corps pour couvrir toute odeur de sang et s’enfile sous les couvertures avant que Ursula n’ouvre les yeux.

 

Noël, que du bonheur (Partie 2)

Noël, que du bonheur (Partie 2)

 

Tandis qu’elle s’enfuit, il la chope pour la deuxième fois par le col et fait la seule chose à faire dans sa situation : il pose ses lèvres rêches sur la peau de la jeune fille et enfonce ses canines pointues dans une veine bleue de son cou tendre.

 

Elle hurle de douleur, puis se tait, sonnée. Le poison sécrété par les crocs de John lui ôtant toute volonté.

Nathan se précipite pour écarter le vampire de sa (presque ?) petite amie.

 

Ilona ne voit plus rien, juste une lumière blanche qui l’aveugle. Pitié, pas le paradis… mourir vierge, franchement, quelle honte !

-Ilona, Ilona ? Est-ce que tu vas bien ?

 

Elle ouvre les yeux pour découvrir le visage couvert de tatouages de Nathan. Il a posé sa tête sur ses genoux et lui caresse les cheveux.

Sa main tremble.

– Je… qu’est-ce qu’il s’est passé ?

– Quand j’ai séparé John de ton cou, il est tombé au sol, t’entraînant dans la chute. Tu t’es cogné la tête et nous l’avons empalé. Il est tombé en poussière.

 

Il la soulève comme une poupée de chiffon. (Waaaah ! Il est fort !)

– Ouais ! On l’a enfin eu ! fait la voix de Ursula.

– C’était un peu trop rapide tout ça. Et les vampires se dessèchent quand on les empale, ils ne tombent jamais en poussière.

La silhouette encapuchonnée de la louve hausse les épaules.

– Son esprit rusé légendaire l’aura abandonné. Bon, tu t’occupes d’elle ? À mon avis, tu ferais mieux de la tuer tout de suite pour qu’elle ne souffre pas.

Nathan emporte Ilona un peu plus loin sans répondre, puis il la pose au sol à l’abri du regard de ses collègues. Il la maintient debout, car elle tremble trop et se penche pour lui parler – il fait une tête de plus qu’elle.

– Ilona, qu’est-ce que tu faisais ici ?

– J’allais faire des courses. Et toi, pourquoi tu m’as dit que tu venais me retrouver ?

– Je pensais m’occuper du vampire d’abord et te voir après. On doit causer.

(Oh-oh…) Es-tu vraiment sûre de vouloir sortir avec moi ?

– Hein ?

– Je ne suis jamais là. Peut-être que tu veux voir des garçons de ton âge – humains, de préférence – et qui ne sont pas des tueurs professionnels ?

 

Elle cligne des yeux, n’en croyant pas ses oreilles.

– Tu as quel âge déjà ?

– Vingt-quatre ans.

– Ah. J’avais oublié, c’est vrai.

Elle baisse la tête, les larmes aux yeux. Il n’est pas si vieux que ça, si ?

– Je suis dangereux et pas politiquement correct. Je ne crois pas que ta famille m’apprécierait…

 

Ça y est. De grosses gouttes salées coulent sur ses joues. Elle lutte pour les lui cacher, tête baissée, mais il n’est pas complètement stupide.

– Ilo…

– Pourquoi tu me dis de telles horreurs ? C’est la deuxième fois que je te vois et tu me dis que tu veux rompre ?

– Hein ? Non, non !

– Tu sais, je ne sors pas avec n’importe qui. Et je savais déjà que tu étais une personne dangereuse, vu que tu m’as poursuivie et menacée avec un couteau lors de notre première rencontre. Je t’aime vraiment. Mais si tu préfères aller avec quelqu’un d’autre je ne…

– Non ! Je voulais avoir ta… confirmation. On s’est un peu précipités et je croyais que tu te lasserais d’avoir une relation à distance.

– Je ne suis pas comme ça, se vexe-t-elle un peu.

 

Ses yeux s’adoucissent et il ramène sa tresse blonde derrière son épaule, lui saisissant le menton et murmurant contre ses lèvres :

– Je m’assurais simplement de ce que tu désires vraiment… mais je ne savais pas que tu m’aimais.

La bouche d’Ilona s’ouvre comme celle d’un poisson hors de l’eau et elle cligne des yeux :

– J’ai pas dit ça !!

– Oh que si ! ricane-t-il avec un sourire triomphant.

 

Elle fait la moue. Elle ne supporte pas de s’être livrée aussi rapidement et facilement. Ça lui a échappé, ce qui la perturbe un peu parce que cela ne lui arrive jamais.

– On va se boire un truc ? Non, réfléchit-il, j’ai une meilleure idée : un ciné. Avec ma tête, les gens flippent.

Elle se souvient soudain qu’à la base elle est partie pour faire des courses… Bof, ça attendra.

– Moi j’aime bien tes tatouages. Ça te rend exotique, dit-elle en rougissant comme une pivoine.

 

Il la prend par les épaules en riant et lui plante un baiser sur le haut du crâne.

Ils retournent vers la route, sortant du grand parc et il met sa capuche.

– Alors ? Quoi de neuf ?

– Rien de spécial, je prépare mes exams et supporte ma soeur qui fait une fausse dépression. Ah ! À propos, comment va Steve ?

 

Il hausse les épaules, n’appréciant pas de parler de l’ex de sa girlfriend.

– Il a fait son récalcitrant au début, mais maintenant il file droit.

– En quoi consiste la formation de gens comme toi? fait-elle avec curiosité.

– Moi je savais dès le départ que je deviendrais un chasseur, car j’adore ça. Et rester enfermé ne me convient pas. Alors, je me suis entraîné depuis longtemps pour le combat et la course, puis j’en ai parlé à mes professeurs pour qu’ils ne me fassent pas faire trop de trucs d’intellos.

Ensuite ils nous ont sélectionnés parmi les plus prometteurs, ils éliminaient les plus faibles, les peureux ou ceux qui n’étaient pas faits pour ce job, puis j’ai suivi une formation.

– Et en quoi consiste ton travail exactement ?

– Nous nous occupons de traquer et tuer des vampires, neutraliser des loups en cavale qui peuvent s’avérer dangereux ou amener ceux qui ne savent pas ce qu’ils sont au sein de la meute principale. Mais j’ai aussi joué les gardes du corps une fois.

– Moi je n’ai pas vraiment d’idées pour plus tard.

– Tu veux voir quoi comme film?

– Avengers.

– Je croyais que tu aimais les trucs plus… enfin, plus « fille ».

– C’est ça. Et pourquoi pas les bisounours?

 

Ils arrivent au cinéma et il insiste pour payer les billets. Elle note que son capuchon, assez large, dissimule la partie droite de son visage sans qu’on puisse le trouver louche.

Elle entr’aperçoit soudain une camarade de son cours d’espagnol qui la dévisage avec curiosité. Zut. C’est la pire pipelette du lycée, elle est à l’origine du 3/4 des rumeurs qui y circulent. Ilona aura à se justifier plus tard.

 

Nathan lui offre une boisson et une glace. Il se prend la même chose ainsi qu’un paquet de pop-corn à partager.

– Je viens de voir une connaissance…

– Ah ouais ? T’auras qu’à lui dire qu’on est ami, ta réputation sera intacte.

– Elle ne me croira jamais.

– Tu ne sais pas mentir ? s’étonna-t-il

Ils s’installent dans les fauteuils situés tout à l’arrière, car il aime avoir une vue d’ensemble sur la salle.

– Non, je préfère rester honnête d’habitude, ironise-t-elle.

– Je vais t’apprendre : déjà tu ne dois pas détourner ou cligner des yeux, sinon c’est trop suspect. Regarde-la bien en face et parle-lui sans buter sur les mots. Ensuite, évite de tripoter tes mains, ou de te dandiner. Puis n’insiste pas si elle te vanne. Elle verra que ça ne t’affecte pas et en déduira que je ne suis qu’un pote. Argumenter la conforterait dans l’idée que je sors avec toi.

-Est-ce que tu as dû suivre des cours pour apprendre à mentir aux humains durant ta formation ?

-Bin, en réalité je devais justifier mes retards répétitifs à mes parents le soir.

Elle s’étouffe de rire en buvant son coca. Le film commence.

 

Deux heures, deux glaces et un pop-corn plus tard ils sortent du cinéma.

– Ça te dérange si je ne te prends pas la main ? J’ai la peau plus sensible que les humains et ça me stresse, les contacts physiques…

– Et moi je n’aime pas les démonstrations d’affections au milieu de la rue.

– Je crois qu’on est faits pour s’entendre, lui sourit-il.

– Oui. (Elle est songeuse un instant.) Mais alors, comment fais-tu pour coucher avec quelqu’un ?

Il trébuche.

– Hein ?! Tu penses à quoi là?!

 

Elle hausse les épaules.

– Pure curiosité scientifique. Ça m’intéresse d’en savoir plus sur ton peuple et toi.

Il la regarde de travers et ils continuent à marcher. Le soleil va bientôt se coucher et les passants se dépêchent de rentrer chez eux, contrairement au couple qui flâne.

– Plus je suis longtemps avec une personne, plus je m’habitue à elle, à son odeur, à sa présence… Mais c’est plus simple avec quelqu’un de mon espèce.

 

Il s’arrête brusquement, pris d’un énorme doute.

– Qu’est-ce que tu as ?

– Tu… t’as quel âge Ilona ?

– Dix-huit ans. Pourquoi ?

– Ouf ! Non, pour rien, mais si tu avais été mineure…

– T’aurais rompu ?!

– Non. J’aurais attendu avant de faire ça.

– Ça ?

– Ça !

Il la pousse dans l’ombre d’une ruelle et lui bloque les épaules contre le mur. Il se penche lentement sur ses lèvres et elle lui entoure le cou de ses mains, charmée.

 

 

– Tu rentres à cette heure-ci ?

Il est temps de mettre en pratique les conseils de Nathan : Ilona respire calmement et regarde sa mère dans les yeux, tout en se débarrassant de son manteau.

– J’ai croisé un ami, on s’est maté un ciné.

– Et mes courses ?

– Les voilà.

 

Elle tend le cornet à sa mère et monte dans sa chambre, jubilant de l’avoir bluffée.

– Un « ami », hein ? ricane Jenna, appuyée contre la rambarde de l’escalier. On va te croire, tiens !

– C’est un pote. Mais pour toi, un mec, c’est à usage unique, comme les mouchoirs. Je me trompe ?

 

Sa soeur rougit et s’enferme dans sa chambre. Elle va certainement revenir à la charge, ou se plaindre à leur mère, mais Ilona ne se laissera pas faire. Elle entre dans sa propre chambre et ôte son écharpe devant la glace. Elle remarque une rougeur à la base de son cou, qui ne peut pas être un suçon vu que Nathan l’a juste embrassée. Bah, ça ne doit pas être important. Elle le cachera avec du fond de teint.

 

Elle est sur un petit nuage, car son chéri reste encore le lendemain. Elle pourra manger au restaurant avec lui, ou se balader peut-être ? Comment se préoccuper d’une rougeur quand on vient d’être embrassée par la personne qu’on aime ?

 

C’est néanmoins une grave erreur. Car pendant cette nuit -la nuit précédant celle de Noël – Ilona se lève, obéissant à une voix et sort dans le froid pour accomplir un dessein méconnu.

Au matin, elle ne se souviendra de rien.

