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Mr et Mme Personne 2/4

Monsieur et Madame Personne

Épisode 2/4

Assis dans ma cuisine, un verre de bière à la main, je suis perplexe. Mais ça n’est pas nouveau, en réalité cela fait deux jours que je suis perplexe.

Posée sur le dossier de la chaise en face de moi, il y a la veste en cuir de Fernanda, la femme mystérieuse qui m’a sauvé la vie hier. Alors que nous buvions un petit café tranquillement ensemble dans un tea-room, et que nous discutions le plus agréablement du monde, des rafales de mitraillettes ont fait éclater la vitrine, tout droit dirigés sur nous.

C’est là que cette ravissante jeune femme a sorti un Glock et a répliqué. Elle nous a fait sortir de là (bon, OK, je l’ai suivie en flippant comme une poule mouillée) et avant de s’envoler elle m’a dit d’oublier tout ce que j’avais pu voir.

Mais comment oublier pareil visage ? J’ai eu le coup de foudre pour elle et ne pense pas pouvoir l’oublier de sitôt –l’épisode des mitraillettes mis à part. Je m’étais rendu à mon bureau hier, titubant encore sous le choc, et n’avais pu parler de cette histoire à personne. Les gens ont bien remarqué que j’avais de la poussière sur tout le devant de mon complet et des traces de café un peu partout parce que j’avais rampé sur le sol à la suite de Fernanda, mais je n’avais pas racconté quoi que ce soit.

Et il y a encore la veste…

Je tends inconsciemment la main pour effleurer le cuir de la jaquette élimée. Je ne réalisais pas vraiment ce que je faisais sur le moment, quand je l’ai ramassée dans le tea-room. Alors que les balles sifflaient au-dessus de nos têtes, j’ai saisi le vêtement sous une impulsion et l’ai emporté avec moi. Sur le moment je crois que je me suis dit : « Elle y tient, elle risque d’en avoir besoin. » Ensuite je l’ai oubliée. Ce n’est qu’une fois au travail, lorsque mes collègues se sont foutus de mon apparence et m’ont demandé à qui était cette veste que j’ai réalisé que je l’avais toujours dans les mains.

Qui est cette mystérieuse femme ? La reverrai-je un jour? Je contemple le cuir et soupire. J’ai peu d’espoir, et ça m’attriste. Je suis tombé fou amoureux d’elle, je veux en savoir plus sur qui elle est, sa vie, ses passions… Mais c’est probablement impossible que nos chemins se recroisent un jour, elle semble aussi insaisissable que de la fumée !

Autre détail qui me tracasse : j’ai été le témoin (involontaire) d’une fusillade dans un lieu public, et la police enquête là-dessus. Il y a eu de nombreux blessés, des morts, et je me suis enfui. Je ne sais pas s’ils vont se rendre compte que j’y étais, mais ils risquent de venir me poser des questions pour savoir pourquoi je ne me suis pas manifesté après l’attaque… Oserais-je leur parler de Fernanda ? Probablement pas. Au fond, même si elle n’avait rien fait de répréhensible, elle devait être suspecte à leurs yeux : elle se promène quand même en plein jour avec un pistolet! Cette fille a certainement plus de secrets que mon pauvre esprit sans imagination ne peut le concevoir.

(Est-elle un agent secret? Fait-elle partie de la mafia ?)

Je soupire et finis ma bière, puis me lève pour m’étirer. Ces réflexions ne mènent nulle part, je tourne en rond! Assez. Bon. Je prends mon verre et le pose dans l’évier, puis monte me coucher.

À l’étage, j’allume la lumière dans le couloir et vais dans ma salle de bains, plongée dans le noir. Je prends ma brosse à dents, dépose une couche de dentifrice dessus (pas trop épaisse, sinon c’est trop fort dans la bouche !) et me redresse. Je me fige. À travers le reflet du miroir, je peux voir une silhouette se détacher dans l’encadrement de la porte.

Je cligne des yeux, mais ne bouge pas, trop surpris pour esquisser un geste. La personne derrière moi reste immobile, pointant un flingue pile sur mon dos.

Un léger bruit, comme un bouchon de champagne qui saute, retentit. La silhouette vacille, puis tombe sur le côté avec un bruit sourd.

Je cligne des paupières. (Hein ? Que vient-il de se passer ?)

Je me tourne au ralenti, sourcils haussés. Non, je n’ai pas rêvé, il y a bel et bien un homme par terre dans mon couloir. Brosse à dents toujours en main, je m’avance d’un (petit) pas pour l’observer et l’identifier.

Une deuxième silhouette surgit, je bondis en arrière. Une main glisse sur le mur pour atteindre l’interrupteur et avant même que la lumière ne s’allume, je reconnais avec soulagement qui se tient à présent devant moi.

Fernanda, vêtue d’un pull à col roulé noir, d’une casquette et de jeans sombres, lève son regard couleur chocolat fondant sur moi, armée d’un pistolet avec un silencieux. Elle s’est coupé les cheveux, qui sont à présent blond platine. Ce carré la rend plus stricte.

-Oh! Bonsoir, je fais d’un ton guilleret que je peine à masquer, esquissant un geste vers elle. Je suis content de vous rev…

Elle pointe son pistolet dans ma direction ; bon, tant pis pour les embrassades.

-Ne bougez pas.

Gardant son revolver braqué sur moi, elle pousse le bras du gars à terre du bout de sa basket. Il ne réagit pas.

-Il est mort ? je demande.

-En général, c’est ce qui arrive quand on se prend du 9 mm dans la tête, dit-elle froidement en se focalisant sur moi.

Une seconde de silence, je digère l’information.

-Merci.

-De quoi ? fronce-t-elle les sourcils.

-Bah… De m’avoir sauvé la vie. (Je pointe le type par terre du doigt.) J’imagine qu’il était venu ici pour me tuer, ou quelque chose du genre.

Elle me dévisage comme si j’étais un demeuré.

-Pardon ? « J’imagine qu’il est venu pour me tuer « ? répète-t-elle, incrédule. Comme si vous ne le saviez pas !

-Je ne comprends pas…

-Ce type était un tueur à gages venu d’Europe de l’Est. Je le connais, il travaille pour la société Smith Inc qui est, comme par hasard, la société rivale de Htims SA. Htims, qui est une filiale de L.E.E., qui emploie occasionnellement le groupe D.O.E.

Je hausse les sourcils.

-Euh… Ça fait trop d’abréviations et de sociétés, je suis complètement perdu.

-Vous voulez que je fasse les liens pour vous ? s’énerve-t-elle. Le groupe D.O.E. est celui qui m’a canardé hier matin.

-Ah? Donc, vous avez réussi à savoir qui étaient ces tueurs ? je m’étonne.

-Eh oui, dommage pour vous. (Elle avance d’un pas et je jurerais que son index se rapproche dangereusement de la détente.) Pendant que vous essayiez de me distraire, vos petits camarades ont tenté de me trouer la peau. (J’écarquille les yeux. Quoi ?!) C’est très noble de votre part de vous être sacrifié en mode kamikaze. Malheureusement pour vous j’ai de bons réflexes, et je ne suis pas tombée dans votre piège grossier.

-Whoa, je m’exclame en la voyant clairement lever son arme pour m’abattre. Attendez ! Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez !

-C’est ça. En tout cas, j’ai horreur qu’on me manipule, vous ne vous en tirerez pas aussi facilement !

-Je ne travaille pas avec la compagnie Smith, ou Htims, ou l’Europe de l’est! je m’empresse de me défendre. Je n’ai jamais cherché à vous faire du mal!

-Mais bien sûr ! s’exclame-t-elle, furieuse. Et si vous m’avez abordée, c’était uniquement pour me parler du temps qu’il faisait et du café en poudre ! Ça n’était pas pour détourner mon attention et me faire éliminer ! Alors que je me suis infiltrée chez L.E.E. pour les espionner l’année dernière et leur voler des données. En découvrant ça, L.E.E. a employé des mecs de chez D.O.E. pour me tuer. Dont vous. (Au comble de l’énervement, elle fait un mouvement brusque avec son pistolet, je me baisse pour éviter de me retrouver dans sa ligne de mire.) Vous savez, j’en au vu à la pelle, des agents qui essaient de se faire passer pour quelqu’un de normal, mais alors vous, vous êtes trèèèès doué ! J’ai failli me laisser berner !

-Mais… c’est parce que je suis normal !

-Mais il y a plusieurs détails qui m’ont mis la puce à l’oreille, poursuit-elle sans m’écouter. Vous êtes trop calme ! Hier vous avez quand même assisté à une fusillade, et pourtant vous êtes retourné au boulot comme une fleur. Vous n’aviez même pas l’air choqué, vous avez agi comme si de rien n’était.

-Bien sûr, je m’étonne. C’est parce que vous me l’avez demandé !

Personne n’aurait pu rester aussi calme après avoir assisté à une attaque à la mitraillette ! Et là, juste maintenant : je viens de tuer un homme juste devant vos yeux, pourtant vous n’avez même pas bronché. Ne venez pas me dire que ce n’est pas une réaction maîtrisée ! Je vous ai suivi entre hier et aujourd’hui, et vous avez le profil parfait du mec en sous-marin qui s’est choisi une petite vie bien rangée et banale pour passer inaperçu !

-Écoutez, je vous jure que je suis un type normal, je n’ai jamais fait de mal à une mouche ! Je me défends. La seule chose c’est que… que lorsque je me retrouve avec vous, je suis tellement heureux que le reste n’a plus aucune importance.

C’est moi qui ai dit ça? Je sens ma langue devenir pâteuse et ma gorge s’assécher d’un coup. Un peu plus et je rougirais comme un collégien !

Elle me dévisage, le regard vide.

-Quoi? (Elle se reprend, l’air un peu moins énervée quand même.) Qu’est-ce que vous me chantez encore ?

-Je… C’est plus fort que moi : quand je vous vois, j’ai le sourire jusqu’aux oreilles, j’ai le cœur qui bat plus fort et je ne me sens plus moi-même.

-Vous ne m’aurez pas avec une démarche aussi grossière !

-Je n’ai jamais éprouvé cela ! je m’exclame, bien lancé à présent. Je vous trouve magnifique et forte, depuis que je vous ai rencontrée je ne rêve que de vous et je…

-STOP ! m’arrête-t-elle. Je ne veux plus rien entendre ! (Ah, tiens, elle a les joues rouges.) Vous n’êtes qu’un menteur, vous essayez de m’embrouiller !

-Je vous jure que je dis la vérité !

Elle me sonde, me regardant droit dans les yeux pour juger de ma sincérité. Elle ne semble pas prête à me croire sur toute la ligne, mais ses certitudes ont été ébranlées.

-Vous voulez me faire croire que vous ne bossez pas pour Smith? Ou pour Htims? Ou même L.E.E.?

-Je ne cherche pas à vous persuader de quoi que ce soit, je soupire, c’est la vérité vraie Fernanda. Je ne suis au courant de rien!

-Alors, j’ai dû désactiver 19 micros planqués pour m’infiltrer dans votre maison parce que vous êtes innocent ? Et c’est un hasard total qu’une camionnette du FBI soit parquée de l’autre côté de la rue ?

Je m’étrangle.

-Le –quoi ?! Le FBI ? Ils sont en face de chez moi, vous dites ?!

Devant ma surprise évidente, elle cligne des yeux, puis fronce légèrement les sourcils.

-Au fait, pourquoi m’appelez-vous Fernanda… (Elle réalise.) Ah ! Oui. C’est vrai, c’est le nom que je vous ai donné.

-Qui est faux, j’imagine.

Elle acquiesce, je me frapperais le front si je le pouvais. Évidemment qu’elle m’a menti sur son prénom ! Imbécile ! J’aurais dû m’en rendre compte avant !

Nous restons face à face en silence, chacun préoccupé par l’autre. Après quelques minutes, elle baisse finalement son arme.

-Vous ne me tuez pas ? je m’étonne. Vous aviez pourtant l’air décidée…

Elle se passe la main sur le front, lasse.

-Je ne peux pas tuer un innocent. (Mon cœur s’allège, j’en danserais de joie si je le pouvais !) Je n’ai aucune preuve contre vous. Je pensais que vous avoueriez sous la pression, mais vous continuez à dire que vous n’êtes pas mêlé à tout ça… Je vais m’en aller. (Elle me jette un coup d’œil amusé.) N’oubliez pas d’appeler la police.