 

À suivre

 

 

Note de l’auteur : Les personnes entre 16 et 25 ans reconnaîtront peut-être le titre ! Je n’avais pas du tout fait le rapprochement au début et quand je m’en suis rendu compte, j’ai décidé de le garder, c’est un petit clin d’œil. Pour ceux qui n’ont pas compris, je vous donne un indice : ça a un lien avec le nom de l’héroine…

Joyeux Noël à tous !

Noël, que du bonheur (Partie 1)

Noël, que du bonheur (Partie 1)

 

Une fine couche de neige recouvre Maxim Street. Les arbres, d’où pendent des stalactites, sont gelés, donnant au paysage un air de conte de fées. Ilona Simmons, les joues rougies par le froid, est emmitouflée dans une veste chaude, un bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles et une écharpe autour du cou. Elle a attaché ses cheveux en une tresse indienne.

 

À première vue, cette jolie fille en terminale rassemble toutes les caractéristiques pour être une de ces filles mignonnes –et qui le sait –, pom pom girl et cruche sur les bords.

 

Mais pas Ilona. C’est plutôt sa petite soeur qui est comme ça. Elle lui a piqué son copain (bon, OK, sans s’en rendre compte), c’est une vraie tête de linotte et une fille superficielle. Elles ne s’entendent pas très bien. Ilona préfère son petit frère et sa grande soeur.

 

Elle sort son portable de sa poche pour vérifier encore une fois si elle n’a pas reçu de message. Depuis Halloween, elle sort plus ou moins avec un loup-garou tatoué et vaguement mortel. Le problème est qu’il vit à Yukon, au fin fond du nord du Canada, et qu’il n’envoie jamais de messages (ce qui rend le dialogue difficile).

 

Contrairement à elle qui a les yeux bleus et les cheveux blonds, il est noiraud et ses yeux ébène reflètent son âme de tueur. Toute la partie droite de son visage est couverte de tatouages aux motifs mystérieux qui signifient qu’il peut sortir du territoire des loups-garous.

Il ne lui a envoyé que deux messages en deux mois, mais hier elle a eu la surprise de recevoir quelques mots : demain j’arrive. A +

 

Elle ne sait pas où, quand ni comment. Elle a tenté de lui téléphoner, mais il n’a pas décroché.

Elle arrive à la hauteur de sa maison et entre. Sa mère lui fourre un sac à commission dans les mains, ainsi qu’un billet.

Oh non ! gémit la jeune femme. Je viens à peine de rentrer, et on se les gèle dehors.

-Ton frère et ta soeur ne sont pas encore rentrés.

-Mais Jenna est ici !

 

Sa mère met les mains sur les hanches et regarde sa fille avec sévérité, comme si elle venait de crier « motherfucker ».

– Ta soeur est allée pleurer dans sa chambre.

– On le saura qu’elle a un chagrin d’amour, grince Ilona.

– Que dis-tu?

– Si Steve n’avait pas disparu, je suis sûre qu’elle ne serait même plus avec. Et à part pleurer, elle ne fait pas grand-chose pour le retrouver.

– Ah oui ? Et par où commencerais-tu les recherches ? Il peut être n’importe où !

– Si c’est véritablement la personne que tu aimes, tu dois faire tout ton possible pour la revoir ! s’exclame Ilona un peu trop fort.

 

Sa mère hausse un sourcil.

– Tu n’es jamais tombée amoureuse… à moins que tu ne me dises pas tout.

– Non, maman, se reprend-elle. Je crois juste que Jenna se donne beaucoup de peine dans son rôle de tragédienne grec.

– Tu comprendras ce que sont les véritables sentiments un jour ma chérie, sourit-elle. Mais ça ne risque pas d’arriver si tu passes ton temps enfermée ici ! Tu ne sors pas beaucoup dernièrement. Je sais que tes futurs examens t’empêchent de penser à autre chose, mais fais un effort. Va au cinéma ou ailleurs.

– Tu veux m’obliger à m’amuser ?

– Oui. C’est un ordre !

 

Ilona souffle par le nez pour marquer son mécontentement, lâche son sac d’écoles par terre et sort en traînant les pieds. Elle ne veut pas discuter davantage de garçons avec sa mère, parler de Nathan encore moins, car :

  1. C’est un loup-garou.
  2. Il est couvert de tatouages.
  3. Il a poignardé son ex.
  4. Il ne veut pas qu’Ilona le présente à quiconque. Elle ne doit dire à personne qu’il existe, car il doit maintenir son existence secrète chez les humains.

 

Elle remonte la rue et se dirige vers les magasins. Elle traverse le grand parc près de chez elle, car le chemin est très joli en cette saison.

Mauvaise idée…

Inconsciente du grave danger qu’elle court, elle avance sur l’herbe gelée en zigzaguant entre les troncs, quand soudain elle entend un aboiement. Elle s’arrête, surprise, puis continue son chemin en haussant les épaules.

 

Quelques secondes après, elle voit surgir un homme d’entre les arbres. Il est plus grand qu’elle d’une tête et demie, blond et à une peau translucide. Ilona a un mouvement de recul en le voyant, car il est très impressionnant, avec ses yeux rouges et ses habits sombres et sales.

 

Détail sordide, il n’a ni chaussures ni chaussettes.

– Qui… qui êtes-vous ? bégaie-t-elle.

– Personne d’intéressant. Vous par contre, je pourrais vous utiliser… vous m’avez l’air prometteur.

– Pa… pardon ?

 

Il braque ses yeux inexpressifs vers l’endroit d’où il est venu et de nouveaux aboiements retentissent, plus proche. Il saisit Ilona par le bras et la tire du côté opposé. Elle essaie de se dégager, mais il a une poigne de fer et si elle ne veut pas être traînée par terre, elle doit suivre le rythme effréné de l’inconnu.

– Arrêtez! s’exclame-t-elle. Vous êtes barge ou quoi ?

 

Il s’arrête dans une clairière et elle se penche en avant, mains sur les genoux. Il a fait les Jeux olympiques ce mec ou quoi ?!

– Vous… vous êtes fou. Laissez-moi m’en aller ! Ou j’appelle la police !

 

Il la chope par le col et plaque son dos contre lui. Elle frissonne en sentant son souffle glacé sur sa nuque.

– Lâche-moi s’pèce de pervers !!!

Elle a beau se débattre, il lui a passé le bras autour du cou. Si elle bouge, elle a l’impression d’être étranglée. Ce mec forme une véritable cage vivante, on dirait qu’il est fait de métal.

– Ne bouge plus monstre. Tu es cerné.

 

Une dizaine de silhouettes encapuchonnées encerclent soudain Ilona et l’homme. Ils sont tous de haute taille, mais plus petits que le kidnappeur.

– Aidez-moi ! Je vous en prie !

– Ilona ?

 

Un des gars enlève sa capuche : Nathan, son loup-garou ! Elle est particulièrement contente de le voir, et pas seulement parce qu’elle l’adore. Il est très efficace en combat – elle l’a appris à ses dépens !

-Tu connais cette fille ? Qui est-ce ? Comment te connaît-elle ?

Ilona fronce les sourcils. C’est la voix d’une femme, venant de la droite du jeune homme.

 

Une rivale, déjà ?!

– Alors, Hommes-Loups… Vous connaissez cette jeune personne ? Elle a de l’importance à vos yeux ?

– Ne lui faites pas de mal, John ! dit Nathan. On va trouver une solution.

– Nathan ! On n’a pas besoin d’elle, une victime de plus ou de moins, quelle différence ?

– Mais…

– Obéis, ordonne la louve.

– Ursula, l’Alfa a dit : pas d’humain mort, intervient un autre.

 

Elle grogne comme un animal en colère :

– Mais il a aussi dit que les gens au courant de notre situation peuvent être réduits au silence s’ils nous mettent en danger.

Ilona lâche un cri terrifié ; lors de sa visite à Halloween, Nathan a omis de lui mentionner ce petit détail !

-Tu es censé me garder en vie Nathan ! Je sors avec toi, j’te signale.

Les gens portant des capuches se tournent vers lui comme un seul homme. Il tente de dissimuler sa gêne en toussant. La femme s’appelant Ursula murmure d’une voix sourde, chargée de colère :

– Tu sors… avec une simple humaine ? Avec le patrimoine génétique que tu as ? Tu sais qu’il y a des louves qui tueraient pour toi !? Que vont dire…

– Laisse mes parents en dehors de ça. Je ne suis jamais vraiment sorti avec elle. On a juste échangé nos numéros, rien de plus.

 

Ilona manque s’étrangler de rage. Comment ça, jamais sortis ensemble ? Bon, là-dessus il dit vrai, mais quand ils s’étaient vus à Halloween, il avait l’air de l’apprécier ! Et pas mal, même ! Elle va le dépecer quand elle réussira à échapper au vampire.

Qui sent le moisi. Bizarre. Et le renfermé. Beuh…

-Nathan, aide-moi. Je t’en prie…

Elle concentre toute sa peur dans son regard, le fixant d’un air de chien battu. Il déglutit en essayant de trouver une solution, mais ses compatriotes ne laisseront jamais filer un vampire surpuissant qu’ils traquent depuis des semaines pour une malheureuse humaine. Ça n’est pas de son ressort, car il y a le sang de centaines d’innocents sur les mains de l’immortel.

 

Il tente de jouer sa dernière carte :

– Elle était là au mauvais moment au mauvais endroit, Ursula. Ça ne la concerne pas.

– Vous ne m’avez pas un peu oublié ? fait John d’un ton sarcastique. Bon, on marchande ou pas ?

– Non. Tuez-la, on s’en fout, lâche Ursula.

Ilona sent un trou s’ouvrir dans sa poitrine. Elle va mourir. Et pas plus tard que maintenant.

 

Mais Ilona Simmons ne se laisse jamais abattre, alors elle ne se rendra pas sans blesser au moins une fois le grand blond qui chlingue.

 

– Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii, hurle-t-elle.

Elle se débat pour échapper à l’étreinte de John et elle manque y arriver. Le loup le plus proche est à deux mètres et en se glissant sous le bras du vampire, elle pourrait le rejoindre.

 

Malheureusement, John, bien qu’étant un vieux vampire de 659 ans à l’ouïe très sensible, a plus d’un tour dans son sac. Il est exténué, car les loups le traquent depuis longtemps. Il était désavantagé, car il devait se cacher dans des grottes pendant la journée (d’où l’odeur bizarre) et il a juste pu s’enfuir aujourd’hui, car le ciel était couvert.

 

L’otage qu’il a capturé peut quand même lui être utile malgré le fait que les loups ne veuillent pas la sauver.

Tandis qu’elle s’enfuit, il la chope pour la deuxième fois par le col et fait la seule chose à faire dans sa situation : il pose ses lèvres rêches sur la peau de la jeune fille et enfonce ses canines pointues dans une veine bleue de son cou tendre.

Under la cathé 4

Je ne comprenais rien. Je ne comprenais pas comment j’avais pu me retrouver dans cette situation. Pas parce que j’étais un gars futé et toujours aux aguets… autant ne pas trop se fourvoyer ! J’étais peut-être intelligent, mais je ne possédais pas cette étincelle de vie qu’on admire chez les génies.

Non. Je croyais pouvoir échapper à des ennuis éventuels parce que j’étais un garçon sans histoire. Je ne cherchais des ennuis à personne, je fuyais les gens violents comme la peste… alors pourquoi me retrouvais-je soudainement kidnappé, battu et ligoté à même le sol ?

– Pour la troisième fois, répéta l’homme, où se trouve la planque de ton patron ?

Il portait un jean et un t-shirt gris froissé sous une veste en cuir élimé. Je gigotai sur le sol, peinant à respirer. J’avais le goût de mon propre sang dans la bouche, probablement une côte fêlée, et la position que j’avais par terre me donnait mal à l’épaule.

– Quel… Quel patron ? bafouillai-je.

Il soupira et un de ses hommes de main me décrocha un autre violent coup de pied dans l’estomac. Tout l’air contenu dans mon diaphragme sembla se vider.

J’étais sorti du gymnase vers 18 heures à cause d’un cours qui avait été déplacé et le soleil n’était déjà plus qu’une lumière pâlotte à l’horizon. Sur le chemin, ces types m’avaient abordé, soi-disant pour me demander leur chemin, et l’un d’eux m’avait assommé par-derrière. Je n’avais pas perdu connaissance, mais la douleur avait été suffisamment violente pour m’empêcher de m’échapper. Ils m’avaient jeté dans le coffre d’une voiture et à présent ils « m’interrogeaient » à coup de grandes claques dans le visage.

J’eus peur.

Pour la première fois de ma vie, j’eus vraiment peur.

– Je ne comprends pas ce que vous me voulez ! suppliai-je. Je ne suis qu’un simple étudiant, je n’ai pas de patron !

Le type à la veste en cuir alluma une cigarette, me dévisageant d’un air agacé.

– Tu te fous de notre gueule, morveux. On sait que tu bosses pour Clément. (Il se pencha sur moi, je tentai de reculer malgré mes liens.) On t’a vu lui parler l’autre soir.

Il me choppa par les cheveux et les tordit pour que je le regarde en face. Je serrai les mâchoires pour m’empêcher de gémir, grimaçant.

– Mais qui ?! De qui vous parlez ?!

– De ce putain de Clément Sandoz ! Ce fumier nous a entubés de vingt-cinq mille francs ! (Ses doigts se resserrèrent pour me faire encore plus mal au crâne.) Et un de mes gars t’a pisté la semaine passée, tu es allé enterrer un cadavre pour lui !

Je me figeai.

– Quoi ?

– Je sais pas ce qu’il fait avec ces bonnes femmes, renifla-t-il, s’il les viole ou quoi, mais c’est toujours toi qui t’occupes de te débarrasser des corps. Tu es à sa botte, hein ?

Je clignai des yeux, n’en croyant pas mes oreilles. Ses types m’avaient vu faire disparaître les «repas » d’Armelin. Mais on aurait dit qu’ils le prenaient pour un autre. Qu’est-ce que mon ancêtre trafiquait ? Qui étaient ces espèces de prêteurs sur gages à qui il devait de l’argent ? Et surtout, comment leur échapper et me sortir de ce trou à rats ?

– Ce n’est pas mon boss, mentis-je, c’est mon grand-pè… euh, mon oncle !

L’homme fronça les sourcils et les grosses brutes dans son dos se firent plus attentives.

– Ah ouais ? lâcha-t-il d’un air sceptique. Il est pourtant vachement jeune pour être ton oncle.

– Mon père et lui ont vingt ans d’écart, inventai-je dans une tentative désespérée de le distraire. On se ressemble pas beaucoup, physiquement, mais c’est mon oncle.

– Et alors, grogna-t-il, que veux-tu que ça me foute ?

– C’est pourtant évident ! (Il fallait que je sorte d’ici.) Nous sommes de la même famille. (Que je me dépêche.) Nous… avons le même sang. (VITE.) Donc, logiquement, nous habitons au même endroit !

Quelle logique de merde… D’ailleurs, il ne sembla pas me croire une seconde.

– Quoi ?

– Oui, fis-je vivement, m’enfonçant un peu plus. Nous vivons au même endroit, je peux vous y conduire. Si on y va maintenant, on y sera d’ici…

Son pied s’écrasa sur mon visage, j’eus l’impression que mon nez explosait. Je hurlai malgré moi.

– Ta gueule, aboya-t-il. Arrête de mentir, petit con ! Tu dis des conneries ! Clément vit seul dans une espèce de petit appart ’ miteux, il a pas de famille !

– Je vous jure ! paniquai-je. Croyez-moi !

– Où est-il bordel !? Où … est … Clément !!?

Il ponctua chacun de ses mots par des coups de poing, je ne pus m’empêcher d’appeler au secours –ce qui était complètement ridicule puisque je me trouvais dans un endroit isolé où personne ne pouvait m’entendre.

Soudain, l’atmosphère sembla se figer, même le prêteur sur gages et ses gorilles semblèrent le sentir. Ils se tendirent et se tournèrent vers la porte, comme s’ils avaient entendu un bruit. Je me recroquevillai sur moi-même pour essayer de reprendre mon souffle et atténuer la douleur. En vain.

Il y eut quelques secondes de silence et le battant s’ouvrit lentement. Une silhouette émergea de l’obscurité du couloir, avançant dans la pièce d’une démarche imposante. Il portait un long manteau noir lui arrivant aux genoux, une chemise blanche sans un pli et des pantalons à pinces.

L’homme qui me posait des questions se redressa et lui adressa un sourire suffisant.

– Tiens ! Sandoz ! Nous interrogions justement ton larbin pour savoir où tu te terrais… Quelle coïncidence.

Armelin ne l’écoutait pas. Il me regardait d’un air que je ne lui connaissais pas, un mélange d’attente et de réflexion mêlées, je crois. Je ne suis pas sûr d’avoir interprété son expression correctement. Je le suppliai du regard pour qu’il me vienne en aide -et pendant un court instant je crus qu’il n’interviendrait pas.

– Camille, fit-il doucement. J’aimerais éviter de te traumatiser. Ferme les yeux s’il te plaît.

Je m’exécutai et serrai mes paupières l’une contre l’autre ; une des premières choses que j’avais apprise quand j’avais commencé à m’occuper de mon ancêtre, c’était d’obéir à tous ses ordres, même les plus farfelus. Il tenait à ce que ses demandes ne soient pas discutées parce qu’il se considérait comme bien plus instruit que les autres membres de notre famille. Et c’était vrai qu’il avait des années d’expérience de plus que nous.

– Qu’est-ce que tu racontes Clément ? On doit discuter du pognon que tu… GARGL !!

Les bruits que les hommes produisirent à ce moment-là étaient assez spectaculaires. Et gores aussi. Il y eut un craquement que j’identifiai comme étant une nuque brisée et de monstrueux gargouillis qui évoquaient une gorge coupée qui se vide de son sang…

(Eh oui, j’avais beau avoir un papy vampire, il m’arrivait à moi aussi de regarder des films d’horreur.)

– Tu peux rouvrir les yeux, fit la voix d’Armelin, tout proche.

Je m’exécutai, il s’était accroupi pour détacher mes poignets.

– Ils s’en sont pris à toi ? demanda-t-il.

– Un peu, répondis-je.

Je tremblai encore légèrement. Il ôta les cordes à mes pieds et m’offrit son bras pour m’aider à me relever. Tous les types dans la pièce étaient morts, égorgés ou estropiés. Armelin ne semblait pas s’en formaliser. Il avait même l’air plutôt calme.

– Comment as-tu su que j’étais en danger ? Et que je me trouvais ici ?

Il me lança un regard insondable, et j’eus l’impression qu’il se demandait si oui ou non cela valait la peine de me répondre.

– Tu m’as appelé. (Il pencha la tête de côté.) Tu as dit mon nom et m’as demandé de l’aide. Tu ne t’en souviens pas ? (Je secouai la tête.) Bon. Ça ne fait rien.

Je lui tournai le dos en me grattant la tête, trop épuisé pour chercher plus loin. Je concentrai mon attention sur le moyen de nous débarrasser de ces cadavres encombrants plutôt que sur l’attitude énigmatique de mon ancêtre.

Et là, il fit quelque chose auquel je ne m’attendais pas du tout.

Il immobilisa mes épaules et plongea ses crocs profondément dans mon cou.

Je hurlai.

Happy Halloween (Partie 2)

Happy Halloween (Partie 2)

 

La silhouette encapuchonnée lève immédiatement les yeux vers le premier étage, tous ses sens en alerte.

Narines dilatées, il sait de suite que c’est une fille. Elle sent la crème hydratante, des habits en polyester et elle s’est lavé les cheveux avec du shampoing à la mûre.

Pas de témoin, c’est ce qu’on lui a ordonné.

Il essuie son couteau sur son pantalon et, confiant, commence à gravir les marches.

Il est donc très surpris, quand il se ramasse une serpillère dans la figure. (Après avoir battu son ex à coup de parapluie, Ilona n’est plus à ça près !)

L’homme vacille, déséquilibré, et manque tomber. Elle lui assène alors un coup de serpillère décisif en plein ventre. Cette fois-ci, il ne peut se rattraper à la rampe; il roule en bas des escaliers et se cogne la tête contre un meuble.

Ilona le contourne en courant, se débat avec la serrure et sort, à pieds nus et en t-shirt, dans la rue. Elle réfléchit à la vitesse de la lumière pour considérer toutes les possibilités. La rue est pleine de gens, des enfants innocents et des parents. Personne ne saurait comment gérer cette situation, elle aurait le temps de se faire égorger trois fois avant d’être aidée. Tout le monde crie, rit et s’amuse… aucune aide ne lui sera apportée.

Elle voit du coin de l’oeil l’homme en noir qui sort de sa maison. Tant pis!

Elle se jette dans la foule et essaie de se fondre dans la masse. Malheureusement, on dirait qu’il la suit parfaitement. Il parait même gagner du terrain. Ilona accélère le pas, elle pousse même quelqu’un pour passer.

Malheureusement il n’y a pas que sa lenteur qui la désaventage : le goudron lui brûle les pied, le vent et le froid lui mordent les jambes.

Elle éternue et frissonne. Elle voit une rue transversale et elle se démène pour y arriver. Elle a tellement couru qu’elle ne sait plus où elle est.

Elle réussit à s’extraire de la foule, le meurtrier sur les talons. Elle prend la rue qu’elle avait vue et pique un sprint. Elle jubile. Elle est première de sa classe en course.

Sauf que lui peut aller bien plus vite qu’un simple humain. Cette pousuite ne l’a pas agacé, bien au contraire. Il s’est amusé à la faire courir et à la traquer à travers la foule. Son habilité, sa souplesse et sa rapidité hors du commun lui ont permis de rattraper la jeune femme en moins de deux. Il la ceinture du bras gauche.

Elle se débat. Pas question de se rendre sans lui avoir au moins démonté la tête! Il la retourne, la bloque contre le mur, lui écrasant le thorax de sa main. Peinant à respirer, elle essaie de se débattre. Il sort son couteau et elle s’affole. Sa main (vernie de rose) arrache la capuche de l’homme.

Là, elle ne peut plus bouger. Sa dernière pensée cohérente est : « Si c’est de l’hypnose, je me suis fais avoir comme une quiche! »

L’inconnu a un visage doux, la moitié droite mangée par un tatouage aux motifs celtiques. Mais ce qui retient l’attention d’Ilona, ce sont ses yeux noirs. On dirait deux abîmes. Deux puits sans fonds, dans lesquels elle se laisserait volontier noyer… La pupille et l’iris se confondent.

Un frisson lui parcourt l’échine.

Lui n’esquisse pas un geste non plus. Depuis des années, sa lame n’a jamais flanché, tranchant la chair sans relâche, jour après jour. Mais à l’instant où il a croisé son regard, il a su qu’il ne pourrait la toucher, lui faire du mal…

Il s’observent, ne bougent pas. Il n’y a pas d’animosité entre eux.