-Hum ? La police ? Pourquoi faire ?

-Il y a comme qui dirait un cadavre dans votre couloir. (Elle hausse les sourcils.) Ça va ruiner votre parquet.

Elle fait élégamment volte-face et se dirige vers la sortie, je me rappelle brusquement quelque chose :

-Ah ! Fernan… Euh, Madame ? (Elle me jette un regard surpris.) Votre veste est en bas dans ma cuisine, pensez à la récupérer en partant.

Elle fronce les sourcils, mais ne répond rien. Elle part.

Quand la police arrive vingt minutes plus tard, je constate que ladite veste a disparu. (Et je ne peux pas me retenir de sourire comme un idiot !)

Mr et Mme Personne 1/4

Monsieur et Madame Personne

Épisode 1/4

Je suis un homme on ne peut plus ordinaire. Tout le monde vous le dira (mes collègues, mes proches, même mes parents) je mène une vie banale et il ne m’arrive jamais rien de palpitant. Je ne souhaite pas qu’il en soit autrement et je n’ai pas forcément envie que ma situation change.

Je vis dans une ville calme et travaille comme cadre dans une boîte qui ressemble à beaucoup d’autres. Justement, avant d’aller à mon bureau, je m’arrête dans mon café habituel, comme je le fais tous les matins. J’aime la routine, que les événements ne diffèrent pas et s’enchaînent comme du papier à musique. Tout ce qui sort de l’ordinaire me désarçonne, j’aime savoir ce qui m’attend à l’avance.

J’entre donc dans le café dans lequel je vais toujours chercher un macchiato brûlant et un croissant. Mais à ce moment-là je suis foudroyé sur place.

Au fond de la petite boutique se tient une jeune femme.

Sainte Marie mère de Dieu !

Attendez, ne vous méprenez pas ! J’ai l’habitude de voir des femmes, tous les jours. Mais celle-ci… Elle sort vraiment du lot. Comment vous la décrire ? Elle est exceptionnelle, vraiment exceptionnelle, du genre qu’on ne rencontre qu’une ou deux fois dans une vie. Je m’oblige à fermer la bouche et à me décaler pour ne pas bloquer l’entrée aux gens qui commencent à s’impatienter derrière moi.

Ses cheveux noirs et brillants sont lâchés sur ses épaules en boucles larges et encadrent son magnifique visage. Ses yeux bruns soulignés d’un élégant trait noir sont perdus dans le vague. Elle a la peau d’un beau brun clair et je me fais la réflexion qu’elle doit probablement venir d’Amérique du Sud. (Où exactement, je ne saurais le dire, je ne possède pas le genre de talent permettant de deviner le pays d’origine d’une personne juste en observant ses traits.) Elle porte un t-shirt tout ce qu’il y a de plus simple, mais il semble avoir été créé pour la mettre en valeur. Elle a des bottines noires à talons carrés aux pieds, un jean bleu foncé et une veste en cuir est posée sur le dossier de sa chaise.

Quand elle lève soudain son regard sur moi, sentant qu’on l’examine (à raison), je réalise que je viens de tomber amoureux d’elle. Elle me contemple une seconde, juste surprise de découvrir qu’on la fixe et non pas fâchée comme je l’aurais cru –trop tard, j’ai tourné la tête pour ne pas qu’elle me prenne pour un idiot.

En commandant mon café, j’ai le cœur qui résonne sourdement à mes oreilles et je suis dans tous mes états. Elle m’a vu. Elle a vraiment des yeux superbes. Me regarde-t-elle encore ? Je sens ses iris posés sur mon dos qui me réchauffent la nuque. Je dois trouver un prétexte pour l’aborder…

Quoi ?! Ça ne m’arrive jamais d’entamer la conversation avec quelqu’un, comme ça, dans un tea-room. Il me faut au moins un prétexte. Je me sers de sucre, ma main tremble légèrement. Elle va remarquer que je m’intéresse à elle ! Je suis fou, il faut que je me tire d’ici en conservant un minimum de dignité !

Je me tourne. Elle lève à nouveau les yeux, nos regards se rencontrent. Un sourire amical fend malgré moi mon visage.

-Bonjour, je lui dis, ma voix étant beaucoup plus posée que je ne l’aurais cru.

-Bonjour, répond-elle poliment en me rendant mon sourire.

Elle semble attendre que je poursuive, j’y vois ma chance. (Oui, mais ma chance de faire quoi ?!) Je pointe la baie vitrée donnant sur l’extérieur.

-Belle journée n’est-ce pas ?

Je n’aurais pas pu faire encore plus banal ! Heureusement qu’il fait beau, parce que sinon j’aurais eu l’air con. Son sourire s’accentue légèrement –apparemment mon bavardage ne l’ennuie pas.

-Effectivement. Le temps est superbe aujourd’hui, il ne risque pas de pleuvoir.

Je me mets à paniquer lorsque je ne trouve rien à répliquer. Elle attend de moi une répartie, quelque chose ! Mais en même temps continuer ce dialogue stérile sur la météo serait idiot. « Aller, vas-y, dis un truc, n’importe quoi ! » je m’intime. « Elle attend ! » (Argh, pourquoi la drague c’est aussi difficile ?!)

-Est-ce que je peux m’asseoir à votre table ?

C’est sorti tout seul. Un peu plus et je me foutrais des claques ; une femme comme elle doit souvent être approchée par des hommes, elle doit être habituée à ce type de manœuvre –et à éconduire les gêneurs également.

Elle est surprise par ma question, mais elle semble y réfléchir. Finalement, elle acquiesce.

-Je vous en prie.

N’en croyant pas mes oreilles, je tire la chaise comme dans un rêve et m’assieds. Mais elle lève la main comme pour m’arrêter, je me fige :

-Oh! Euh, pourriez-vous vous décaler d’à peine quelques centimètres ? demande-t-elle d’un ton embarrassé. J’aime bien la vue…

Je me tourne. Effectivement, on voit le parc à travers la vitrine, et ce tableau au petit matin est plutôt joli. Je me pousse sur la droite, désireux de lui plaire, ne me doutant pas qu’elle a autre chose en tête que d’admirer les arbres. (Mais bon, ça, je le découvrirai plus tard!)

Mes yeux se posent une microseconde sur l’horloge accrochée au mur derrière elle, je chasse mon travail de mon esprit. Je vais certainement arriver en retard… Tant pis. (De toute façon, ce n’est pas comme si j’étais indispensable.)

-Désolée, fait-elle.

-Ce n’est rien, je dis en chassant sa remarque d’un geste désinvolte de la main. (Mes yeux tombent sur sa tasse.) Que buvez-vous ?

-Du thé noir. Et vous-même ?

-Macchiato, je souris en soulevant mon thermos. (Ses yeux suivent l’objet, elle en tire la conclusion logique –que d’habitude je le prends à l’emporter. Je tente de détourner son attention.) Est-ce que j’ose vous demander votre nom ?

-Fernanda, répond-elle, n’ayant pas l’air de trouver ça indiscret.

-Et moi je m’appelle Mike.

-Vous venez souvent ici pour déjeuner ? poursuit-elle d’un ton badin.

-Quasiment tous les jours.

-Moi c’est la première fois, mais j’aime bien l’atmosphère… En tout cas, ça doit vraiment vous plaire pour que vous y retourniez tous les jours !

Elle ne laisse pas de creux s’installer et se transformer en silence gênant. Je dois me retenir de la couver des yeux, me faisant la réflexion que ça doit être une femme gentille.

Mais pile à ce moment-là, son regard se pose derrière moi. Elle se fige.

Et c’est l’apocalypse.

Elle saisit la table ronde entre nous et la balance violemment sur le côté sans une seconde d’hésitation. Je n’ai même pas le temps de réagir qu’elle chope mon col et me tire contre elle, se laissant tomber en arrière –moi avec. Elle atterrit sur le dos et, ne possédant pas de réflexes aussi performants, je ne peux faire autrement que m’écraser sur elle.

Des tirs de mitraillettes ont comme qui dirait frôlé le sommet de mon crâne lors de ma chute…

Des balles passent à travers la vitrine de la devanture et vont se figer dans le mur du fond du café. Il y a des cris –de peur et de douleur – tandis que les clients réalisent ce qu’il se passe. Moi-même je n’ai pas encore tout compris ; il y a une seconde, on parlait tranquillement et là, je me retrouve par terre et c’est la troisième guerre mondiale…

Elle ne s’arrête pas là. Je ne m’en suis pas rendu compte de suite, mais avant de nous faire chuter elle a glissé son tibia gauche contre ma hanche et elle n’a qu’à tourner sur son côté droit pour inverser les rôles et me chevaucher.

-Bordel de merde, jure-t-elle entre ses dents serrées.

Ses cheveux caressent mon visage, exhalant une douce odeur de pêche. Elle tend la main vers sa veste en cuir tombée par terre et en sort un pistolet.

-Apparemment je me suis trompée, le temps s’est gâté d’un coup ! marmonne-t-elle.

Elle enlève la sécurité du pistolet. Les rafales de tirs continuent inlassablement, je voudrais crier, mais le son horrifié que je voudrais produire est coincé dans ma gorge. Qui sont les gens qui s’appliquent à détruire le tea-room? Pourquoi Fernanda ne semble-t-elle pas plus choquée que ça ? Pourquoi se balade-t-elle en ville avec une putain d’arme à feu ?!?

Elle rampe sur les coudes pour s’éloigner, restant bien à terre, et se dirige vers le couloir au fond du café. Pris d’une impulsion, je la suis (elle a l’air de savoir ce qu’elle fait !) et saisis son blouson de cuir au passage.

(Bah quoi ? Peut-être en aura-t-elle besoin !)

Une fois à l’abri derrière le mur du couloir, elle profite d’une accalmie pour tirer sur les tarés qui nous ont attaqués. Elle me jette un coup d’oeil surpris du genre « Tiens ? Toujours vivant ? » quand elle réalise que je l’ai suivie pour me cacher moi aussi.

-Bordel ! je lâche en m’adossant à la paroi. C’est qui ces mecs ?

-Peu importe, il faut partir d’ici au plus vite.

Vraiment ? je songe.

-Oui, évidemment, mais ça ne vous intéresse pas de savoir qui cherche à vous tuer?

-La liste est longue, rit-elle . Mais vous pouvez toujours aller leur demander si ça vous tient à cœur.

Elle s’attache les cheveux en une queue de cheval tout en se baissant, tandis que des coups trouent le mur au-dessus de sa tête. Elle se tasse pour rester le plus près possible du sol, je ne peux pas m’empêcher de remarquer que ses yeux brillants de malice sont tout ce qu’il y a de plus charmant.

-Je vais répliquer, d’accord ? Comptez jusqu’à quatre, et nous courrons vers la porte là-bas pour sortir. Prêt ?

-Quoi ? Mais pourquoi quatre ? D’habitude c’est trois non ? (Je fronce les sourcils.) Pourquoi est-ce que je pose des questions aussi stupides ?

-C’est parti ! lance-t-elle, m’ignorant.

Elle se redresse et se penche pour tirer en direction de la vitrine, sa rapidité me stupéfie. J’ai à peine le temps de me reprendre et de commencer à compter qu’elle fait volte-face et me chope par le bras pour m’entraîner derrière elle.

Une fois dehors elle ne s’arrête pas et court dans la rue, moi sur les talons. Lorsque nous avons mis trois blocs entre nous et la fusillade, nous nous insérons entre deux immeubles. Elle vérifie que nous n’avons pas été suivis, tandis que je tente désespérément de reprendre mon souffle.

-Qui… Qui êtes-vous ? je halète.

-Euh, je crois qu’il vaut mieux pas que vous le sachiez, pour votre sécurité.

-Vous êtes une sorte d’agent secret ? (Je réalise quelque chose.) C’est vous que ces gens visaient, je me trompe ?

-Hum, probablement. (J’ouvre la bouche pour lui poser le petit millier de questions que j’ai à la bouche, mais elle s’avance vers moi.) Je suis vraiment désolée que vous ayez eu à subir ça, vous devez être profondément choqué…

Je me redresse et me racle la gorge, n’ayant pas envie de passer pour un trouillard.