À part ce couteau, toujours appuyé contre la gorge d’Ilona.

Il parait que les âmes-sœurs, ça n’existe pas. Mais alors, comment nommer ce lien spontané entre lui et Ilona ?

– Désolé, murmure-t-il, mais j’ai reçu des ordres.

Il ne bouge pas, pourtant. Elle non plus, elle attend qu’il pose son arme, car même si son estomac lui dit le contraire, elle est sûre qu’il ne lui fera rien.

– Hem… Tu… tu as… enfin tu connais Steve?

– C’était mon ex, fait-elle froidement.

Il hausse un sourcil, penche la tête de côté et décolle d’un millimètre la lame de son cou.

– C’était? répète-t-il.

L’homme (le jeune homme plutôt) ne retient qu’une chose : elle est célibataire!

– On a rompu. Et il faut dire qu’il est… mort.

– Mort? Non. Il va se régénérer. Fallait que je le… « neutralise », pour le ramener.

– Vous avez une façon TRÈS personnelle pour neutraliser. Et comment ça, il se régénère?

– Mais je lui ai dit de venir! Tu l’as entendu! Il voulait pas!

– T-t-t! Ça veut dire quoi, régénérer?!

Il sourit.

– Oh noooon! Aurait-il omis de te dire certaines choses à son sujet? À voir ta tête, oui.

– J’écoute.

Elle croise les bras et le fusille du regard. Il hausse un sourcil. Les yeux bleus, ça fait pas super effrayant.

Il rengaine son arme et ébouriffe ses cheveux d’ébène mi-longs. Elle ne peut s’empêcher de les comparer avec ceux de son ex: Steve les a bruns et en brosse, ce qui lui donne une tête débile, alors que ce magnifique… euh tueur, les a ondulés (ce qui lui va très bien).

– Pour commencer, je m’appelle Nathan Jones, j’ai 24 ans et je suis chasseur. Les tatouages sur mon visage –que tu n’arrêtes pas de fixer– ça veut dire que j’ai fini ma formation et que je n’ai pas besoin de perm’ pour voyager parmi vous, les humains.

Elle rougit –tout n’est pas perdu, pense-t-il– puis elle se fige.

– Parmi… les humains?

– Les loups-garous sont trop instables pour vivre… « normalement ». Nous sommes trop dangereux. Moi et mes collègues travaillons pour le gouvernement, nous pouvons nous promener dans votre monde lorsqu’on nous donne des missions. Notre actuel président est l’A.S.C.L.C.A, une abréviation pour l’Alfa Suprême et Chef Lycantrope du Continent Américain.

Ilona le dévisage. Taré… complétement taré. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin :

– Les loups « bâtards » –comme Steve– vivent parmi les humains sans réaliser à quel point ils peuvent être un problème si leur nature est révélée. On les recherche, on les contacte discrètement pour leur signaler qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent rejoindre la meute. Malheureusement certains refusent de venir et je dois les… « convaincre » de manière plus musclée.

– Bien sûûûûûr, fait Ilona d’un ton infantilisant. Et après, vous allez dans votre monde magique peuplé de loups-garous, de vampires et de magiciens pour faire la fête tous ensemble !

– Ne te fous pas trop de ma gueule, la prévient-il.

– Ensuite, les petites fées des bois vont illuminer des chanterelles magiques et danser la farandole!

– J’ai plutôt l’impression que c’est toi qui es illuminée.

Avant qu’elle ne continue sa tirade ironique, la main de Nathan se métamorphose.

En patte.

Avec de longues griffes.

Ilona retient son souffle. En un clin d’oeil, la patte redevient une main.

Silence. Une minute passe. Elle est trop choquée pour dire quoi que ce soit. Lui attend sa réaction.

– Mmmh. Je te crois maintenant.

Il a un petit sourire.

– Tu ne diras rien, n’est-ce pas ?

– Qui me croirait ?!

– Donne-moi ta parole !

– Quoi ? D’accord ! Je te jure que je parlerai de notre rencontre à personne.

– Bien. Je poursuis: Steve ne va pas mourir, il doit déjà être en train de se régénérer.

– C’est-à-dire?

– Il guérit très rapidement : dans une heure, il n’aura plus aucune marque.

– Dommage… murmure-t-elle.

Il hausse les sourcils mais n’ajoute rien.

– Viens, je te raccompagne chez toi, finit-il par lâcher.

Ils se dirigent en direction de la maison, mais ils doivent s’arrêter car Ilona tremble.

– Dé-désolée, bredouille-t-elle en claquant des dents. J’arrive plus à me contrôler.

– Ça doit être le choc. Tu as tellement couru…

Il hésite puis ôte son sweat, qu’il lui tend.

– Merci.

Elle l’enfile, encore tremblante, mais elle n’arrive toujours pas à avancer. Il lui entoure la taille du bras et l’aide à marcher. Elle tente de retrouver le contrôle de son corps, mais ce sont les muscles puissants de Nathan qui la soutiennent. Elle se laisse finalement aller contre son torse, pestant contre ses jambes qui la lâchent dans un moment pareil, et ils évitent soudain de se regarder dans les yeux. Ils contournent la rue principale –trop fréquentée– et arrivent chez Ilona.

– Tiens ! T’es passé par la porte cette fois.

– Très drôle. Bon… au travail.

Il la lâche -ce qu’elle regrette- puis s’agenouille auprès de Steve. Il sort une corde de sa poche et commence à lui ligoter les pieds.

Tout en s’activant, il lui parle:

– Comme y’a du sang partout, les flics vont évidemment te poser des questions. Faudra que tu leur dise ça: « J’ai entendu du bruit, comme une fenêtre qui se brise. Je suis descendue puis… plus rien. On m’a peut-être assommée. Je suis teeeellement inquiète ! Trouvez le coupable, je vous en priiiie! » Prend une voix d’hystérique et des yeux hagards, ça marchera encore mieux.

Elle le regarde attacher les poignets de son ex, ayant l’impression de rêver tant la situation est surréaliste.

– Euh…d’accord.

Il se lève et la regarde droit dans les yeux.

– Alors, hem… tu sortais avec lui?

– Ouais.

– Et tu ne savais rien sur sa véritable nature ?

– Non. Nous n’allions pas faire de longues balades romantiques pendant la pleine lune.

– Les loups-garous contôlent leur métamorphose depuis leur naissance. La pleine lune ne joue aucun rôle là-dedans.

Ilona a très bien repéré la lueur de jalousie dans les beaux yeux noirs de Nathan, quand il parle de Steve. Elle sait parfaitement qu’il éprouve quelque chose pour elle ; ils n’arrêtent pas de se lancer des regards en coin, de faire de discrètes allusions pour voir si l’autre réagit. Elle décide de passer à l’action :

– Eeeeet… ta ville, où est-ce qu’elle se situe?

Il se fige, méfiant. Il n’est pas censé révéler ce genre d’information.

– Pourquoi?

– Pour te revoir.

Il se fige encore un peu plus.

– Toi? Tu voudrais me revoir?!

Elle hausse les épaules.

– Il se pourrait bien que… oui.

Il roule des yeux, puis se passe la main dans les cheveux. Il oscille d’un pied sur l’autre, semble peser le pour et le contre, se mordant la lèvre.

– Ici, au Canada en réalité. À Yukon.

Elle a un sursaut d’horreur, mais laisse paraître un minimum d’émotion. Il fait vachement froid là-bas !

(Note de l’auteur : Ilona vit au sud du Canada, le Yukon est une région bien plus au nord.)

– Yu… Yukon. Bien.

Il sourit.

-C’est loin mais je peux reveni…

– Y’a une université à Yukon… je crois.

-Tu serais prête à aller étudier là-bas? s’étonne-t-il. Juste pour moi?

-Ouais. Ça se pourrait bien.

Il sourit encore et se rapproche d’Ilona. Il se penche vers elle et glisse son index sur sa chevelure d’or soyeuse. Il l’embrasse légèrement sur la joue, un courant électrique la traverse.

Soudain il soupire.

-Je ne veux pas qu’on te soupçonne. J’espère donc que tu me pardonneras pour ça.

-Quoi ça?

-Ça.

Il l’assomme.

 

 

Bref, Ilona est réveillée quelques heures plus tard par sa mère, qui lui administre de petites claques sur la joue afin qu’elle revienne à elle. Elle raconte aux policiers exactement ce que Nathan voulait qu’elle raconte, elle joue la comédie devant la nouvelle de l’enlèvement de Steve, puis s’enferme dans sa chambre.

Elle sort un papier de sa poche de pyjama : un numéro de portable accompagné de quelques mots y sont inscrit.

Je reviens te voir pendant les vacances de noël. Tu… je me réjouis de te… salut quoi. N.

Ilona presse la lettre contre son cœur. Deux mois… c’est une éternité…

 

À suivre

 

Note de l’auteur aux lecteurs : J’ai écrit ce texte il y a plus de quatre ans et je l’ai retravaillé il y a peu pour le publier spécialement pour halloween. J’ai corrigé les (nombreuses !) fautes d’orthographes et modifié un peu le scénario mais l’esprit de cette histoire est resté le même ! J’espère sincèrement que ça vous plaira, et que la suite vous intéressera également. Joyeux halloween !

Happy Halloween (Partie 1)

Happy Halloween (Partie 1)

 

Le vent souffle dans les arbres. Les lampadaires éclairent doucement Maxim Street. Les enfants courent de maisons en maisons, la bouche remplie de chocolats et de bonbons.

« Il » tire sur sa cigarette et jette un regard aux alentours. Sa proie n’est pas encore là. L’homme en noir n’a pas peur de la perdre dans la foule ou de la louper. Son odorat et son ouïe ne l’ont jamais trahi.

Dans une maison plus loin, Ilona coiffe ses parfaits cheveux blonds. Elle est seule, ses parents étant sortis pour manger chez des amis, avec sa sœur aînée, sa sœur cadette et son petit frère.

Elle inspecte son reflet dans le miroir : pom-pom girl de son état, les yeux bleus, le corps fin… le prototype de la fille parfaite.

Le prototype de la fille sans cervelle qui se fait massacrer dans la première scène des films d’horreur.

Ce soir, elle porte un short et un t-shirt noir moulant avec un ange aux lèvres rouges dégoulinantes de sang. Ce n’est pas Halloween tous les jours.

Elle va se mettre au lit lorsque soudain un bruit la fait se retourner.

Elle tend l’oreille, mais… plus rien.

Elle hausse les épaules, même si ses tripes lui disent que quelque chose de louche se trame.

Elle éteint la lumière, puis la rallume aussitôt, entendant encore un grattement.

– Qui est là?

Rien.

– Qui est là? Si c’est une blague, c’est pas drôle!

Toujours rien.

Ilona déglutit difficilement. Prenant son courage à deux mains, elle ouvre doucement la porte de sa chambre, centimètre par centimètre pour ne pas faire grincer le battant et alerter un éventuel intrus.

Le couloir est vide. Sombre. Ilona fronce les sourcils et sort de sa chambre, éteignant le plafonnier au passage.

Pas à pas, elle avance dans l’étroit corridor, la moquette l’aidant à être silencieuse. Quand elle arrive en haut de l’escalier, elle plisse les yeux pour distinguer quelque chose. Malheureusement, les rideaux au rez-de-chaussée sont tirés et aucune lumière ne filtre.

Le plus discrètement possible, elle descend les marches, et serrant les dents à chaque fois que le vieux bois craque. Pourvu qu’on ne me repère pas! pense-t-elle.

Inspectant le salon, la cuisine et les placards, elle finit par penser qu’elle est parano.

Elle remonte l’escalier quand elle se rend compte que des bruits de pas proviennent de sa chambre. Le coeur passant à 10’000 pulsations secondes, elle jette un oeil à sa porte. Quelqu’un y est entré et a rallumé le plafonnier.

Oh-ooooh. Elle se précipite dans le hall, saisit un parapluie et remonte en quatrième vitesse. Elle traverse le couloir à pas de loup puis elle saute contre la porte, qui s’ouvre sous l’impacte, et se jette sur l’inconnu en lui donnant de grands coups de parapluie.

– Ilona! Aïe! Arrête! Ouille! Stop!

Steve lui arrache le parapluie des mains pour éviter de se faire éborgner. Ilona se fige immédiatement.

Steve est son ex. Elle l’a largué, car il ne voulait dire à personne qu’ils étaient ensemble. Et en plus il ne parlait que de… ben, de ce qu’elle ne voulait pas faire parce qu’elle trouvait que c’était trop tôt.

Il était parti, furieux, claquant la porte.

Le lendemain, la soeur d’Ilona présentait son petit copain, avec qui elle sortait depuis deux mois -un record.

Devinez qui c’était? (Rrrrrroulement de tambourrrrr!) Steve! Et encore aujourd’hui, lui et la soeur d’Ilona filent le parfait amour.

Ce qui reste en travers de la gorge d’Ilona.

– Qu’est-ce que tu fais dans ma chambre, espèce de gorille sans cervelle?

– Je voulais te parler, alors je suis entré par la fenêtre.

– Oh! Évidemment, les portes, c’est tellement démodé!

– J’ai frappé, t’as pas répondu.

Ilona se fige. C’était donc lui. Elle croise les bras et le fusille du regard. Avant tout, conserver un minimum de dignité : elle est en tenue très, trèèèès légère tout de même!

– Peu importe, qu’est ce que tu veux, imbécile?

– Parler avec toi. De nous.

Elle lève les yeux aux ciel.

– Une seconde s’il te plait plaît, j’vais gerber.

– Arrête, tu sais que je n’aime que toi.

– Va te faire…

Avant qu’elle n’explose littéralement, Steve lui prend le visage à deux mains et l’embrasse.

Et il se ramasse un poing dans le ventre.

Les choses qu’Ilona lui dit ensuite sont censurées pour ne pas choquer un public sensible.

– Ilo, je te jure que…

– Non, je suis fatiguée de tout ça, je n’en peux plus.

Un grand fracas retentit et ils se figent. « Quelqu’un » a dû faire voler en éclat une fenêtre pour entrer.

Steve éteint la lumière et sort dans le couloir, Ilona sur les talons.

Il ouvre la porte d’un placard et la pousse à l’intérieur.

– Reste là. Je m’en charge.

– Non! chuchote-t-elle. Je peux très bien…

Il lui claque la porte au nez.

Entre les aspirateurs et les serpillères, elle cherche à tâton la poignée. Avec toute cette poussière, elle va éternuer!

D’où elle est, elle a une vue plongeante sur le salon. Steve parle avec un gars, tout vêtu de noir et le visage dissimulé par une capuche. L’homme en noir est un peu plus petit. Et moins imposant, moins musclé.

Plus le genre de type qui a une souplesse de chat et un cerveau affûté qu’un mec bodybuildé sans rien dans la boîte crânienne.

Ils sont en train de se disputer.

– Arrêtez de me gonfler avec ces histoire. Je n’ai pas besoins d’une « éducation ».

– Tu en as plus que besoin, siffle l’homme. Et si l’A.S.C.L.C.A. l’a décidé, tu viendras.

– Et qui va m’emmener, hein ? Toi ? Je dois faire le double de ton poids.

Ilona s’interroge. Qui est ce mec ? Et l’A.S.C… quelque chose ? Et pourquoi Steve aurait-il besoin d’une éducation –mis à part le fait que ce soit un crétin fini ?

– J’ai des arguments… de taille.

Et il sort un couteau de sa manche.

Ilona sent un hurlement monter dans sa gorge. Le visage arrogant de Steve pâlit. Ce couteau fait bien une trentaine de centimètre et est courbé, comme un sabre.

– Non…

– Oh que si, ricane l’autre. Suis-moi ou sinon je te decou…

Dans un élan de stupidité (ou de courage, c’est pareil), Steve s’élance sur l’homme en noir.

Il se prend la lame dans les côtes.

Ilona est terrifiée. Elle ne peut plus esquisser le moindre geste. On vient de poignarder son ex.

Ce dernier hoquète pitoyablement et s’affaisse lentement sur le sol. Du sang sort de sa bouche et elle pense juste « Maman va me faire la peau si elle trouve des taches sur la moquette. »

Elle se secoue. N’en a-t-elle tellement rien à faire de son ex qu’elle… pense au ménage? Non, ça doit être le stress… la panique, le choc.

Mais le tueur ne s’arrête pas en si bon chemin. Il sort la lame et la plante une deuxième fois.

Dans le ventre.

Steve s’évanouit et Ilona fait un truc.

LE truc qu’il ne faut pas faire dans ce genre de situation.

Elle gémit.

La silhouette encapuchonnée lève immédiatement les yeux vers le premier étage, tous ses sens en alerte.

Under la cathe 3

Je me reposais sur une branche de l’arbre du jardin de la maison familiale. Les oiseaux chantaient, leur douce musique me détendait. Dos au tronc, paupières closes, je savourai la tranquillité de ces petits moments de paradis que la vie nous accorde parfois.

Ma grand-mère sortit de la maison. Je ne la remarquai que lorsqu’elle ferma la porte-fenêtre. J’ouvris paresseusement les yeux et l’observai traverser le jardin de son pas rendu plus lent par l’âge. Elle se dirigea vers le potager, au panier au bras et un tablier autour du cou.

Je cueillis une cerise tandis qu’elle s’attaquait aux mauvaises herbes. Elle ne m’avait ni vu, ni entendu. Je croquai le fruit en regardant le soleil jouer avec ses cheveux gris et qui écrasait ses frêles épaules de ses rayons blancs.

Je me déplaçai et fis pendre mes jambes depuis la branche pour me laisser tomber au sol. Ma grand-mère se retourna, sursautant comme un animal craintif. Elle avait été alertée par le bruit puis apeurée par ma présence, une silhouette menaçante du fait qu’elle reste dans la pénombre de l’arbre.

-Mon petit Camille ! s’exclama-t-elle sur un ton de reproche un peu trop aigu. Ne me surprends pas ainsi en te cachant pour surgir quand je m’y attends le moins ! Pense à mon pauvre cœur !

-Désolé grand-maman, dis-je d’un ton neutre, je ne voulais pas t’effrayer. Je souhaite te poser deux-trois questions…

-Ah ? Sur quoi mon petit ? fit-elle en se penchant pour couper de la salade.

-Armelin.

Elle se figea et je vis nettement son visage ridé et jovial perdre toute couleur. Comme tous les autres membres de ma famille, ses réactions me semblent disproportionnées, sa peur surjouée.

-Tu… tu as vraiment envie de parler de lui ?

L’idée même lui était inconcevable. Je haussai les épaules.

-Est-ce que tu sais depuis combien d’années il nous protège et nous lui rendons service en échange ? Depuis 20 ans ? 100 ans ? Plus ? Est-il réellement notre ancêtre ?

-Je n’en ai aucune idée, je ne veux pas le savoir, marmonna-t-elle très vite. Un jeune garçon comme toi ne devrait pas s’intéresser à « ça ». (J’allais laisser, mais elle lâcha une information précieuse.) Demande donc à quelqu’un d’autre.

Et elle retourna à son jardinage. Toujours debout dans l’ombre du cerisier, je me remémorai alors que ma grand-mère n’était pas dans ma famille depuis sa naissance, qu’elle en faisait partie seulement depuis son mariage. J’aurais meilleur temps de me renseigner auprès de mon grand-père…

Je me dirigeai vers la maison, le soleil de cet après-midi d’automne baignant tout mon corps de lumière. Mes pupilles me brûlèrent jusqu’à ce que je pénètre le salon.

 

Entendant des pas, je me retournai. J’étais en train de relire mon vocabulaire allemand à la lumière d’une bougie, assis à même le sol de la crypte. Mes yeux reconnurent Armelin, toujours habillé élégamment de son pantalon noir sans un pli, de sa chemise blanche immaculée style 18e siècle, de son manteau à col haut et de ses chaussures vernies.

-Tu as terminé ? fis-je en me levant.

Je me dirigeai vers la pelle posée contre le mur, mais il leva la main pour m’arrêter.

-Inutile. Je me suis chargé des cadavres aujourd’hui.

-Oh, m’étonnai-je. Pourquoi donc ?

-J’ai été assez loin… Il n’aurait servi à rien de les ramener à Lausanne, je m’en suis débarrassé sur place.

Il ôta son manteau ainsi que ses chaussures. J’avais remarqué qu’il conservait des habitudes humaines. En se levant au coucher du soleil, il me disait « bonjour » comme s’il commençait sa journée. En allant dormir, il enlevait ses vêtements d’extérieur et marmonnait un « bonne nuit » ensommeillé alors que c’était l’aube.

-Tu peux t’en aller si tu veux. Tu n’es pas obligé de rester si longtemps avec moi.

Je m’appuyai contre la paroi et, renversant la tête en arrière, je lâchai mon vocabulaire sur le sol. J’étais plutôt fatigué.

-Est-ce que ma présence te dérange ?

-Non, dit-il, songeur. Et toi ?

-Non plus. J’aime bien rester en ta compagnie.

Il me dévisagea puis s’assit dans son cercueil.

-Ça me surprend… D’habitude, tout le monde a peur de moi. Surtout ma famille.

-Je n’ai jamais eu peur. Jamais. (Je fixai le sol, un peu gêné par mon aveu.) En réalité…, j’ai de la peine à… ressentir. Les émotions, c’est pas vraiment mon truc.

-Tu es encore un peu jeune pour tomber amoureux, tu as tout ton temps pour cela.

-Non. Disons que… qu’il m’est difficile d’avoir peur, de me mettre en colère, de me sentir heureux. Il faut vraiment qu’il m’arrive un événement marquant pour sortir de cet état neutre que je ressens constamment.

-Ce que tu tentes de m’expliquer, reprit-il, c’est que tout t’indiffère. Je me trompe ?

-Oui, c’est exactement ça. (J’hésitai un instant.) Est-ce mal ?

Un sourire exquis se dessina sur ses lèvres et il joignit ses mains. C’était la première fois que je le voyais exprimer quelque chose.

-Je ne pense pas être celui qui est le mieux placé pour disserter sur le mal… (Il y eut un court silence, je ne voyais pas quoi répondre.) Tu me sembles de plus en plus exténué Camille, changea-t-il de sujet. Quand je sors me nourrir, tu pourrais te reposer dans mon lit.

-Ça me gêne, je n’oserais pas, dis-je (pas très emballé).

-Je m’en voudrais si tu tombais malade à force de t’occuper de moi. Maintenant, rentre te coucher et dors.

-D’accord.