-Non-non, je vais bien.

Par contre, c’est assez horrible pour les gens qui viennent d’être tués par votre faute. (Je garde ce commentaire pour moi.)

-Tant mieux. (Elle plante son regard dans le mien.) Je vous conseille de rentrer chez vous, ou d’aller à votre travail comme d’habitude, et d’oublier tout ça.

-Tout ça ? je répète, incrédule.

-La fusillade, moi… Vous n’avez jamais été dans ce café ce matin. Il ne s’est rien passé.

Non ! Je ne veux pas l’oublier ! J’aimerais la revoir, continuer à lui parler… Je tends la main vers elle comme pour la retenir, elle recule en direction de la rue d’un air désolé.

-J’ai été ravie de discuter avec vous. Sincèrement.

Elle fait volte-face et passe le coin de l’immeuble. Je débouche dans la rue, essayant vainement de la rattraper. Je regarde à gauche, à droite.

Elle a déjà disparu…

Apprenties sorcières (2) – L’Eau

-Au revoir, je fais en sortant du magasin d’occultisme, à la prochaine.

Je vois la pluie qui tombe dans la rue. Ah, je sens que je vais avoir droit à une douche gratuite. Je rabats la capuche de mon sweat-shirt sur ma tête et me mets à courir entre les gouttes pour ne pas me retrouver trempé. La vache, il tombe des cordes ! Un vrai déluge !

Je me dirige droit vers l’abribus, mes vêtements déjà imprégnés d’eau. Je souffle et mets mes mains dans mes poches. Je vais attendre que l’averse se calme pour rejoindre le métro plus loin. Je ne suis pas pressé.

Je fixe la route où la pluie s’écoule en une sorte de petite rivière sans vraiment la voir. Mon esprit est déjà ailleurs, concentré sur autre chose. Je pense à Daphné et à la Communauté des sorciers.

La petite apprend bien tout ce que je lui enseigne ; elle ne fait pas preuve de dons exceptionnels, mais elle retient ce que je lui dis et le mets en pratique. Si on prend en compte son jeune âge, elle est très assidue.

J’ai reçu plusieurs avertissements de la part de mes pairs, et je m’attends à recevoir un blâme un de ces jours si je la garde avec moi. Oh, ça ne m’inquiète pas outre mesure, j’ai reçu de plus sérieuses menaces quand je pratiquais des sortilèges dangereux et douteux à l’époque. Mais la petite est mineure. Elle ne se rend pas compte de ce qui l’attend quand elle aura achevé sa formation. Elle devra assumer ses actes et évoluer sans appartenir à aucun clan. J’espère qu’elle saura trouver sa place et ne pas se faire écraser par les autres parias du monde des sorciers.

Je suis tiré brusquement de mes pensées en réalisant qu’il y a quelqu’un à côté de moi. Je n’ai pas entendu de bruits de pas, on aurait pu croire que cette personne s’était matérialisée sur place comme par magie.

Mon cœur rate un battement. C’est une jeune femme vêtue d’un imperméable beige sous lequel elle porte une jupe blanche et des bottes noires. Elle a à la main un parapluie immaculé avec de petites fraises rouges imprimées dessus. Elle a une allure très noble, elle se tient le dos droit sans aucun effort alors que je suis naturellement voûté. Une impression de quiétude, de bienveillance tranquille se dégage d’elle. Elle regarde devant elle, comme si elle ne m’avait pas remarqué.

-Jézabel, je dis, comme si j’avais trouvé la réponse à une question qu’on m’avait posée.

Elle se tourne vers moi, le sourire aux lèvres, pas le moins du monde surprise de me voir à ses côtés.

-Oh, Nerabass. Quelle coïncidence.

On dirait qu’elle vient d’apercevoir une vieille connaissance. Son ton léger est teinté d’ironie, je doute que ce soit le hasard qui ait fait se croiser nos chemins.

-Que fais-tu dans le coin ? je demande.

-Je me promène, et vous ?

– Je suis allé acheter des ingrédients pour montrer à ta sœur comment préparer une potion de Malédiction générationnelle, j’explique en soulevant mon sac de plantes et de flacons. Tu te balades par un temps pareil, vraiment ?

Elle m’adresse un regard malicieux, ses yeux pétillant de ruse. Une mèche de ses cheveux couleur chocolat épouse la forme de sa joue, collée à sa peau à cause de la pluie. Je réalise que la courbe de ses lèvres est tout bonnement… hypnotisante.

-J’aime tous les temps, voyons ! Le soleil est source de vie, la pluie est rafraîchissante, la neige met du baume au cœur… Je suis contente, peu importe ce que la météo nous offre. (Elle se tait, nous observons l’eau tomber du ciel en silence.) Avez-vous envie de marcher ?

-Mon frère sait-il que tu es sortie ? je lâche.

-Oui, dit-elle, surprise par ma question.

-Et sait-il que tu es en ma compagnie ? Encore ? j’insiste.

Elle fait la moue, et s’il s’agissait d’une autre, je pourrais croire qu’un éclat de condescendance est en train de briller dans ses yeux bruns.

-Non. Je n’ai pas de compte à lui rendre. Et il ne s’intéresse pas à mes déplacements.

Elle se passe les doigts dans les cheveux, les ramenant en arrière, et s’avance au bord de la route. Elle traverse après avoir laissé passer une voiture. Je la suis.

Bizarrement, imaginer qu’Arthur sait qu’elle est avec moi en ce moment me rassurerait. Qu’une personne responsable et avec la maturité nécessaire soit au courant du genre de sale type avec qui elle parle occasionnellement. Comment parvient-elle à le duper ?

Et d’ailleurs, domment arrive-t-elle à me surprendre à chaque fois ?

-Un jour j’aimerais bien arriver à comprendre comment tu réussis à me trouver… Je suis bardé de sorts empêchant ma localisation et suis normalement invisible aux yeux de mes pairs.

-Je vous l’ai dit, fait-elle avec une indifférence suspecte, c’est une coïncidence. J’étais sortie uniquement pour me dégourdir les jambes. (Elle me jette un regard de biais, inquiète soudain.) Vous n’êtes pas content de me voir ?

-Au contraire, je suis toujours heureux quand nos chemins se croisent… mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée que nous passions du temps ensemble.

-Ah ? Pourquoi ?

Je choisis soigneusement mes mots. Nous marchons côte à côte le long des hautes grilles d’un parc. Petit à petit la pluie imprègne mon sweat noir et mon jean qui se gorgent d’eau, pourtant je ne ressens pas le froid. Je suis immunisé.

-Je suis beaucoup plus âgé que toi. J’ai une très mauvaise réputation parmi les sorciers. Je ne voudrais pas que tu ruines tes chances de succès en étant avec moi…

-Nous ne faisons que discuter, où est le mal ?

-… et tu sers le Bien. Nos voies sont opposées, nous sommes des ennemis naturels. (Elle lève les yeux au ciel, mes mots ne la convainquant pas.) Jamais nous ne pourrons être amis, ou nous entendre.

-Ne me dites pas que vous croyez à ces bêtises, s’agace-t-elle . Je vous pensais un peu plus subtil que ça !

Nous entrons dans le parc, nous suivons le chemin qui serpente à travers le gazon d’un vert radioactif. Des gens nous dépassent, pressés.

-Nous sommes complémentaires, reprend-elle d’un ton plus calme. Nos voies dépendent l’une de l’autre, le Bien et le Mal sont les deux faces d’une même pièce.

En même temps qu’elle dit cela, je sens son propre pouvoir l’entourer comme une aura positive et chaude. Invisible, elle m’englobe moi et tout ce qui l’environne, je dois me concentrer pour ne pas être aspiré. De telles capacités à un âge aussi jeune, alors qu’elle n’a qu’une année de Formation derrière elle… je crains pour l’avenir de la voie du Mal, vraiment ! Même moi, avec toute l’expérience que je possède, je dois être attentif à ce que mon énergie négative ne soit pas lentement mais sûrement érodée par la sienne.

Elle tourne brusquement son visage vers le mien et j’ai la sensation qu’elle a suivie exactement le même cheminement de pensée que moi. Sans qu’elle ait besoin de le dire à haute voix, je sais qu’elle craint de me faire souffrir.

-Ne t’inquiète pas, je la rassure, je suis assez fort pour ne pas être submergé par ton pouvoir. (J’éclate de rire, réalisant soudain : ) C’est le comble ! D’habitude je dois contenir le mien pour ne pas écraser les autres sorciers, et là c’est toi qui es pleine d’égards. Une jeune apprentie du Bien qui se fait du souci pour un dangereux criminel en cavale qui sert le Mal .

Elle réfléchit, nous passons près d’un étang qui reflète les nuages gris. Sa surface est troublée par la pluie qui tombe inlassablement.

-C’est vrai que vous êtes incroyablement puissant, murmure-t-elle.

-Pas tellement, je la corrige vivement. De nombreux sorciers sont aussi forts que je le suis, et mon frère…

-Votre frère est un imbécile, me coupe-t-elle.

Je cligne des yeux, surpris par son ton assuré, puis me reprends.

-Je ne vais pas prétendre le contraire, je ricane. C’est un crétin prétentieux imbu de lui-même et condescendant. Néanmoins, il s’agit de ton Maître, et tu ne l’as pas choisi pour…

-Je l’ai choisi en sachant qu’il était un imbécile, m’interrompt-elle à nouveau. (Son regard se perd dans la contemplation d’un couple d’oiseaux qui vole au-dessus des arbres ; on dirait qu’elle m’a oublié, mais elle poursuit.) Je l’ai choisi parce que je savais qu’il accepterait pour vous mettre des bâtons dans les roues. Ça m’était égal. Je crois que, d’une certaine manière, je voulais narguer ma sœur et lui prouver que même en suivant la voie du Bien on peut accomplir de grandes choses.

Soudain ses pieds décollent du sol et, avec la légèreté d’une bulle de savon, elle s’élève dans l’air pour se mettre à flotter. Je l’observe, estomaqué. Elle semble tellement sereine… les yeux clos, les traits détendus et son parapluie toujours à la main… Je me perds dans sa contemplation, fasciné par la facilité avec laquelle elle joue avec la magie, semblant ne même pas avoir eu besoin de l’apprivoiser. Elle la manie comme si elle ne faisait qu’un avec elle, on dirait qu’elle l’utilise comme elle respire, parfois sans même s’en rendre compte.

-Mais je regrette à présent, lâche-t-elle en ouvrant les yeux. En la provoquant, je l’ai rendue encore plus hargneuse. Elle est tout le temps en compétition avec moi, elle cherche désespérément à me surpasser au lieu de se surpasser elle-même. (Elle m’adresse un regard empreint de compassion.) Quant à votre frère…, il s’obstine à vous haïr parce qu’il n’a pas votre renommée. Il ne s’est pas rendu compte que vous êtes parti pour le protéger, et non pas pour le rabaisser.

Elle descend doucement et ses bottes touchent le sol. Elle atterrit en douceur et repart comme si de rien n’était, avançant jusqu’à une gloriette devant nous. Une fois au sec elle plie délicatement son parapluie et s’assied sur un banc. Je reste à un mètre d’elle, debout, et m’appuie contre la rambarde. J’ôte ma capuche et ébouriffe mes cheveux noirs trempés. Une goutte tombe d’une mèche de ma frange et s’écrase sur ma joue.

-Tu sembles penser que tu es douée pour cerner les hommes ! je remarque -un brin sarcastique.

Elle éclate de rire. Le son est léger, cristallin.

-Oh, pas seulement les hommes. J’arrive à cerner les gens très vite, et très bien.

-Je serais curieux de savoir ce que tu as à dire à mon sujet.

-Oh, vous n’êtes pas si difficile à comprendre.

-Vraiment ? je siffle.

Elle se lève et croise les bras, m’examinant comme un spécimen intrigant, puis elle pose son index sur son menton.

-Vous êtes un homme qui joue un rôle, le rôle du vilain sorcier adepte d’occultisme et qui en plaisante. Cet humour que vous avez -et qui est terriblement craquant, si vous voulez mon avis – fait partie de votre personnage et cache en réalité à quel point vous souffrez. (Je fronce les sourcils.) Vous vous isolez des autres, mais au fond vous vous sentez seuls. Vous repoussez vos pairs, affichez de terribles tatouages sur tout le corps pour faire fuir les sorciers, mais personne n’a jamais compris que c’était pour les protéger.