Je rassemblai mes affaires sous un regard pensif. Dans un certain sens, c’était triste que le seul être avec qui j’arrivai à m’entendre fût un monstre centenaire sociopathe et buveur de sang. Mais au moins j’avais quelqu’un avec qui m’entendre, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Under la cathe 2

-…ille.

Je rêvais. L’atmosphère était tendue, les gens autour de moi parlaient et, même si je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, je savais qu’ils avaient peur. Je le savais ; je le sentais à leurs voix plus aiguës et leurs gestes plus brusques qu’à l’accoutumée.

-…mille !

Je bougeai la tête en fronçant les sourcils. Décidément, le bois n’était pas confortable.

Un homme était là, son ton était ferme et intraitable, mais pas menaçant. Moi je m’en fichai, je restai calme, jouant avec mes petits soldats. C’est ce dernier détail qui me fit penser « Et si en réalité il s’agissait d’un souvenir ? »

-Camille !

Je me redressai d’un coup, me réveillant en sursaut. La classe éclata de rire en voyant mon air hagard. Le prof me fusilla du regard, penché sur moi.

-Hein ?

Je me frottai le haut du crâne. Apparemment il m’avait frappé avec son exemplaire de Madame de Bovary.

-Ne dites pas « hein » ! Est-ce la Littérature qui vous endort à ce point, ou mon cours ?

-Les cours ! s’exclama un rigolo au fond de la salle de classe, déclenchant l’hilarité générale.

Je serrai les lèvres pour éviter de bâiller au visage de mon prof de français (il était suffisamment en rogne contre moi, inutile d’en rajouter !) et m’ébouriffai les cheveux d’un geste las.

-Désolé m’sieur… J’ai pas beaucoup dormi cette nuit…

-Encore ! Et peut-on savoir à quoi vous occupez vos soirées ?

-Ça vous intéresse vraiment ?

-Oh oui ! ironisa-t-il. Qu’est-ce qui peut être si passionnant pour que vous y consacriez toutes vos nuits ? Dites-le-nous donc !

J’adorerais voir sa mâchoire se décrocher en lui annonçant que j’ai transporté le corps exsangue d’une femme jusqu’à un chantier où je l’ai négligemment abandonnée dans un trou prévu pour être rempli de béton le lendemain matin… mais je préférai me taire pour qu’il ne me prenne pas pour plus taré que j’en avais l’air.

Face à mon silence éloquent, il secoua la tête d’un air désolé.

-Camille, remuez-vous un peu et suivez mon cours.

-Cam, je rectifiai en marmonnant. Pas Camille.

Nouveaux ricanements. Contrairement à mes pairs qui raccourcissaient leur prénom par esprit pratique, je mettais un point d’honneur à ce qu’aucune de mes connaissances n’utilisât mon nom entier parce que seule ma famille y était autorisée. Premièrement parce que les autres se foutaient de moi, car j’étais un garçon avec un prénom de fille ; et deuxièmement parce que quand on appelait un gars « Cam », on ne s’attendait pas à rencontrer un dangereux sociopathe, plutôt un mec paumé et inoffensif.

La sonnerie me libéra du regard accusateur de mon professeur, je sortis en bâillant de sa salle de classe.

-Hé, Cam ! (Une fille de mon cours me rattrapa et me sourit. Je m’arrêtai de marcher.) Tu serais d’accord qu’on aille boire un truc ensemble ?

Je haussai les sourcils. Elle m’invitait ? Moi ? La jolie poupée du groupe d’espagnol proposait au latiniste asocial d’aller se taper un café, on nageait en plein roman.

-Euh… je suis pas super en avance avec les devoirs… Cette semaine c’est fou la quantité de travail qu’on a…

Ses amies arrivèrent dans son dos, chuchotant entre elles avec des airs perplexes. Ah, elles aussi étaient surprises de l’intérêt que Joanna me portait soudainement.

-Grave ! T’as trop raison ! La semaine prochaine alors ?

Elle avait beau me faire les yeux doux, j’allais refuser. Malheureusement, mon natel se mit à sonner et j’avais interdiction de louper mes appels.

-Écoute… (Un coup d’œil à l’écran m’apprit que c’était mon père. Zut.) OK, va pour la semaine prochaine.

-Super !

Je répondis tandis qu’elle s’en allait d’un pas joyeux :

-Allô ? Qu’est-ce qui se passe papa ?

-Hum… Camille… Je suis obligé de travailler tard ce soir. Tu vois, je me demandai si ça t’ennuierait de… t’occuper de « l’oncle ».

Nous utilisions ce mot pour désigner Armelin et parler de lui librement devant nos amis (le peu que nous avions). Je soupirai en prenant le chemin de la Cathédrale.

-Ouais, mais alors ce week-end c’est toi qui t’en charges ! À force de le veiller un soir sur deux, je ronfle en classe.

-C’est problématique, je te le concède…

-À peine, grinçai-je. J’ai un exposé à préparer pour lundi alors laisse-moi bosser !

Silence au bout du fil.

-… d’accord, lâcha-t-il après une hésitation.

Mon paternel avait peur de notre ancêtre commun (ça n’était un secret pour personne) et il s’arrangeait toujours pour éviter de se retrouver en présence.

-Merci, je soupirai. Tu sais, il ne mord pas ! Et il n’aurait aucun avantage à s’en prendre à nous.

Je ne reçus pas de réponse, mon père devait être sceptique. Je raccrochai et grimpai jusqu’à la Cathédrale.

 

-Toi qui te vente d’avoir lu tous les classiques, qu’est-ce que tu penses de Madame de Bovary ?

Armelin me dévisagea, mi-figue mi-raisin. Il s’assit élégamment dans son cercueil en toussotant, vaguement agacé que j’aie osé lui adresser la parole – moi, simple mortel !- mais condescendit à me répondre.

-Je l’ai lu à sa sortie. Je ne suis pas un grand critique, mon avis est à prendre avec des pincettes. (Il tapota son oreiller immaculé.) Eh bien, c’est un ouvrage qui plaît, mais j’avoue préférer d’autres livres.

Pensant que notre discussion était close, il s’allongea dans sa boîte matelassée et ferma les paupières.

-À sa sortie ? Mais c’était en 1857 ! (Assis sur les marches en colimaçon, je me penchai en avant, légèrement intrigué.) Quand es-tu né papy ? Quel âge as-tu ?

Il ouvrit les yeux, semblant exaspéré par mes questions.

-Je suis fatigué Camille, et je n’aime pas m’épandre en causeries inutiles.

– Dis-m’en plus ! je m’exclamai. Quand as-tu été transformé ? Par qui ? Je te connais presque depuis ma naissance, pourtant je ne sais rien sur toi ou tes origines.

-Je n’aime pas en parler, grommela-t-il.

Il se redressa et tira le couvercle sur lui. Je me levai et pris un ton suffisant.

-Eh bien, si tu refuses de me répondre, j’irai demander à mes parents et mes grands-parents !

Il se figea et me lança un regard mort.

-Fais comme tu veux. Mais ils en savent certainement encore moins que toi. Bonne nuit.

Il referma le cercueil. Je fulminai un instant et m’en allais vivement, gravissant les marches quatre à quatre. Je dus rapidement ralentir à cause de la faible lumière que produisait ma lampe torche. Je déverrouillai la grille et la refermai. Me voilà seul, seul dans la Cathédrale immense, sombre et silencieuse, comme le ventre d’un géant endormi.

Je remontai l’allée centrale d’un pas lent, mains dans les poches, et m’allongeai sur un banc dur pour réfléchir aux paroles de mon « oncle ». Ainsi… J’étais celui qui connaissait le plus de choses sur Armelin. C’était étrange. Jusqu’à maintenant, je pensais que mes grands-parents, forts de leur âge et leur expérience, savaient tout de sa vie. Et de sa mort. À l’entendre, «ça n’était pas le cas.

Je me relevai une demi-heure plus tard en bâillant et sortis par la grande porte. Le soleil m’éblouit, je dus me protéger les yeux avec la main en pare-soleil. C’était déjà le petit jour.

La lumière était définitivement mon ennemie ; et l’obscurité le doux nid où j’aimais me blottir.

Apprenties sorcieres-chap1

Apprenties sorcières (1)

-Je vous en conjure, faites de moi votre Disciple.

Malgré le fait qu’elle soit agenouillée à terre, mains et front au sol, son ton n’est pas le moins du monde suppliant. Elle a parlé calmement, comme si elle récitait une citation ou un poème.

Comme je ne suis pas du genre à m’étonner pour si peu :

-Entre, fais-je en lui tournant le dos et en pénétrant dans ma masure.

Elle se lève, époussetant ses genoux, l’air parfaitement calme. En entendant des coups frappés à ma porte il y a trente secondes, j’ai ouvert le battant et mon regard est tombé sur elle, agenouillée à terre.

Je me dirige vers la cuisinière et mets de l’eau à bouillir dans une casserole plus ou moins propre. Puis je me tourne vers la jeune femme qui attend debout dans ma cuisine/salle à manger/salon.

-Assieds-toi et dis-moi pourquoi tu veux que je fasse de toi ma Disciple. (Elle s’exécute, je m’appuie contre ma cuisinière, bras croisés.) Tu dois savoir que je n’en ai jamais eu -et qu’il va falloir me donner une bonne raison pour changer mes habitudes…

-Je fais partie du clan de la Cascade Pourpre, je m’appelle Daphné et j’aimerais devenir votre disciple.

Je coupe le feu et verse l’eau brûlante dans deux tasses dont le fond est tapissé de feuilles séchées. En posant la tasse devant elle, je vois son regard neutre observer les tatouages sur les muscles de mes bras.

-Au clan de la Cascade Pourpre, l’aîné se voit attribuer le pouvoir du Malheur… Au contraire, le cadet doit se contenter du pouvoir du Bonheur.

J’avale une gorgée. C’est la tradition chez les sorciers : les enfants doivent choisir entre servir le Bien ou le Mal. Parfois, ils se mettent d’accord ou leurs aptitudes naturelles leur désignent la Voie à suivre.

Mais dans la plupart des clans on n’a pas le choix : le pouvoir qui guide notre vie est imposé par des traditions ou par notre famille.

-Et je suis la cadette. (Elle marque une pose dramatique.) Quand ma sœur atteindra 21 ans, elle recevra ses pouvoirs et servira le Mal.

-Et alors ?

-Je veux servir le Mal.

Silence. Elle boit une gorgée de thé et ses yeux se plantent soudain dans les miens, semblant vouloir les transpercer.

-Je suis une personne beaucoup trop mauvaise pour faire le Bien ou le Bonheur. Au contraire, mon aînée n’est pas une fille méchante. Elle culpabilise trois semaines lorsqu’elle écrase une fourmi.

-Sympa ta petite histoire, mais en quoi me concerne-t-elle ?

-J’aurais besoin de vous.

-Je m’en doutais, j’ironise.

-Il me faut un Maître qui accepterait de me transmettre les pouvoirs du Mal avant que ma sœur ne les reçoive, pour la prendre de vitesse. Elle serait donc obligée de servir le Bien. Mais évidemment les membres de ma famille n’accepteraient pas.

-Et moi oui ? je m’étonne.

Elle ne répond pas tout de suite, fixant le liquide fumant dans sa tasse.

-Vous êtes un grand sorcier Nerabass…

-Les flatteries ne fonctionnent pas avec moi.

– … mais vous n’êtes pas quelqu’un de… « conventionnel « . Exactement comme moi. J’ai souvent entendu dire… que vous suivez votre Voie à la perfection. Que tourmenter les hommes est votre seconde nature . Que l’herbe se dessèche sous vos pas. Que votre famille entière tremble devant votre puissance et qu’il n’existe pas de sorcier ou sorcière égalant votre puissance.

J’éclate de rire.

-Que d’éloges ! C’est très exagéré ! Il y a beaucoup d’êtres ayant des pouvoirs égaux ou supérieurs aux miens. (Mon regard s’attarde sur la minuscule fenêtre sale donnant sur la montagne où je me suis isolé depuis des mois.) Un en particulier…

Elle ne dit rien, je me ressaisis et lui souris d’un air mauvais garçon.

-Je me suis accordé des vacances il y a cinq mois, ou plutôt une retraite forcée provisoire pour jouer les ermites et réfléchir. Mais je suis un homme d’action ! Admettons-le, je me fais chier comme un rat mort ici! Un peu de compagnie -féminine qui plus est – ne peut pas me causer du tort.

Elle reste un instant interdite, ne comprenant pas tout de suite.

-Vous acceptez de faire de moi votre Disciple ?

-Je dois te prévenir : je suis narcissique, intenable, borderline, pas sortable, exigeant, crasseux, un poil pervers et totalement insupportable. En plus, je n’ai jamais eu de Disciple, je ne saurais pas que t’apprendre.

-Vous n’êtes pas obligé de m’enseigner quoi que ce soit. Faites de moi une Servante du Malheur et je m’en irai en vous laissant tranquille.

Je ne souris plus et, m’approchant, je prends mon ton le plus sérieux.

-Non, ça ne serait pas… « utile». Tu ne suivrais pas correctement ta Voie. (J’ébouriffe mes cheveux corbeau.) Je suis assez à cheval sur l’assiduité et le travail que doit fournir n’importe quel sorcier. Et il vaudrait mieux pour toi que tu sois sincère, que tu ne retournes pas chez toi en pleurnichant parce que la tâche est trop dure… voire dangereuse ou effrayante.

Son regard se durcit.

-Je ne faillirai pas.

J’ai un petit rire. Sans être attiré physiquement par cette gamine, je ressens de l’affection pour elle.

-Tu sais quelle est ma dernière folie en date ? je susurre en appuyant mes paumes sur la table, me penchant vers elle. C’est un acte qu’aucun sorcier ou sorcière n’a osé tenter depuis quatre siècles.

Elle secoue la tête en signe de dénégation. En dépit de son visage impassible, je sens clairement sa curiosité. J’ouvre lentement la bouche et tire la langue pour lui montrer le motif complexe tatoué dessus : un pentagramme ornementé de symboles complexes.

Ses yeux verts remontent sur les miens.

-Je ne m’y connais pas beaucoup, mais ce sort… Est-ce celui qui…

-Oui, fais-je, tout joyeux. toute parole sortant de ma bouche est considérée comme maléfique ! Il me suffit de prononcer une bête malédiction comme « Va au diable ! » ou « Je souhaite que tu crèves ! » pour que cela se réalise.

-La Langue de Cabris, apprécie-t-elle . Tous les malheurs que vous souhaitez aux gens deviennent vrais.

-Toujours partante ? je ricane. (Elle sourit.) Bon. Va poser tes affaires dans la pièce à côté. Y’a un canapé où tu pourras dormir. (Je lui lance un linge et désigne le tas de vaisselle dans l’évier.) En attendant de recevoir tes pouvoirs, essaie de rendre à mes assiettes leur couleur d’origine.

Elle se lève et va mettre son sac derrière la porte. Elle se met ensuite à la tâche sans rechigner.

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Avec une craie, je trace un pentagramme enfermé dans un cercle à même la pierre. La lune brille dans le ciel, glacée. Daphné se place au centre de l’immense étoile et s’agenouille. Elle porte une longue robe noire et moi une sorte de soutane de la même teinte, mais brodée de fils argentés.

Je me mets à tracer des mots en latin sur les contours du cercle. Nous attendons minuit – l’heure du crime!

-Tu ne regrettes pas le coup bas fait à ta sœur ? Et à ta famille ? je demande.

-Non. Je suis consciente que ce que je m’apprête à accomplir va les énerver, mais je ne peux pas penser autrement : ma Voie c’est le Mal. J’ai coupé les ponts avec eux et ne les reverrai sans doute plus jamais.

-Est-ce que par hasard… tu les détestes ?

-Pas vraiment. Sauf mon aînée peut-être… Elle m’agace souvent. elle est tellement… gentille, lâche-t-elle d’un ton méprisant.

-Quelle horreur, je fais platement.

-Elle est toujours si bêtement optimiste ! Elle sourit aux gens, elle est sympa avec tout un chacun… Elle ménage aussi la chèvre et le chou, c’est pour cela qu’elle a commencé les entraînements pour la Voie du Mal. Elle ne voulait surtout pas faire de vagues et décevoir nos parents. (Elle renifle.) Personnellement je me fiche de leur avis. Je n’ai pas besoin de leur approbation.

-Quelle force de la nature ! Est-ce ton côté bravache ou ton vrai caractère qui parle ?

-Les deux sont indissociables.

Je pose la craie, et j’observe la jeune femme, mortellement sérieux.

-Si ce que tu me dis là n’est que mensonge… si ça n’est que de la poudre aux yeux tu vas le regretter. Parce que dès que je t’aurai confié tes pouvoirs, dès que nous aurons commis l’irréparable, tu seras rejetée par tous tes proches! Tu seras rayée de la Communauté des Sorciers tout entière, traitée comme une paria. Alors, répète-moi à présent que tu es sûre de toi à 100 %. (Son visage pâle ne trahit aucune émotion.) Tu vois… Ça n’est pas un choix que l’on fait de son propre chef d’habitude.

-Vous parlez pour vous là?

Je détourne le regard.

-Oui, peut-être.

Je saisis un sac et en sors un flacon rempli d’une potion verdâtre.

-Je ne connais pas votre situation… mais je suis une fille que rien n’arrête. J’ai tendance à foncer quand la cause me tient à cœur, et ce, peu importe les risques.

Je débouche le récipient et en verse le contenu tout autour d’elle.

-Je sais, j’ai remarqué ! (Je ricane.) Tu es suffisamment folle pour te tirer de chez toi à 17 ans et venir retrouver un sorcier douteux en espérant vaguement qu’il fasse de toi sa Disciple.

-Pas folle. Déterminée. (Elle m’observe un instant parsemer d’herbes sauvages la pierre en dehors du cercle.) Est-ce que vous… me raconterez un jour ce qu’il s’est passé pour que vous abandonniez votre famille et recherchiez à devenir un des plus puissants sorciers de votre temps ?

-Pas ce soir ! je m’exclame. C’est ta Cérémonie de Transmission de Pouvoir ! (Je lui lance un clin d’œil complice.) Il serait dommage de plomber l’ambiance avec mes histoires de vieillard grabataire et déprimant.

-Vous n’êtes pas si vieux, proteste-t-elle .

-Ah oui ? Pour les gens de ton âge, je suis un fossile bon pour le musée. (J’écarquille les yeux d’un air comique.) Ciel ! 36 ans ! J’ai déjà un pied dans la tombe !

Elle ne se déride pas et m’observe sans même esquisser un rictus. Ça promet…

Je sors un couteau de cuisine, un de ceux que l’on utilise pour découper de la viande. Trente secondes avant minuit…

-Alors… Prête à devenir une Servante du Mal ? je souris.

Elle hoche la tête. Elle colle donc ses bras contre sa poitrine, mains ouvertes sous le menton. C’est la position pour le rituel. À ce moment-là, je remarque que ses doigts tremblent.

J’appuie la lame du couteau contre mon poignet, agenouillé face à elle. Je commence à réciter la formule traditionnelle. Une fine ligne de sang s’élève de ma veine et flotte dans l’air comme un ruban rouge.

Ce fil insolite se met à se mouvoir autour de la tête de Daphné. Elle respire de plus en plus fort, ses iris verts fixant le sol sans le voir.

La lumière de la lune frappe le fluide, qui commence à pulser. Je jette une poignée de poudre dessus, mon sang devient noir et vaporeux. Sans cesser de psalmodier, je prononce le nom de mon Maître.

-… Le Malin tu serviras.

Un trait de sang s’approche de son front et entre en contact avec sa peau. Elle hurle.

-… Tu te plieras à sa volonté.

Le liquide se dirige aussi vers ses poignets et y pénètre. Ses cris de douleur redoublent. Je tente de ne pas y prêter attention : je suis moi aussi passé par là. Elle savait ce qui l’attendait. On le sait tous.

Pourtant, c’est ce qu’on veut.

-… Tu obéiras à ses ordres.

Elle se cambre et son regard vide fixe la voûte céleste. Il arrive que la sorcière ou le sorcier qui passe la Cérémonie de Transmission décède -à cause de la souffrance. Les pouvoirs du Malheur ou du Bonheur rejettent le sorcier. Ou le sorcier les rejette. Mais c’est de l’ordre du 1%, il est très rare que ça arrive.

-… Pour lui tu vivras et pour lui tu mourras.

Mon sang entre totalement en elle, elle ne bouge plus. La pulsation malsaine résonnant à nos oreilles s’arrête et sa tête retombe sur sa poitrine d’un mouvement sec.

J’attends un instant. Elle papillonne des paupières et m’observe à son tour d’un air hagard.

– C’est terminé ?

– Oui. À présent nous allons commencer ta Formation. « Moi, Nerabass, déchu du Clan de la Branche de Cerisier, je serai ton Maître. »

– « Et moi, Daphné du Clan de la Cascade Pourpre, je serai votre Disciple. »

Nous nous levons en époussetant nos genoux et effaçons le pentagramme au sol.

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Voilà à présent trois mois que j’entraîne Daphné à être une Servante du Mal. Elle est douée, avide d’apprendre et assimile très rapidement mes ordres ou mes explications.

Je dois vous raconter deux-trois choses sur les sorciers avant d’aller plus loin dans cette histoire. Vous devez en savoir plus sur nos coutumes ou vous allez pédaler dans la semoule.

Donc : avant la Cérémonie de Transmission de Pouvoir, un sorcier ou une sorcière possède déjà la capacité d’utiliser sa magie, mais ce n’est qu’après le rituel qu’on arrive à s’en servir complètement.

Les Clans sont d’immenses familles. Chacune d’elle fonctionne de manière différente, il y en a une bonne centaine à travers le monde. Les sorciers préfèrent vivre en communauté, ils se sentent plus rassurés – excepté bien sûr les gens bizarres tels que moi! De temps à autre, ces familles se réunissent pour causer et frimer avec ceux qui sont les plus puissants de leur Clan.

Dans ma propre famille, c’est le Bien qui prime. L’aîné se voit attribuer les pouvoirs du Bien: il est admiré et choyé par les siens. Les cadets sont détestés et rejetés par tous à cause de leur Voie. Après avoir vu pendant 20 ans la moitié de mes oncles et tantes traités en parias, courber l’échine sous les regards noirs et autres remarques désagréables, j’ai décidé de ne surtout pas finir comme eux. J’avais subi assez de dégoût pour toute une vie.