-Les protéger de quoi ? je la coupe abruptement.

-De votre immense pouvoir. (Elle s’approche de moi, je reste muet.) C’est pour ça que vous avez fui votre frère et votre famille. Nerabass, vous n’êtes pas comme eux, et vous aviez peur de les blesser.

-Non, je me suis tiré parce que les Serviteurs du Mal étaient traités comme des loques par mon clan, je corrige.

-En partie, oui. (Elle pose la main sur mon bras, je baisse les yeux, surpris par son geste.) Mais au fond, je sais que vous êtes quelqu’un de bien.

-Je n’ai jamais rien entendu d’aussi absurde, je lâche d’une voix blanche.

-C’est d’ailleurs la différence fondamentale qu’il y a entre nous, continua-t-elle, ne semblant pas m’entendre. Vous êtes un faux méchant… (Elle lève les yeux sur moi, tout mon corps est soudain parcouru d’un frisson.) …alors que moi je ne suis pas une vraie gentille.

On dirait qu’elle vient de me confier un lourd secret, j’ai du mal à lire entre les lignes et à saisir le véritable sens de ses mots. Je suis trop agité pour me pencher dessus, troublé par sa proximité ; j’en ai assez de son analyse, de son ton assuré… Je lui chope le poignet et glisse mon bras dans son dos pour l’attirer à moi. Je me sens très satisfait en la voyant papillonner des yeux et perdre un peu de son aplomb.

-Ah oui ? Je suis un faux méchant ? je susurre, venimeux. Tu me sous-estimes Jézabel : je suis un des plus dangereux sorciers du vingt et unième siècle. J’ai tué des dizaines de personnes lors de duels. Je leur ai ôté la vie et leur pouvoir est venu alimenter le mien. J’ai lancé des sortilèges qui ont conduit des villages à la famine, mes colères ont soulevé des ouragans qui ont dévasté carrément des pans entiers de pays. Je vis et me repais de l’obscurité, du malheur des gens et du sang versé.

Elle m’observe attentivement puis, de sa main libre, elle effleure ma joue de l’index et vient caresser ma lèvre inférieure. Ma peau brûle à son contact.

-Je n’ai pas peur de vous, murmure-t-elle.

-Tu devrais pourtant. (Elle veut poser sa tête contre mon torse, je tente de la repousser, riant : ) arrête ! Tu vas être mouillée !

Elle ne m’écoute pas et pose sa tempe contre ma poitrine, je soupire. Ses cheveux vont être humides et ses mains aussi. Je resserre mes bras autour d’elle. Son pouvoir est chaud, rayonnant, je peux presque sentir mon sweat sécher à son contact. Je me laisse emporter un instant par sa force, serein tout à coup.

-Oui, je répète. Je suis toujours heureux quand nos chemins se croisent.

Elle sourit, fermant les yeux. Elle écoute mon cœur, qui lui dit que je suis sincère.

-Moi aussi, souffle-t-elle.

Nous restons immobiles pendant cinq, dix, vingt minutes. À l’abri sous la gloriette, la pluie continue de tomber tout autour de nous. Des personnes passent de temps à autre sur les sentiers au loin, ne nous voyant pas, ou ne faisant peut-être pas attention à nous.

Elle se recule soudain et lève ses yeux couleur chocolat au lait sur moi.

-C’est la cinquième fois que nous nous voyons de la sorte, dit-elle. Est-ce que vous seriez d’accord de… m’embrasser ?

-Je ne sais pas, je soupire. J’ai seize ans de plus que toi, et j’ai tout de même une morale…

-Alors, on va dire que je ne vous laisse pas le choix. Fermez les yeux, fait-elle dans un souffle.

J’obtempère, amusé qu’elle mène la danse. Je n’ai jamais participé à ce genre de petit jeu. Si c’est nouveau pour elle, ça l’est aussi pour moi.

Elle pose ses mains sur mon torse et je la sens se hisser sur la pointe des pieds. Le temps reste suspendu, je sens son souffle sur mes lèvres ; c’est un supplice et un délice, je n’ai jamais ressenti cela auparavant. Quand elle pose sa bouche sur la mienne c’est une délivrance. Sa peau est fraîche et humide à cause de la pluie, ses cheveux coupés au carré caressent mon menton. J’en veux plus.

Je saisis son poignet et approfondis notre baiser. Elle gémit, surprise par mon ardeur.

-Je suis ravie de constater que la langue de cabri peut aussi être utilisée à bon escient, souffle-t-elle en se reculant, rieuse.

Je ris et ouvre les paupières. Elle n’est plus là.

Je regarde aux alentours puis baisse les yeux sur mes doigts, qui retenaient son poignet. À présent ils sont en train de serrer son parapluie blanc imprimé de petits cœurs rouges. Elle a disparu, me laissant seul avec la pluie.

Et avec un petit morceau d’elle. Je souris.

-Ça, c’est de la belle magie, je murmure, admiratif. Je suis… conquis.

J’ouvre le parapluie et quitte la gloriette, m’en allant d’un pas léger.

 


Note de l’auteur: Pour ceux qui ont remarqué pour le parapluie, oui c’est fait exprès 😀

Under la cathé 8

Grâce à ma bonne nuit de sommeil, mon humeur s’améliora. Mais je faisais toujours des rêves étranges et confus, où les sons m’agressaient et les ombres se mélangeaient en une masse indistincte. C’était très étrange.

 

Je restais fidèle à moi-même, allant au gymnase, m’occupant d’Armelin, faisant mes devoirs, mes rapports avec ma famille s’étaient un peu détendus et mon quotidien était aussi normal qu’il avait pu l’être jusqu’à maintenant.

Enfin, jusqu’à aujourd’hui…

 

Je m’étais réveillé d’humeur neutre ce matin, mais soudainement, à midi, elle changea d’un coup. Le soleil passant par la fenêtre se mit à m’agresser les yeux et je le sentais presque me transpercer la peau pour atteindre mes os. Je changeai de place pour être à l’ombre, mais je n’arrivai pas à calmer ma colère, à fleur de peau et énervé. Je n’avais pas envie de voir qui que ce soit et voulais tuer tout le monde.

 

Malheureusement, j’avais encore trois cours et n’étais pas le genre de gars à sécher sans avoir une bonne raison. Je tentai de me raisonner et me calmer pour supporter mon après-midi en classe avec mes camarades, mais rien n’y fit. Plus le temps passait, plus mon agacement croissait. Le bruit du stylo que Maxence faisait tourner dans sa main m’insupportait, les faux ongles d’Alex sur le bois de la table me donnait envie de les lui arracher un à un et les commentaires chuchotés à mi-voix dans mon dos à propos du cours m’arrachaient des soupires exaspérés. Ne se rendaient-ils pas compte qu’ils étaient bruyants ? Fatigants ? Invivables ? Les minutes défilaient, mes pensées s’obscurcissaient à m’en faire peur. Je m’imaginai foutre le feu à la classe, briser des nuques et balancer mon bureau par terre. Même mon voisin de table le sentait –il me jetait des regards en coin, franchement mal à l’aise.

 

Le poing serré à m’en faire péter les jointures, je levai la main droite, le visage dur.

 

-Madame ? fis-je, tendu comme un arc. Est-ce que je peux aller aux toilettes ?

 

La prof d’histoire me lança un regard inquisiteur par-dessus ses lunettes d’intello.

 

-C’est bientôt la pause… Vous ne pouvez pas vous retenir d’ici là ?

 

Il y eut quelques ricanements de circonstance qui me donnèrent envie d’envoyer mon cahier voler à travers la pièce. Je fis non de la tête d’un mouvement sec, elle soupira.

 

-Eh bien allez-y, lâcha-t-elle d’un petit ton fataliste.

 

Je me levai et sortis d’un pas martial. Une fois la porte refermée derrière moi, je me mis à marteler le sol. J’étais furieux contre la prof, furieux contre les élèves, la terre entière et moi-même de ne pas avoir un meilleur self-contrôle. J’avais l’impression d’avoir toujours été en rage et que la violence que je sentais en moi ne faiblirait jamais. Je voulais boxer les murs, j’en avais marre de traverser toujours le même couloir encore et encore depuis le début de l’année. Qu’est-ce qui m’arrivait ?

 

La porte des wc heurta le carrelage et le son que la poignée en métal produisit contre les catelles me procura une satisfaction morbide. Si je ne m’étais pas dominé, j’aurais fait volte-face et aurais saisi le battant pour le renvoyer dans le mur. Comme ça. Juste pour le plaisir.

 

J’ouvris le robinet d’eau et en recueillis au creux de mes mains pour m’asperger le visage, un peu de fraîcheur me fit du bien. Je restai là, immobile, à fixer le lavabo pendant cinq minutes. Mon énervement ne s’en allait pas, il ne faiblissait pas d’un iota. Je tentai de respirer profondément, de me détendre, rien n’y fit. Impossible de me débarrasser de ces pulsions de rage, de ce besoin de me défouler sur quelque chose ou quelqu’un.

La sonnerie retentit, je soupirai. Je reculai d’un pas. Autant partir, des mecs allaient sûrement se pointer et je n’aurai plus la paix.

 

En revenant en classe, je constatai qu’un gars s’était assis sur ma table pour discuter avec une fille. Je fronçai les sourcils – je trouvais cela inacceptable.

 

-Tom, dis-je en interrompant leur conversation, tu es sur ma table. Tu pourrais bouger ?

 

Il me jeta un regard surpris (je n’adresse généralement pas la parole à mes camarades), mais ne bougea pas.

 

-Ça va, je te dérange pas, là. T’as qu’à t’asseoir sur ta chaise Cam.

 

Et il se tourna vers Lily, s’imaginant que l’incident était clos.

 

-Si, insistai-je, ce qui n’était pas du tout dans mes habitudes. Tu me déranges. Dégage.

 

Il fronça les sourcils.

 

-Oh ça va, calme-t…

 

Je le saisis à la gorge, il ne finit jamais sa phrase.

 

Lily cria, je l’ignorai. Tom n’osa pas bouger, j’avais planté mes doigts dans son cou pour l’agripper et le moindre de ses mouvements aurait pu arracher sa peau. Ma main formait une serre, je savais que je lui faisais mal, mais cette pensée était accessoire, secondaire. Tout ce qui comptait pour moi était qu’il m’obéisse. Qu’il comprenne que je lui étais supérieur, que sa misérable existence de mortel ne tenait qu’à mon caprice.

 

Il attrapa mes poignets pour me faire lâcher prise, je clignai des paupières. Qu’est-ce qui me prenait ? D’où me venaient ces pensées ?

 

Je le libérai de suite, interdit. Tom était furieux.

 

-T’es taré ! s’énerva-t-il. Putain, tu m’as fait mal !

 

-Désolé, murmurai-je d’une voix blanche. Je ne suis pas… dans un bon jour.

 

-Espèce de malade mental ! cracha-t-il en s’en allant.

 

Lily passa à côté de moi en me jetant un regard accusateur, je m’assis précipitamment. Je mis ma tête dans mes mains, n’y comprenant rien.

 

Heureusement que la prof était sortie pour prendre un café et qu’elle n’avait pas assisté à la scène.

 

 

À son réveil, Armelin me parut agité. Il nous salua du bout des lèvres, l’air renfrogné. Ma sœur (qui m’avait accompagné ce soir-là) ne se rendit compte de rien, mais je pouvais sentir l’irritation de notre ancêtre. Elle était presque palpable.

 

Cela me troubla plus que je ne saurais l’expliquer. Armelin était toujours d’une humeur neutre, il restait impassible en toutes circonstances, j’avais pu le constater par moi-même lorsqu’il avait tué trois hommes sans ciller. Qu’il puisse ressentir des émotions, et qu’en plus il soit dans le même état d’énervement dans lequel j’avais été toute la journée, me déstabilisait.

 

-J’ai fini, annonça-t-il en revenant après seulement deux heures. Il y en a trois ce coup-ci.

 

Mon aînée écarquilla les yeux. C’était la première fois qu’il en ramenait autant dans un laps de temps aussi court. Je me levai, observant le vampire en silence. Se pourrait-il qu’il se soit défoulé en tuant des gens pour évacuer sa colère ?