Alors, aussitôt après ma Transmission, j’ai fugué et ai tenté de me trouver un Maître. J’ai sillonné la Terre, essuyant refus sur refus jusqu’à ce qu’une sorcière m’ouvre enfin sa porte. Elle avait peut-être senti le potentiel que je possédais déjà à l’époque…

En constatant ma disparition, ma famille a bien évidemment été en colère. Tout paria qu’il soit, laisser échapper un sorcier du Clan est embêtant. Ils se sont dit que je ne reviendrais jamais et m’ont gentiment oublié…

Dommage ! Je suis revenu en force, telle une armée de pucerons increvables ! Mais de manière indirecte. Ils ont appris que j’ai terminé ma Formation avec brio, ensuite que j’ai vaincu des sorciers très forts en duel. Que j’ai réussi à terrasser un dragon à moi tout seul . Que ceux qui me croisent évitent de rester dans mon sillage, qu’on ne soutient pas mon regard trop longtemps. Bref, qu’en échappant à leur influence je suis devenu incontrôlable, dangereux…. et que je fais du bruit.

Beaucoup de bruit, peut-être même trop.

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Nous sommes actuellement sur le toit d’un supermarché. Je ramène mes cheveux en arrière, le vent souffle tellement fort que mon manteau claque dans mon dos avec violence.

-Bon, je soupire. Concentre-toi bien et réessaye le sort. Il faut que la criminalité de ce quartier augmente, et on sait qu’un paysage déprimant est propice aux changements d’humeur. Dessèche-moi cette végétation !

Elle hoche la tête. Elle pose un genou à terre (à toit devrais-je dire !) et le bout de ses doigts effleure le béton. Elle se met à murmurer des paroles en latin, sa magie s’infiltre à travers les murs : les bactéries à l’intérieur des frigos commencent à se multiplier, la moisissure envahit les parois et le béton s’effrite légèrement.

Ses pouvoirs s’infiltrent dans le sol. Les arbres se mettent à se recroqueviller, les racines à durcir… J’arrive à suivre le parcours de ses tentacules insolites et destructeurs.

– Qu’est-ce qui se passe ? je demande en les voyant s’immobiliser.

– Je ne comprends pas, s’étonne-t-elle, on dirait qu’une force extérieure tente de me bloquer.
– Un obstacle ?

-Non, je ressens une sorte de cercle qui m’entoure et m’empêche de m’étendre plus loin.

– Ça signifie qu’il y a quelqu’un dans les parages. Arrête tout, je vais vérifier.

Je ferme les paupières et lance une onde mentale dans les environs pour trouver l’intrus. Normalement les humains dorment à cette heure tardive.

-Ce sont des sorciers. On ferait mieux de…

-Inutile de fuir mon cher.

Deux silhouettes atterrissent sur le toit d’un coup. Avant de ne serait-ce que pouvoir les identifier, la plus petite des deux s’accroupit au sol et frappe le béton du poing. Le sort de Daphné est immédiatement neutralisé et se volatilise. Les nuages se mettent à tourbillonner au-dessus de nos têtes.

-Qui êtes-vous ?! s’exclame ma Disciple en se relevant d’un bond. Et de quel droit vous permettez-vous de bloquer mon sortilège ?

La femme à terre -car c’en était une – redresse le visage vers nous.

-Coucou Daphnie ! sourit-elle.

Daphné se fige puis s’étouffe de rage ; ses globes oculaires sortent de ses orbitent et on aperçoit presque de la bave à ses lèvres.

– Jézabel ?!

– Qui est-ce ? j’interviens.

– Ma Disciple, répond l’autre sorcier en ôtant le capuchon de son sweat.

Bien que je ne l’aie pas vu depuis des années, je reconnais immédiatement mon frère aîné. Toujours ce même regard méprisant, supérieur… et ces cheveux noirs.

-Salut Artie, t’as drôlement vieilli dis-moi ! je lance joyeusement.

-Va te faire mettre !

– L’âge ne t’a en tout cas pas rendu plus aimable, je constate ! (Je me penche vers ma Disciple qui tremble à mes côtés, bouillonnant apparemment de rage contenue.) Je suppose que la jeune personne qui accompagne mon frère est ta grande sœur ?

– Oui ! crache-t-elle. Qu’est-ce que tu fiches là, toi ?! Tu peux pas arrêter de me fliquer!? Si ce sont les parents qui t’envoient, tu pourras leur dire…

-Stop ! rit son aînée en levant la main. Je ne suis pas là en tant que sœur… mais en tant qu’ennemie et rivale naturelle.

– Qu’est-ce que tu racontes encore ?

-Jézabel est ma Disciple, répète mon frangin.

– Comment ? C’est quoi ces bêtises !

– En apprenant le jour même de ma Cérémonie de Transmission que ma chère petite sœur m’a volé les pouvoirs qui m’étaient destinés, j’ai décidé de prendre les choses en main. J’ai su que tu as été acceptée comme Disciple par le tristement célèbre Sorcier Noir Nerabass. Du coup, j’ai été trouver son… parfait opposé.

– J’ai refusé de devenir son Maître jusqu’à ce qu’elle me dise le sale coup que vous lui avez joué, avoue mon frère. L’idée de te mettre des bâtons dans les roues était trop tentante…

– Un « sale coup « ? ricane Daphné. C’est pas le premier, et j’ai pas fini de t’en faire.

-Contrairement à ce que tu crois, je ne suis pas en colère contre toi. (Je hausse les sourcils.) Ou en tout cas, je ne le suis plus.

– Vous me surprenez Jézabel ! je m’exclame. Votre sœur vous a ridiculisé devant votre Clan au complet, non ?

Elle est jolie la frangine… Cheveux d’un brun chocolat à l’aspect soyeux, yeux perçants, posture droite et visage franc. Elle me plaît beaucoup !

– Oui. Mais j’ai réalisé qu’elle ne pouvait pas me rendre un plus grand service. À présent je peux suivre la Voie qui me correspond sans déclencher la colère des miens. Ma pauvre chérie ! Tu t’es discréditée auprès de toute notre famille et je suis la gentille fifille victime des ruses abjectes de sa cadette capricieuse et jalouse.

Daphné hoquète de fureur, j’esquisse un rictus. Cette jeune femme a un sacré caractère ! Elle est plus fourbe qu’elle ne le laisse paraître.

-Qui pourrait être jalouse d’une espèce de truc mou et fade tel que toi!? grince-t-elle.

– Je suis tout le contraire, s’amuse Jézabel ton erreur est de penser que faire le Bien, c’est être faible. Mais la gentillesse est une force. Le Bien est une arme -mon arme ! Et j’te l’prouve !

Elle agite négligemment les mains. De la neige se met à tomber, et très vite le paysage lugubre de la banlieue se transforme en décor de conte de fées.

– Oh, des flocons ! C’est joli !

-C’est tout ce que vous trouver à dire ? s’agace Daphné.

-On a été bluffé, autant admirer la manœuvre sans protester. (Je hausse les épaules en souriant, devant ressembler vaguement à un gosse de cinq ans la veille de Noël.) Joli coup, beauté !

Jézabel rougit et éclate de rire. Artie fronce les sourcils.

– On s’en va, lâche-t-il sèchement.

Je n’arrive pas à la quitter des yeux, occultant totalement mon propre frère.

– J’espère avoir le… plaisir de vous revoir. (Ma Disciple me met un coup de coude.) Quoi ? On remarque tant que ça que je bave avec des yeux de merlan frit ?

– Arrêtez de fricoter avec l’ennemi !

Son aînée me fait un clin d’œil.

-Voyons monsieur Nerabass ! Le Bien et le Mal ne peuvent coexister !

Son ton est ironique, elle ne croit pas un mot de ce qu’elle dit.

– Comment connaissez-vous mon prénom ? je m’émerveille.

-Qui ne le connaîtrait pas, grogne mon aîné, un monstre tel que toi!

Et les deux sorciers disparaissent sur un geste de sa main, juste après que Jézabel m’ait fait un petit signe d’au revoir.

– Dis-moi… Elle est vachement forte… T’es sûre qu’elle a que 21 ans ?

-Non mais, s’exclame Daphné, vous êtes de quel côté !?

– Je remarque simplement que, si elle a un tel niveau après un mois seulement d’entraînement… la Voie du Mal a du souci à se faire…

-Elle se la pète, c’est tout !

Je réfléchis un instant, songeur.

-Si je t’épargne une semaine de vaisselle… est-ce que tu me files son numéro ?

-Quoi ? Vous plaisantez ? Elle a l’âge d’être votre fille.

– Tu exagères ! Bon, deux semaines ? T’es d’accord ?

-Non !

– Trois ?

– Non ! C’est une cruche fadasse qui collecte des vêtements pour les SDF pendant ses vacances ! Vous n’iriez pas ensemble !

Je souris en observant la neige qui tombe toujours autour de nous, étrangement de bonne humeur !

J’attends la suite avec impatience…

Under la Cathé

Fuyant la chaleur estivale étouffante de cet été naissant, je me faufilai par la porte en bois de l’immense édifice religieux. La température chuta d’au moins dix degrés, je pus retirer ma casquette et mes lunettes de soleil. Mes pupilles se dilatèrent immédiatement -comme celles d’un chat- pour que je m’habitue à la pénombre.

Je continuai ma route, traversant l’allée de pierres plates à grandes enjambées, comme si mon corps connaissait déjà le chemin par cœur, trop habitué à le parcourir chaque semaine. Je tournai à gauche devant l’autel, ignorant un couple de touristes s’extasiant sur un vitrail.

Je contournai alors l’autel et m’immobilisai devant une grille encastrée dans un mur à ma droite. Je sortis une vieille clé à moitié rouillée de la poche arrière de mon jean et ouvris la porte, non sans vérifier que personne ne me regardait. Je me glissai comme une ombre dans l’obscurité la plus totale et tirai la grille vers moi pour la verrouiller ensuite de l’intérieur, m’enfermant moi-même.

En tentant de faire le moins de bruit possible, sur la pointe des pieds et à tâtons, je descendis l’escalier raide, rendu humide et poussiéreux avec le temps. Je sentais le vide sous moi et il n’y avait aucune rambarde à laquelle me raccrocher. Après ce qu’il me parut être une éternité de descente, mon pied rencontra le sol et non le vide qui précède une marche. J’allumai mon briquet et mis le feu à une torche posée par terre, que je posai sur un présentoir accroché au mur. Elle éclaira le cercueil à mes pieds et les murs de la crypte étroite.

J’attendis. J’attendis encore, les heures passant. Je sus que le soleil s’était couché au moment où le couvercle du cercueil glissa.

-Bonjour Armelin, fis-je calmement en jouant avec ma casquette.

-Bonjour, bâilla-t-il.

-As-tu bien dormi papy?

Il se fâcha.

-Ne m’appelle pas ainsi, tu me rajeunis.

-Dois-je t’appeler arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père ? C’est long.
Il ne répondit pas.

-Viens me rejoindre dans trois heures, j’aurai fini d’ici là.
-Bien.

-Tu peux te reposer dans mon lit si tu le désires…
Mon regard tomba sur le cercueil.

-Non merci, je m’en passerai.
Il disparut. Trois heures plus tard donc, je le rejoignis en haut, dehors.

-Où as-tu été cette fois ? demandai-je.

-À la discothèque du centre. Le « MAD « . Il y a toujours de quoi se servir.

-Pas faux… commentai-je .

Il me considéra un instant de son regard mort.

-Je préfère quand tu viens à la place de ton père.

-Je sais, tu me l’as déjà dit.

-Bien, conclut-il, indifférent, à demain, je pense .

Je posai la pelle prise dans la crypte et la posai en équilibre sur la pile de corps entassés dans la brouette qu’Armelin avait empruntée, puis la soulevai.

-Oui… À demain, dis-je dans le vide -il était déjà parti.