 

-Comment vas-tu aujourd’hui Armelin ? lui demandai-je d’un ton badin, guettant sa réaction.

 

Je vis son dos se crisper. Il se tourna vivement vers nous, ne retenant pas sa vitesse surnaturelle comme il avait l’habitude de le faire pour ne pas nous surprendre. Ma sœur eut un mouvement de recul.

 

-Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? cracha-t-il.

 

-Je posais juste la question…

 

-Occupe-toi plutôt des cadavres, me coupa-t-il, excédé. Tu es là pour ça.

 

Il sortit d’un pas rageur, nous plantant là. J’étais pensif : c’était la première fois qu’il s’emportait ainsi contre moi.

 

-Depuis quand est-ce que tu essaies de taper la discuss’ avec lui ? chuchota furieusement mon aînée.

 

Je ne répondis pas, haussant juste les épaules. Elle leva les yeux au ciel.

Under la cathé 7

-À qui le tour ce soir?

 

Je relevai la tête de mon vocabulaire d’allemand et surpris six regards remplis d’espoir posés sur moi. Je fronçai les sourcils.

 

-Quoi ? lâchai-je.

 

-Ben, commença ma sœur, perso je m’étais dit, vu que t’as pas de projets…

 

-Parce que vous en avez ? m’étonnai-je.

 

– Ta mère et moi avons prévu d’aller au cinéma, s’empressa de dire mon père. On a réservé les tickets sur internet.

 

Il aurait dit « pas moi !», que l’effet aurait été le même. Ma mère hocha la tête avec véhémence pour l’appuyer.

 

– Et moi j’ai des révisions pour l’uni, lâcha ma sœur.

 

-J’ai l’air de jouer à la Xbox ? m’agaçai-je en agitant mon livre de voc.

 

-Oui, mais j’ai loupé un cours et j’ai une tonne de lectures à rattraper.

 

Encore l’éternel conflit entre aîné et cadet. Peu importe la quantité de devoirs que j’avais à l’école, les siens étaient plus importants puisqu’elle était au gymnase. À présent que j’étais au gymnase, j’aurais pu espérer que mon travail égalerait plus ou au moins le sien -mais non. Apparemment l’université c’était bien plus énorme que mes misérables dissertations et autres TP de physique…

 

Je soupirai. Il ne restait plus que mon petit frère, mes grands-parents et ma pomme. Autrement dit, j’allais devoir m’y coller : mon cadet ne voyait Armelin qu’en présence de papa (parce qu’il était trop jeune pour sortir seul tard le soir) et quel petit-fils étais-je pour faire crapahuter deux soixantenaires dehors, par une froide nuit d’automne ?

 

-OK je m’en charge.

 

Leur soulagement fut presque tangible. Je me retins de lever les yeux au ciel, on aurait dit qu’ils avaient tous comploté pour me refiler la patate chaude. J’en eus vraiment marre cette fois-ci. J’étais fatigué, vermoulu et je n’avais vraiment aucune envie de passer toute la nuit dans les sous-sols de la cathé, assis sur une pierre glacée et poussiéreuse en attendant que mon ancêtre revienne les bras chargés de cadavres. C’était la première fois que cette tâche me paraissait vraiment être une corvée.

 

Je me levai et sortis sans les saluer.

 

Je montai dans ma chambre et vidai mon sac d’école sur mon lit. J’y mis ma lampe de poche, une bouteille d’eau et mon porte-monnaie puis ajoutai quelques chaufferettes et des gants au cas où il ferait plus froid que d’habitude. Je m’emmitouflai dans une grosse écharpe, mis un manteau et un bonnet et sortis en moins de temps qu’il ne faut pour dire « vampire « .

 

Je devais prendre deux bus pour rejoindre la cathédrale depuis chez moi. Dire que les autres jeunes de mon âge s’éclataient en ce moment même dans des boîtes où ils n’avaient pas le droit d’aller et moi je n’avais rien d’autre à faire un vendredi soir que de m’occuper d’un vieux parent au sang froid. Quelle barbe.

 

Je fermai les paupières et m’obligeai à arrêter de râler. Passer du temps avec Armelin était agréable, je lui avais toujours rendu service avec plaisir…

 

Le trajet se déroula dans le calme ; à part un fêtard et deux de ses potes qui me proposèrent de la vodka-Redbull tandis que j’attendais à un arrêt, je n’eus aucun ennui. En arrivant à la cathédrale, je sortis le double de la clé et m’introduisis par la porte de derrière. Je refermai derrière moi et longeai le bord jusqu’à la grille menant aux entrailles de l’édifice.

 

Une fois en bas, je me posai par terre et attendis.

 

Armelin ouvrit le couvercle de son cercueil et se redressa en position assise. Il me regarda longuement.

 

-Bonsoir Camille.

 

-Bonsoir Armelin.

 

Il se leva gracieusement et lissa les plis de sa manche. Il sortit de sa boîte en enjambant le bord et enfila ses chaussures vernies.

 

-Comment vas-tu? s’enquit-il.

 

-Bien, mentis-je.

 

Il boutonna son col.

 

-Vraiment? fit-il d’un ton sceptique. Sans vouloir te vexer, tu es pâle comme de la faïence et tu as de plus grands cernes que moi -pourtant, je suis mort.

 

Je me passai la main dans les cheveux, soupirant.

 

-Je dors mal ces derniers temps. J’ai l’impression de ne pas me reposer, pourtant je vais me coucher à 21 heures. Et je ne me lève pas tôt.

 

-Je vois. Je sais que le sommeil est très important pour les humains, vous avez besoin de vous reposer énormément. (Il décrocha son manteau du clou où il était suspendu et le tapota pour en ôter la poussière avant de l’enfiler.) Si tu le désires, tu peux occuper mon lit.

 

Il me l’avait déjà proposé il y a quelques mois. Mais bizarrement, autant sa proposition m’avait paru saugrenue à l’époque, autant elle me tentait à présent.

 

-Je ne sais pas si j’ose… Ça me gêne…

 

-Ne fais pas tant de manières. Si c’est son aspect qui te rebute, ferme les yeux et imagine-toi dans ton lit.

 

Mon cauchemar me revint en mémoire. Cette sensation d’étouffement, d’isolement et d’oppression me prit à la gorge, je portai instinctivement ma main à mon cou.

 

-D’accord, j’accepte. Mais enlève le couvercle, s’il-te-plaît.

 

Il me sembla que mon arrière-grand-oncle se retenait d’esquisser un sourire. Il acquiesça et s’accroupit pour ôter puis poser le couvercle de son cercueil contre le mur plus loin.

 

-Voilà. J’espère que tu y seras confortable. (Je m’avançai précautionneusement de la boîte, ayant tout de même quelques réserves.) Par contre, je te demanderai d’ôter tes chaussures avant d’y entrer…

 

-Je peux garder ma veste ? demandai-je. Il fait un peu froid pour rester en t-shirt.

 

-Oui. Je n’ai juste pas envie que l’intérieur se salisse. Ce satin est très difficile à ravoir, et ce n’est pas comme si je pouvais le faire nettoyer dans un pressing.

 

-D’accord, pas de soucis.

 

Je délaçai mes baskets et les enlevai l’une après l’autre pour entrer dans le cercueil. J’hésitai un instant puis m’assis dedans. Je n’avais jamais réalisé à quel point ce truc était étroit… Je ne pouvais pas bouger énormément les jambes, et j’imaginai qu’Armelin ne pouvait pas se tourner sur le côté une fois le couvercle refermé.

 

-Hé bien je te souhaite une bonne nuit, fit-il en boutonnant son manteau.

 

-À toi aussi.

 

Il sortit non sans m’adresser un bref hochement de tête au préalable. J’attendis une minute avant de m’allonger, soupirant.

 

Me voilà allongé dans le cercueil de mon grand-grand-grand-papy pour piquer un petit roupillon ! Ma soirée n’avait pas pris la tournure que j’imaginai.

 

 

 

-Camille?

 

Une main se posa doucement sur mon bras et me secoua gentiment.

 

-Camille. Il faut te réveiller, c’est bientôt l’aurore.

 

Je clignai des yeux et regardai autour de moi, un peu hagard. J’avais tenté de réviser un peu mon voc avant de dormir, mais finalement je m’étais assoupi sans apprendre un mot -mon cahier reposait d’ailleurs toujours sur ma poitrine.

 

-Hein ? Quoi ? Il est quelle heure ?

 

-Bientôt cinq heures et demi du matin. J’aimerais bien récupérer mon lit.

 

Je me redressai d’un coup, alarmé.

 

-Cinq heures et demi !? Je dois encore enterrer les corps ! Je n’aurai jamais le temps…

 

-Je m’en suis occupé, me coupa-t-il. Tu peux rentrer chez toi tranquillement, je les ai cachés.

 

-Je… Euh, quoi ?

 

-J’ai fait disparaître les corps.

 

-Quand ? Mais où ?

 

-Est-ce vraiment utile que tu le saches ?

 

Je haussai les épaules. Non, en réalité je m’en fichais. Mais d’habitude on ne procédait pas ainsi ; je me demandais pourquoi il m’avait épargné ce soir.

 

Je me levai lentement et enfilai mes chaussures. Il attendit que je les aie lacés et que j’aie rassemblé mes affaires pour me souhaiter une bonne journée.

 

-À bientôt, lui lançai-je en sortant.

 

-À bientôt. Camille (je me retournai pour sortir, mais il ajouta 🙂 Ménage-toi, d’accord.

 

J’acquiesçai après une seconde d’hésitation, et pris congé.

Under la cathé 6

J’essayai de me retourner dans mon sommeil, mais mon épaule droite heurta une surface dure.

 

La vague douleur que je ressentis me fit froncer les sourcils, je levai la main pour sentir les contours de la chose m’ayant tirée du demi-sommeil dans lequel j’étais plongé. C’était plat. Et grand. Je ne trouvai pas les bords.

 

Je me résolus à ouvrir les yeux pour identifier l’origine de mon problème, mon instinct m’avertissant que cela pourrait s’avérer plus complexe que je ne le pensais. Je ne vis rien –évidemment, ma chambre était plongée dans l’obscurité – alors je battis des paupières, espérant percevoir quelque chose. Dans mon impatience, je relevai le genou, qui rencontra lui aussi une résistance.

 

Pris de panique, je remontai mes mains au-dessus de ma tête pour voir jusqu’où allait l’obstacle : il s’arrêtait à trois centimètres au-dessus de mon crâne. En réalité, j’étais piégé sur plusieurs côtés. Mon souffle s’accéléra lorsque je compris où je me trouvai…

 

Dans une boîte.

 

On m’avait enfermé dans un cercueil.

 

Le hurlement qui s’échappa de ma gorge fut purement instinctif.

 

 

 

– C’est cool qu’on puisse enfin se parler face à face !

 

Je hochai la tête en me demandant comment je m’étais organisé dernièrement pour finir ici. J’étais en face de la fille la plus cool de ma classe dans un Starbuck (un endroit que j’avais tendance à fuir comme la peste, principalement à cause de ses prix exorbitants) et elle m’avait carrément offert mon café. La situation était surréaliste, ça ne m’était jamais arrivé auparavant.

 

Tout en discutant avec cette fille je me demandai si je devais la présenter à Armelin. Elle pourrait lui servir de repas, ça semblait une bonne initiative ; mais je me ravisai, me traitant mentalement d’idiot. Ne jamais choisir une personne proche de la famille ! Si quelqu’un parvient à remonter jusqu’à nous, ça nous mettrait tous en danger. L’un de nous se retrouverait soupçonné, mieux valait que mon ancêtre chasse dans des milieux que nous ne fréquentions pas. D’ailleurs pour qui je me prenais de vouloir lui livrer Joanna ? On avait jamais procédé comme ça avant ! Il était assez grand pour choisir ses repas tout seul, il n’avait pas besoin de nous pour ça.

 

Je changeai de position sur ma chaise, vaguement agacé par ma propre bêtise. Autant sacrifier une jeune fille innocente ne m’émouvait pas, autant mes idées farfelues sortant de nulle part m’agaçaient. (Peut-être ces pensées macabres étaient-elles tout simplement dues à mon cauchemar de cette nuit ?)

 

– On aurait très bien boire un café en classe pendant une pause, remarquai-je d’un ton plat.

 

Peut-être que mademoiselle ne supporta pas le café à un franc du Selecta ? (C’est vrai quoi, les machines à café, c’est tellement pas mode !!)

 

– Oh non, s’exclama-t-elle, pas avec tous ces gens autour, avec ce bruit constent, ce brouhaha… (Elle but une gorgée de son café chargé de crème chantilly avec un grand sourire.) Ici c’est plus personnel, plus intime.

 

Heureusement que son attention se porta sur une pub collée sur le mur ou elle aurait vu mon expression horrifiée. Pardon ? Intime ? C’est quoi cette embrouille ?

 

– Parle-moi un peu de toi, continua-t-elle d’un ton guilleret.

 

– What ?

 

– De toi, de ta famille : par exemple, comment sont tes parents ?  Est-ce que tu as des frères et sœurs ? Des cousins, des cousines ?

 

Cette conversation était telle que je l’avais imaginée avant qu’elle ne débute : ennuyeuse. Je n’étais pas du tout d’humeur à faire des efforts.

 

– Mes parents sont comme tous les parents : relou.

 

Je sursautai lorsqu’elle éclata d’un rire hystérique et manquai renverser du capucino sur mon jean.

 

– Ha ha ha! Qu’est-ce que tu es drôle ! (Non, pas du tout, le verlan c’est passé de mode depuis 20 ans ! Qu’est-ce qui lui prenait ?) Moi, côté frangins, j’ai seulement une grande sœur. Et toi ?

 

– Ouais, moi aussi j’ai une grande soeur. Et un petit frère.

 

Elle sembla attendre que je poursuive -ce que je ne fis pas.

 

– Et c’est tout ? fit-elle d’un air déçu. Tu n’as pas de grand frère ?

 

– Non.

 

– Ou un cousin plus âgé qui vivrait ici?

 

– Nope.

 

Je ne voyais pas où elle voulait en venir. Je bus une autre gorgée de café et en profitais pour jeter un coup d’œil ostensible à l’écran de mon natel.

 

– Rholàlà ! Il est déjà si taaaard! dis-je d’un ton exagéré. Mes parents m’attendent à la maison pour monter un meuble en kit, je vais devoir y aller.

 

– Mais on vient à peine de s’installer ! s’exclama-t-elle.

 

Je me levai en enfilant ma veste, prenant mon air contrit le plus convaincant.

 

– Je sais, désolé. Mais ça fait des jours et des jours qu’ils me tannent pour ça. Les modes d’emploi leur donnent migraine.

 

Elle ne sembla pas dupe.

 

– Mouais… Tu aurais pu choisir un autre jour pour les aider pourtant.

 

Je haussai les épaules dans un geste qui signifiait que je n’y pouvais rien et sortis du café à grandes enjambées, slalomant entre les gymnasiens faisant la queue à l’entrée. Une fois dehors, dans le froid, je savourai mon macchiato l’esprit plus calme : (vous croyez quoi ? Je l’avais pris avec moi ! Au prix que ça coûte !)

La mariée

… ou qu’il se taise à jamais

(vaudeville)

 

La petite église est pleine à craquer ; chaque banc en bois est occupé par des dames en robes avec capelines et par des messieurs en costumes élégants. Tous les membres des deux familles ont répondu présent avec enthousiasme pour assister à l’événement et tous les amis, les relations et les proches sont également venus.

Nicolas et Nicoletta vont enfin s’unir ! Pour le meilleur et pour le pire ! Tout le monde est bien content de ce dénouement heureux : ce joli couple, dont les deux prénoms sont si semblables, sont fait l’un pour l’autre -l’assistance le sait. Ces amoureux transis ont connu des hauts et des bas, ils se sont même séparés durant un court laps de temps, mais ils ont heureusement retrouvé leurs esprits et réalisé qu’ils ne pouvaient vivre l’un sans l’autre. Les gens qui ont assisté à leur rencontre, aux prémices de leur amour, à leur quotidien paisible et aux vagues dévastatrices de la passion se sentent impliqués dans ce mariage plus que dans aucun autre.

Ils étaient destinés à finir ensemble avant même de se rencontrer, Cupidon avait probablement gravé leurs noms sur une flèche à leur naissance et on raconte qu’Aphrodite enviait leur amour.

Tout le monde les regarde avec bienveillance, les dames s’éventent avec les feuillets de chansons et de prières, un sourire attendrit aux lèvres, tandis que les messieurs hochent la tête en écoutant les mots du prêtre, émus. Les deux fiancés quant à eux semblent perdus dans un monde n’appartenant qu’à eux ; Nicoletta contient avec peine ses larmes de joie et les beaux yeux bleus de Nicolas étincellent de bonheur.

Une seule personne parmi la foule semble ne pas partager ce sentiment d’allégresse commun. Ginette.

Les bras croisés, les jambes croisées, la bouche tordue en un rictus amer, elle fusille le couple du regard comme si elle voulait les tuer de ses propres mains. Elle voue une haine sans borne à la douce et gentille Nicoletta. Elle l’exècre, elle l’abhorre pour lui avoir volé l’homme qu’elle aime et pour être parvenue à se faire passer la bague au doigt. Cette petite dinde hypocrite ne mérite que malheur et solitude ! Pourquoi est-ce Nicoletta et non Ginette près de l’hôtel, en compagnie de son âme sœur ? Elle connaît Nicolas depuis plus longtemps !

En recevant l’invitation il y a quelques semaines elle avait cru étouffer de rage, son premier geste avait été de jeter la lettre, de la brûler, voire de la passer au mixer.

Mais ensuite une idée a germé dans son esprit, une idée diabolique. Elle a donc pris rendez-vous chez le coiffeur et chez la manucure, elle a acheté une robe pour l’occasion et elle a même mis les chaussures que son papa lui avait offertes pour ses vingt ans. Elle se sent à présent prête à se venger. Elle se sent prête à ruiner leur bonheur mièvre et à faire voler en éclat ce couple qui semble si parfait. Même si elle doit se ridiculiser pour ça. (Parce que ce sera probablement le cas !)

Alors que le prêtre arrive au passage tant attendu, elle se redresse sur le banc, se préparant à parler haut et fort. Le pasteur semble confiant lorsqu’il dit :

-Si une personne s’oppose à cette union, qu’elle parle dès à présent ou qu’elle se taise à ja…

-Je m’y oppose !

Ginette en reste la bouche ouverte, estomaquée, alors que quelques regards se tournent vers elle, surpris. Elle s’est levée pour objecter, mais une voix plus forte et plus rapide l’a prise de vitesse. Seules quelques personnes assises autour de Ginette l’ont remarquée, mais le reste de la salle a les yeux braqués sur une jeune personne au dernier rang.

Comment ? Qui ose interrompre le mariage ? La foule s’interroge, choquée et surprise. Qui a eu le culot de perturber l’harmonie parfaite de Nicolas et Nicoletta ? Même s’il s’agit d’une plaisanterie, c’est de très mauvais goût !

Les deux futurs mariés se sont figés et sont à présent tournés vers la salle. Ils ont encore les mains jointes.

-Paula ? s’étonne Nicoletta.

Un murmure parcourt la salle. Paula ? Est-ce bien la jeune sœur du marié ? Oui, c’est bien elle, il n’y en a qu’une. Que fait-elle donc ? Effectivement, elle a toujours semblé ne pas beaucoup apprécier la fiancée de son frère, mais on a mis ça sur le compte de la jalousie. Paula et Nicolas s’aiment beaucoup mais personne ne pensait qu’elle irait jusqu’à s’opposer à leur union.

On semble remarquer le fait que Ginette s’est levée également. On la dévisage bizarrement, elle rougit, même Paula lui jette un regard surpris. Le prêtre ne sait plus où donner de la tête, complètement perdu.

-Euh, qui commence ? dit-il, s’adressant aux deux jeunes femmes.

Ginette émet une petite toux et fait signe à Paula de se lancer d’abord, curieuse de savoir ce qu’elle a à dire :

-Honneur aux jeunes !

Paula la remercie d’un bref signe de tête et focalise toute son attention sur le couple devant l’hôtel. On retient son souffle, attentif :

-Nicoletta, j’ai réfléchi à ce que tu as dit, et je pense qu’on devrait se marier.

Grand bruit dans l’église : Comment !? Que dit cette petite folle ? Épouser Nicoletta ? Mais d’où sort-elle ?! Il s’agit du mariage de son frère ! Ne peut-elle pas se tenir pour une fois ?

La réaction des amoureux ne se fait pas attendre. Nicolas fronce les sourcils et fusille sa sœur du regard, très en colère. Le joli visage de poupée de Nicoletta perd toute couleur et se défait. Mais contre toute attente, il se tourne vers sa fiancée.

-C’est quoi ces histoires ? lâche-t-il d’un ton sec. Tu m’as dit que tu l’avais plaquée.

Stupeur générale ! Quoi-quoi-quoi ? Cette histoire serait sérieuse ? Mais Nicoletta n’est pas gay ! Une si gentille fille ! Souriante, polie, féminine, douce… Paula, on pouvait s’y attendre, cette enfant semble déterminée à contrarier ses parents -pauvres gens !

-Nicolas, je te promets que je ne…

-On en avait parlé, tu m’as promis que tu t’occuperais de régler le problème ! s’énerve-t-il.

Les invités ont à peine le temps de se faire la remarque qu’il lui parle plutôt sèchement que les traits de Nicoletta se durcissent et qu’elle prend une moue de dégoût. Les mots qu’elle lui crache au visage les choquent encore plus.

-Oh la ferme espèce de grand dadais ! C’est ma faute à moi si ta frangine est une tête de mule ? En plus, c’est toi qui nous as présentées. Alors, lâche-moi deux secondes tu veux ?

Jamais -au grand jamais !- on a entendu Nicoletta parler sur ce ton à son Nicolas ! Qu’arrive-t-il au couple ? Elle lâche la main de son fiancé et croise les bras, très énervée.

-Nicoletta, reprend Paula, je m’en veux qu’on se soit séparées. J’avais peur de m’engager, mais en réalité je t’aime ! Je veux passer ma vie avec toi !

-Espèce de petite idiote ! T’étais obligée de te déclarer maintenant ?! Devant deux cents personnes, pendant ma fichue cérémonie ?!

L’assistance ne trouve plus les mots pour décrire la scène tant ils sont surpris. À ce stade ils se contentent de suivre le dialogue comme un match de tennis.

-Te marie pas avec Nicolas. Choisis-moi, fait Paula d’un ton calme.

Nicoletta semble hésiter. Va-t-elle s’enfuir le long de l’allée au bras du frère ou de la sœur ? Elle soupire.

-D’accord.

Tandis qu’elle veut rejoindre la cadette de son fiancé sous les regards médusés de toute sa famille et ses amis, Nicolas la retient par le bras.

-On avait un accord, chuchote-t-il furieusement.

-Laisse tomber mon vieux, fait-elle en se dégageant avec désinvolture. Maintenant qu’elle veut bien avoir la corde au cou je vais pas la lâcher ! Et pis ça ne change rien, pour le renflouage de l’entreprise de ton père qui coule.

L’attention se porte sur les parents du fiancé, qui prennent une jolie teinte rosée. Nicolas grimace, mais cette fois il laisse sa fiancée rejoindre sa sœur.

-Je… Je suis enceinte.

Qui ? Paula ? Non ! Nicoletta ?! De Nicolas ! Oh là là! Ça devient compliqué !

Ah, en réalité c’est Ginette qui a parlé. Qu’est-ce qu’elle raconte celle-là ? Elle est rouge jusqu’à la racine des cheveux.

Nicolas (dont la mâchoire venait de se décrocher) se secoue et cligne des yeux.

-Je… je… Ginette, depuis combien de temps … ?

-Trois mois.

-T’as couché avec elle ? demande Nicoletta à Nicolas, un sourcil haussé.

-Oh, écrase. Y’a prescription, on était « séparés », la rembarre-t-il.

-Est-ce que tu es amoureux de Nicoletta ? demande Ginette d’un ton angoissé. Est-ce que tu as jamais été amoureux d’elle ?

-Non, hausse-t-il les épaules, au début on s’arrangeait avec de l’argent pour l’entreprise de papa et après je lui ai servi de couverture pour qu’elle puisse sortir avec Paula. Sa mère est tellement conservatrice : tout le temps sur son dos pour qu’elle se case, et tout…

C’est au tour de la famille de la mariée de rougir. Les invités semblent fascinés par cet étalage de petits secrets, ils suivent avec intérêts tous les échanges entre les quatre jeunes.

Nicoletta serre la main de Paula et elles retiennent leur souffle. Nicolas va-t-il oser … ? Ginette lui lance un regard rempli d’espoir…

-Ginette, fait-il, je suis désolé de t’avoir menti. Ça te dirait d’élever ton enfant avec un futur chômeur qui a été plaqué devant l’hôtel à cause de sa petite sœur ?

Ginette éclate en sanglot.

-Oui !

Il traverse l’allée et la prend dans ses bras pour l’embrasser.

-Mais par pitié, ne me parle pas de mariage, rit-il.

-On est d’accord ! s’exclame-t-elle.

Les deux couples saluent les invités et s’en vont en courant hors de l’église sous les applaudissements et les bravos du public.

Fin

Citations mystères

« Ta vie telle que tu la connaît cessera d’être »

-???-

 

« J’ai été façonnée par les événements, ce sont les autres qui ont choisi comment ils voulaient me définir. Je ne sais pas si un jour je pourrai à nouveau être maître de mon destin… »

-???-

 

« Hé bien, c’est la différence qu’il y a entre nous : toi tu tues pour le travail, moi je tue pour me venger…

Et elle, elle tue pour le plaisir. »

-???-

 

« Je veux que notre relation soit animée par le sentiment le plus pur ayant jamais existé :

La haine. »

-???-

 

« C’est comme s’il prenait un plaisir malsain à briser chacune des parties de mon être, mon corps aussi bien que mon âme, réussissant à meurtrir des choses en moi-même dont je ne connaissais pas l’existence –et que je ne pensais pas non plus pouvoir être détruites avec autant d’application… »

-???-

Under la cathé 5

J’émergeai en poussant un hurlement à réveiller les morts.

 

Assis dans mon lit, ma respiration haletante, je réalisai où je me trouvais. Ah. J’étais dans ma chambre, à la maison. Pas dans une pièce aveugle avec des hommes morts à mes pieds, maculant le sol de leur sang.

 

Je passai ma main dans mes cheveux, agacé. C’était la troisième fois que je faisais ce cauchemar ! À chaque fois c’était la même scène qui se répétait: ces types qui me battaient, l’intervention d’Armelin – et sa morsure. Je me réveillais toujours en proie à la panique, avec l’intime conviction que tout était réel, ressentant presque ses crocs dans ma chair. Ça brûlait. Ça faisait mal. C’était comme si je le sentais encore…

 

Je rejetai mes couvertures et sortis. J’allai dans la salle de bain en me traitant d’imbécile et me plantai devant la glace pour m’examiner à la lumière du néon. Outre un teint blafard et des cernes, il n’y avait rien d’anormal chez moi. La peau de mon cou était parfaitement lisse, preuve que j’avais bel et bien rêvé.

 

Je tentai de ne pas me mettre à gamberger. Je ne pensai pas qu’Armelin soit capable de mordre un membre de sa propre famille. Mon père avait été clair là-dessus quand j’étais enfant: si notre ancêtre s’en prenait à nous de quelque manière que ce soit, nous devions venir l’en avertir. Effectivement, nous étions plus ou moins à sa disposition pour lui rendre service, mais cela ne lui permettait pas d’abuser de notre personne.

 

Néanmoins, je ne doutais pas qu’il ne puisse maquiller son méfait s’il lui prenait l’envie de nous… « goûter». Il était très vieux, j’imaginais, et j’avais beau ne pas être un expert en vampires, j’avais vu suffisamment de films montrant que ces créatures possèdent des pouvoirs hors du commun. Même si la fiction n’est pas toujours juste, mon instinct me dictait qu’il y avait une part de vérité. Et j’avais constaté à une ou deux reprises la force, la rapidité et la supériorité de certaines de ses capacités.

 

Je jetai un regard à mon reflet, qui me semblait un peu sur les nerfs. Toutes ces interrogations stériles m’irritaient, je tournais en rond. Je ne pouvais pas avoir inventé tout cela (je n’avais pas assez d’imagination !) mais l’option inverse me dérangeait plus.

 

Malheureusement, je m’appliquais à éviter depuis plus d’une semaine la seule personne capable de me dire la vérité.

 

 

 

Je descendis pour la première fois les escaliers menant aux sous-sols de la cathédrale avec une certaine réticence. Je n’appréhendai pas de voir Armelin, je n’étais juste pas très chaud pour le confronter. Voilà.

 

J’allumai une bougie en arrivant tout en bas et m’assis à même le sol. J’étais moins calme qu’à l’accoutumée, tapant vaguement du pied et regardant l’heure sur mon portable toutes les quinze minutes. J’étais pourtant arrivé le plus tard possible, pour ne pas avoir à attendre son réveil pendant trois plombes, mais mon avidité à vouloir des explications me rendait impatient.

 

Finalement, le soleil dût se coucher, car Armelin ouvrit son cercueil et se redressa.

 

– Bonjour, fis-je d’un ton cassant (si-si, c’est possible).

 

– Camille, constata-t-il. Comment te sens-tu?

 

– Hein ?

 

Il me m’avait jamais posé cette question auparavant.

 

– Est-ce que tu te sens mieux ? demanda-t-il, l’air aussi indifférent que s’il s’enquérait du temps qu’il faisait ce matin. (Il se leva et arrangea sa chemise.) Voilà une semaine que je ne t’ai pas vu.

 

– Oui. J’ai été très occupé dernièrement. Le gymnase, les devoirs, tout ça…

 

J’avais réussi à persuader mon frère et ma sœur de s’occuper de notre ancêtre jusqu’à hier, mais ils avaient fini par en avoir marre. Pendant des années, j’avais toujours été plus que disposé à le faire alors qu’eux avaient plutôt tendance à rechigner. Ils se sont sentis obligés de me rendre ce service – mais apparemment leur peur d’Armelin surpassait leur pseudo gratitude, puisque j’étais de corvée ce jour-là !

 

– Oui, je comprends… et j’imagine que ton enlèvement t’a causé un choc. Tu as dû prendre du temps pour t’en remettre.

 

– Mon enlèvement ? (Donc, je n’avais pas rêvé !) Toute cette histoire était réelle !?

 

– Bien sûr, hocha-t-il la tête . Tu ne te souviens pas de ces hommes ? De ce qu’ils t’ont fait ? De ce que JE leur ai fait ? (Je ne pus réprimer un léger frisson.) Connaissant ta curiosité naturelle, je m’imaginais que tu me harcèlerais de questions… comme toujours.

 

– Tu… Tu serais d’accord de me répondre ? m’étonnai-je.

 

– J’y suis plus que disposé, haussa-t-il les épaules, vu que tu as été blessé par ma faute. Et que malgré ça tu t’es gardé de tout révéler à ton père…

 

– Ah. Ce n’est pas quelque chose à aller répéter… Cela a-t-il un rapport avec ton « travail »?

 

Armelin rapportait des sommes colossales à la famille, mais on ne savait pas toujours d’où il gagnait cet argent. Ces occupations liées à la famille étaient légales, mais on ne comptait que sur sa parole. Il ôta sa chemise et sortit une neuve du sac que je lui avais apporté. Il l’enfila et se mit à la boutonner.

 

– Non, fit-il sèchement. L’argent que j’ai emprunté à Marcelo n’a été utilisé ni pour les placements de la famille, ni pour financer la société de ton père.

 

– Pourquoi tu as demandé de l’argent à cet homme et non à papa ? C’était un prêteur sur gages, ou un truc du genre ?

 

– Tu penses que je dois aller mendier auprès du « chef de famille » pour obtenir ce que je veux ? Je possède mes propres comptes Camille ! Mais dans cette situation j’avais besoin d’une somme conséquente, et en échange d’un service Marcelo me la fournissait.

 

Son ton était tendu. Si son visage n’exprimait pas autant de calme, j’aurais pensé que mes questions le mettaient sur les nerfs. Pourtant, c’est lui qui avait accepté d’y répondre ! Je persévérai :

 

– Et tu ne lui as pas rendu ce service.

 

– Non. Parce qu’en plus d’être illégal, ça m’embêtait.

 

Il n’en dit pas plus. Je revins au sujet qui me préoccupait le plus.

 

– Que s’est-il passé après que tu m’aies libéré ? poursuivis-je. Tu es apparu comme par magie, tu as tué ces hommes et je me suis retrouvé dans ma chambre SANS UNE ÉGRATIGNURE. Comment est-ce possible ?

 

Il ne cilla pas malgré mon ton chargé de sous-entendus. Je savais déjà qu’il avait du mal à saisir le second degré, mais là même lui aurait dû comprendre que je l’accusais.

 

– Tu t’es évanoui, tout simplement. Tu as subi une expérience horrible en étant attaqué par Marcelo et ses gros bras, ils t’ont enlevé et ils t’ont salement amoché. Tu as sûrement relâché la pression en sachant que tu étais en sécurité avec moi.

 

– Ah ouais ? Mais comme tu le dis si bien, ils m’ont passé à tabac. Comment se fait-il que je n’aie aucune marque ? Pas de bleus, de contusions, pas la moindre petite douleur ?

 

Pour la première fois en plus de quatorze ans que je le connaissais, Armelin étira ses lèvres en un sourire fin et chargé d’ironie. Et croyez-moi, c’était encore plus flippant que d’apercevoir ses crocs.

 

– Ça… fit-il à mi-voix en retenant un ricanement, c’est mon petit secret.

 

Trop perturbé ce jour-là par les réactions de mon parent et surtout à court de questions à poser, je n’approfondis pas mon interrogatoire.

 

Ce que j’allais regretter amèrement au cours des semaines suivantes… Et des années à venir.

Happy new year bébé (Partie 2)

Happy new year bébé (Partie 2)

 

Aujourd’hui samedi 31 décembre, c’est jour de congé… et donc grasse mat ‘ en perspective.

Ilona se réveille à midi, complètement crevée par cette nuit que quelqu’un a effacé de son esprit.

-Bien dormi? s’enquiert-elle auprès de son invitée non désirée.

-Pas mal.

 

Apparemment elle n’a pas l’intention de lui rendre la politesse ! Sans s’en formaliser, Ilona consulte ses SMS, ne pensant pas trouver grand-chose. Aussi est-elle surprise quand elle voit un court message de Nathan :

Vs ds rég ! Fts gaf Urs

-Ursu… euh, Nolwenn? Ce message t’es destiné, je crois.

Cette dernière pâlit en décryptant le charabia de son ami.

-Des complications ? chuchote Ilona.

Des vampires dans la région. Fais gaffe Ursula ! », traduit la louve. Ouais, on est dans la merde. Écoute, ne bouge pas de là, je vais me renseigner en ville, OK ?

-Bien sûr, acquiesce l’autre, l’estomac dans les talons.

 

Les nouvelles que ramène Ursula un peu plus tard n’augurent rien de bon.

-Mon contact pense qu’ils veulent venger John. Ils te cherchent toi car l’un d’eux a entendu une conversation entre des loups. Ils sont une dizaine et à peine à un kilomètre d’ici.

-Combien de temps avant l’affrontement ?

La géante ouvre de grands yeux.

-On se tire ! Qui te parle d’affrontement ?

-Mais vous avez tué un vampire…

-On était à cinq contre un ! Un loup-garou ne peut rivaliser avec un seul vampire, alors imagine avec une dizaine !

-Je vais prévenir ma mère que nous partons.

-On n’a pas le temps, ils seront là dans quatre minutes max ! piaille Ursula en chopant la blonde par le bras et en l’entraînant dehors.

(Quatre minutes ? Waah, c’est rapide.) Comme Ilona n’est qu’une humaine, elle ne peut pas aller aussi vite que la louve le voudrait et l’autre la tire presque. Elles atteignent le fameux parc où la jeune humaine et le vampire se sont croisés il y a moins de dix jours et Ursula décide d’employer les grands moyens.

-On ne leur échappera jamais comme ça. Il faut que tu montes sur mon dos.

 

Elles passent entre deux maisons pour ne pas être vues et se dirigent vers la forêt du parc qui se situe juste à côté de la maison des Simmons. Croyant halluciner, Ilona regarde Ursula se dévêtir en plein milieu d’une clairière enneigée… et se transformer en loup.

Des poils lui sortent du corps très rapidement et elle tombe à quatre pattes.

-Aller, grimpe sur mon dos !

-Comment arrives-tu à parler ?

-C’est pas le moment de faire causette, gronde-t-elle en montrant les crocs. Monte !

Ilona s’installe sur la croupe de l’animal et s’agrippe à son cou.

-Ne tire pas mes poils ! couine-t-elle en se mettant à courir.

 

Appréciant la vitesse, la jeune fille passe sa main dans la fourrure rêche d’Ursula. Elle se déplace plus vite que n’importe quel autre animal. Les troncs deviennent flous, mais elle parvient à rester en équilibre sur son dos. Quelle sensation enivrante ! Comment est-ce que ça serait avec Nathan ?

Malheureusement, l’ivresse passe et les trouble-fêtes débarquent. Ils sont infiniment plus rapides, Ursula a surestimé ses capacités en s’imaginant les semer. Ils l’encerclent et Ilona compte onze vampires.

Et elle fait la chose la plus stupide du monde ! Elle saute à terre et file entre les buissons, trop rapide pour que les vampires songent une seconde à l’arrêter.

Ce qui est normalement impossible quand on est une humaine.

 

Six la poursuivent tandis que les autres s’occupent d’une Ursula folle de rage. Ilona court, mais sa tête veut retourner en arrière. Ses jambes et ses pieds sont contrôlés par une entité extérieure.

On la possède.

Elle stoppe près d’un gros rocher et fait face aux vampires, loin des yeux et des oreilles de la louve. Ils dévoilent leurs crocs en feulant comme de gros matous furieux.

-Bande d’incapables ! Vous croyez vraiment que des loups auraient pu me tuer ?!! hurle Ilona.

 

Elle écarquille les yeux; ça n’est pas sa voix, mais celle de John, qui sort de sa propre bouche!

-Maître John? s’étonne le plus grand vampire.

-J’habite le corps de cette fille, le temps de trouver mieux. Je n’avais pas le choix, les loups m’avaient retrouvé. En la mordant, je l’ai transformée en Servante.

-Votre vrai corps s’est changé en brume?

-Oui.

L’immortel s’était donc changé en brume et pas en cendres ? s’étonne Ilona. Mais quelle différence est-ce que ça fait ?

-Quand vous rappellerez votre corps, il reviendra ? demande un des sbires vampires.

-Exact, répond John à travers la jeune femme. Pour l’instant, mes aptitudes surdéveloppées sont dans ce corps malingre : ma force, mes yeux, mes crocs, mes griffes, mon ouïe et mon odorat.

-Maître, faites attention. Si elle se fatigue trop, dépérit et finit par mourir, vous disparaîtrez avec pour toujours. Vous vous devez de la ménager.

Ilona/John pose son index sur ses lèvres roses d’un air songeur.

-Je n’y avais pas songé. C’est agaçant ! Bof, hausse-t-il les épaules, je ferai avec.

 

Les vampires s’inclinent et disparaissent. Ilona sait immédiatement quoi faire après avoir retrouvé le contrôle de son corps : s’engueuler elle-même.

-Nan mais ça va pas s’pèce de malade?! Qu’est-ce tu fous en moi ?! Tu te casses de suite ou… ou…

« Ou quoi? raille la voix dans sa tête. Tu vas te suicider ? »

-Oh mon dieu… j’espère que vous ne me regardiez pas quand je m’observais dans la glace… hum, très dévêtue ?

« Je n’ai qu’une chose à te dire : très beau corps ! Et j’en ai vus dans ma vie, je m’y connais ! »

-Oh my gooooood! Vieux pervers ! Vicieux ! Sortez immédiatement !

«  Je dois récupérer, je suis très faible. Transférer mon esprit dans ton corps, séparer ma psyché de ma chair m’a pris énormément d’énergie. »

-Je m’en fous, barrez-vous ! Ou j’en parle à Nathan.

« J’ai un contrôle total sur ton corps. Tu ne peux rien dire sans mon accord. »

-Oh non…

« Et autant te le dire maintenant, enfonce-t-il le clou . Pour me nourrir, tous les soirs, j’ai tué des gens et j’ai bu leur sang. Avec ta bouche. »

 

Ilona secoue la tête, écœurée. Son esprit ne peut le concevoir, la voix est trop irréelle.

-Je vous en prie, allez-vous-en ! gémit-elle.

« Tu as tué. Tes mains sont couvertes de sang d’une dizaine de personnes… »

-Je fais une dépression chaque fois que j’écrase une mouche… c’est impossible.

« C’est la vérité. »

-Laissez-moi tranquille. Rendez-moi ma vie, barrez-vous… murmura-t-elle, au bord des larmes.

« Ilona Simmons, rien n’est dû au hasard. Tu t’es entichée d’un Homme-Loup. Ton existence ne sera plus jamais tranquille et paisible. Mais tu m’as l’air d’être une jeune femme qui aime l’action. Notre rencontre et mon choix de prendre ton corps n’est peut-être pas un hasard. Le futur nous révélera sûrement l’issue de cette union non désirée. »

Elle se fige. Les paroles du vampire, bien qu’elle le déteste, sont étrangement justes. Elle aime Nathan, bien qu’il soit un tueur et une créature dangereuse. Peut-être va-elle devoir endurer beaucoup de choses pour rester à ses côtés ?

 

Elle ne remarque pas le frisson d’excitation qui lui parcourt le dos. Une femme d’action…

-Hé ! La blondasse !

Ursula surgit d’entre les arbres, les poils dressés et les crocs découverts.

-T’ai-je dit de te barrer de mon dos alors qu’une bande de sangsues nous encerclait ? Je pense pas !

« Dis-lui que tu leur as tout expliqué, qu’ils ont sondé ta tête et sont repartis, ordonne John. »

 

Ilona répète mot pour mot ce que l’immortel lui a soufflé et Ursula hausse un sourcil –enfin, autant qu’un loup pouvait hausser un sourcil !

-Sondée? Quel effet ça t’a fait?

Ilona la regarde droit dans les yeux, mais commence à suer.

« Désagréable. On aurait dit qu’une ventouse aspirait mes moindres pensées. »

Elle répète pour la deuxième fois ce que John dit. Il l’aide, mais dans son intérêt. Espérant le piéger, elle essaie de prononcer : « j’ai un vampire dans la tête », mais les mots restent coincés dans sa gorge. Flûte! Le vampire avait raison.

 

Un autre loup surgit, plus grand et plus impressionnant encore, noir comme la nuit. Si l’encolure de Ursula arrive à l’épaule d’Ilona, celle de cet imposant animal dépasse le sommet de son crâne.

-Tout va bien Ilona? Ils ne t’ont pas blessée ?

-Nathan ? souffle-t-elle, estomaquée.

-Ha ha ha! Je te fais peur ?

 

Elle s’approche, fascinée et passe ses doigts dans le pelage de son copain. Il frémit et baisse son énorme tête à la hauteur de la jeune fille, plongeant ses yeux dans les siens.

Elle esquisse un sourire incrédule : il possède un regard similaire à celui qu’il a quand il est humain. Ilona fond comme neige au soleil et entoure son cou de ses bras. Il s’appuie contre elle et elle manque se casser la figure.

-Non, tu es la créature la plus merveilleuse que j’ai vue dans ma vie, murmure-t-elle en posant son nez sur sa truffe humide.

Ursula lève les yeux au ciel et souffle. Maudite soit l’ouïe des loups-garous !

 

 

-Allô maman ? Oui, je passe le Nouvel An avec des amis et Nolwenn. Non. Oui. Bien sûr, à plus tard. (Elle ferme son portable d’un claquement sec.) J’ai la permission de deux heures du mat ‘ les gars !

Les copains de Nathan émettent un « wéééé » général. Ils ont loué une salle dans un restaurant du centre-ville et vont fêter le Nouvel An ensemble. À la grande surprise d’Ilona, ils l’ont invitée à rester avec eux. Apparemment Ursula est la seule à se formaliser qu’un de leurs chasseurs sorte avec une bête humaine ! Tss !

 

Il y a quelques femelles, dont Ursula, et toutes semblent curieuses envers cette petite blonde qui a séduit le grand méchant loup. (Et un peu jalouses, autant ne pas se mentir !)

Le grand méchant vampire quant à lui se cache au fond de l’esprit d’Ilona, évitant de faire des commentaires sarcastiques à Ilona, car il n’est pas très à l’aise avec tous ses loups autour de lui.

Tous ne sont pas des chasseurs. Le groupe comprend une vingtaine de jeunes et ils ont chacun une permission de sortie apparemment. Ilona n’ose pas trop leur poser des questions directes comme elle le fait avec Nathan, elle n’a pas envie de les froisser par erreur.

 

Peu avant minuit, la fête bat son plein. Nathan emmène sa petite amie dans une pièce à côté, où il y a de larges sièges moelleux. Il s’y assied et la prend sur ses genoux.

-Pourquoi m’as-tu surveillée avec ces yeux là pendant toute la soirée ? demande-t-elle.

-Je ne veux pas te ramener saoule à la maison. Tes parents te priveraient de sortie.

-Je n’ai bu que quelques gorgées de vin, quel vieux jeu tu fais !

-Vieux jeu ? chuchote-t-il à son oreille. Vraiment…

 

Ses lèvres effleurent le cou d’Ilona et ses mains glissent sur ses hanches.

« Tsss! Le vieux truc du cou. C’est d’un minable… »

« La ferme John. J’ai le droit à un moment d’intimité avec mon mec quand même ! réplique-t-elle. »

« M’en aller quand ça devient croustillant? Rêve pas blondinette… »

« Pauvre type! »

-Ilona? Est-ce que ça va? Tu m’as l’air ailleurs…

-Non! Je… je suis fatiguée, c’est tout.

-Tu es très pâle. Et tu as maigri.

 

Elle hausse les épaules et l’embrasse. Elle repousse l’esprit du vampire et s’imagine l’enfermant dans une pièce capitonnée : cela fonctionne et John a beau tempêter, il ne peut sortir. Elle sourit et Nathan caresse son genou. Elle frissonne quand sa main remonte le long de sa cuisse. Waaah ! Il est vachement entreprenant ! Personne, même Steve n’a jamais osé aller aussi loin avec elle…

Elle passe ses doigts sous son t-shirt noir –ne porte-t-il jamais de couleurs ?!– pour sentir ses muscles. Ils sont bien dessinés, comme elle l’avait imaginé. Et où a-t-il appris à embrasser si bien ?

-Hé, les tourtereaux !

 

Ilona sursaute, mais pas Nathan –il a déjà entendu arriver Ursula.

-Minuit dans une minute !

Ils rejoignent les autres –un peu à contrecœur – et ils se servent un verre de champagne.

-10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1… bonne année !!!

Nathan immobilise la mâchoire d’Ilona de sa main droite et la regarde avec une intensité qu’elle ne lui connaît pas. Ils s’embrassent tendrement, puis il la serre contre lui. Elle enfouit son visage dans son épaule.

 

-J’espère que nous aurons moins d’ennuis cette année… Tu as enduré beaucoup de choses.

 

Elle ne lui réplique pas qu’un vampire dans la tête est peut-être une source d’ennuis possible, car John l’en empêche. Il est revenu. Sa gorge se serre d’inquiétude.

 

-Je t’aime… dit-elle simplement, espérant qu’il ne sente pas la pointe de tristesse dans sa voix.

 

Il ne répond pas. Il ne lui a jamais dit les mots magiques, et ça la peine. Même si elle peut attendre.

Nathan l’embrasse sur le front, de sombres pensées en tête, dont Ilona n’a pas conscience, trop préoccupée par les siennes…

 

À suivre

 

Note de l’auteur : Et voilà ! Pour l’instant c’est tout pour l’histoire entre Nathan et Ilona ! Il va falloir patienter un peu avant de pouvoir connaître la suite –que je n’ai pas encore écrite. N’hésitez pas à mettre votre avis sur ce chapitre !