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Apprenties sorcières (2) – L’Eau

-Au revoir, je fais en sortant du magasin d’occultisme, à la prochaine.

Je vois la pluie qui tombe dans la rue. Ah, je sens que je vais avoir droit à une douche gratuite. Je rabats la capuche de mon sweat-shirt sur ma tête et me mets à courir entre les gouttes pour ne pas me retrouver trempé. La vache, il tombe des cordes ! Un vrai déluge !

Je me dirige droit vers l’abribus, mes vêtements déjà imprégnés d’eau. Je souffle et mets mes mains dans mes poches. Je vais attendre que l’averse se calme pour rejoindre le métro plus loin. Je ne suis pas pressé.

Je fixe la route où la pluie s’écoule en une sorte de petite rivière sans vraiment la voir. Mon esprit est déjà ailleurs, concentré sur autre chose. Je pense à Daphné et à la Communauté des sorciers.

La petite apprend bien tout ce que je lui enseigne ; elle ne fait pas preuve de dons exceptionnels, mais elle retient ce que je lui dis et le mets en pratique. Si on prend en compte son jeune âge, elle est très assidue.

J’ai reçu plusieurs avertissements de la part de mes pairs, et je m’attends à recevoir un blâme un de ces jours si je la garde avec moi. Oh, ça ne m’inquiète pas outre mesure, j’ai reçu de plus sérieuses menaces quand je pratiquais des sortilèges dangereux et douteux à l’époque. Mais la petite est mineure. Elle ne se rend pas compte de ce qui l’attend quand elle aura achevé sa formation. Elle devra assumer ses actes et évoluer sans appartenir à aucun clan. J’espère qu’elle saura trouver sa place et ne pas se faire écraser par les autres parias du monde des sorciers.

Je suis tiré brusquement de mes pensées en réalisant qu’il y a quelqu’un à côté de moi. Je n’ai pas entendu de bruits de pas, on aurait pu croire que cette personne s’était matérialisée sur place comme par magie.

Mon cœur rate un battement. C’est une jeune femme vêtue d’un imperméable beige sous lequel elle porte une jupe blanche et des bottes noires. Elle a à la main un parapluie immaculé avec de petites fraises rouges imprimées dessus. Elle a une allure très noble, elle se tient le dos droit sans aucun effort alors que je suis naturellement voûté. Une impression de quiétude, de bienveillance tranquille se dégage d’elle. Elle regarde devant elle, comme si elle ne m’avait pas remarqué.

-Jézabel, je dis, comme si j’avais trouvé la réponse à une question qu’on m’avait posée.

Elle se tourne vers moi, le sourire aux lèvres, pas le moins du monde surprise de me voir à ses côtés.

-Oh, Nerabass. Quelle coïncidence.

On dirait qu’elle vient d’apercevoir une vieille connaissance. Son ton léger est teinté d’ironie, je doute que ce soit le hasard qui ait fait se croiser nos chemins.

-Que fais-tu dans le coin ? je demande.

-Je me promène, et vous ?

– Je suis allé acheter des ingrédients pour montrer à ta sœur comment préparer une potion de Malédiction générationnelle, j’explique en soulevant mon sac de plantes et de flacons. Tu te balades par un temps pareil, vraiment ?

Elle m’adresse un regard malicieux, ses yeux pétillant de ruse. Une mèche de ses cheveux couleur chocolat épouse la forme de sa joue, collée à sa peau à cause de la pluie. Je réalise que la courbe de ses lèvres est tout bonnement… hypnotisante.

-J’aime tous les temps, voyons ! Le soleil est source de vie, la pluie est rafraîchissante, la neige met du baume au cœur… Je suis contente, peu importe ce que la météo nous offre. (Elle se tait, nous observons l’eau tomber du ciel en silence.) Avez-vous envie de marcher ?

-Mon frère sait-il que tu es sortie ? je lâche.

-Oui, dit-elle, surprise par ma question.

-Et sait-il que tu es en ma compagnie ? Encore ? j’insiste.

Elle fait la moue, et s’il s’agissait d’une autre, je pourrais croire qu’un éclat de condescendance est en train de briller dans ses yeux bruns.

-Non. Je n’ai pas de compte à lui rendre. Et il ne s’intéresse pas à mes déplacements.

Elle se passe les doigts dans les cheveux, les ramenant en arrière, et s’avance au bord de la route. Elle traverse après avoir laissé passer une voiture. Je la suis.

Bizarrement, imaginer qu’Arthur sait qu’elle est avec moi en ce moment me rassurerait. Qu’une personne responsable et avec la maturité nécessaire soit au courant du genre de sale type avec qui elle parle occasionnellement. Comment parvient-elle à le duper ?

Et d’ailleurs, domment arrive-t-elle à me surprendre à chaque fois ?

-Un jour j’aimerais bien arriver à comprendre comment tu réussis à me trouver… Je suis bardé de sorts empêchant ma localisation et suis normalement invisible aux yeux de mes pairs.

-Je vous l’ai dit, fait-elle avec une indifférence suspecte, c’est une coïncidence. J’étais sortie uniquement pour me dégourdir les jambes. (Elle me jette un regard de biais, inquiète soudain.) Vous n’êtes pas content de me voir ?

-Au contraire, je suis toujours heureux quand nos chemins se croisent… mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée que nous passions du temps ensemble.

-Ah ? Pourquoi ?

Je choisis soigneusement mes mots. Nous marchons côte à côte le long des hautes grilles d’un parc. Petit à petit la pluie imprègne mon sweat noir et mon jean qui se gorgent d’eau, pourtant je ne ressens pas le froid. Je suis immunisé.

-Je suis beaucoup plus âgé que toi. J’ai une très mauvaise réputation parmi les sorciers. Je ne voudrais pas que tu ruines tes chances de succès en étant avec moi…

-Nous ne faisons que discuter, où est le mal ?

-… et tu sers le Bien. Nos voies sont opposées, nous sommes des ennemis naturels. (Elle lève les yeux au ciel, mes mots ne la convainquant pas.) Jamais nous ne pourrons être amis, ou nous entendre.

-Ne me dites pas que vous croyez à ces bêtises, s’agace-t-elle . Je vous pensais un peu plus subtil que ça !

Nous entrons dans le parc, nous suivons le chemin qui serpente à travers le gazon d’un vert radioactif. Des gens nous dépassent, pressés.

-Nous sommes complémentaires, reprend-elle d’un ton plus calme. Nos voies dépendent l’une de l’autre, le Bien et le Mal sont les deux faces d’une même pièce.

En même temps qu’elle dit cela, je sens son propre pouvoir l’entourer comme une aura positive et chaude. Invisible, elle m’englobe moi et tout ce qui l’environne, je dois me concentrer pour ne pas être aspiré. De telles capacités à un âge aussi jeune, alors qu’elle n’a qu’une année de Formation derrière elle… je crains pour l’avenir de la voie du Mal, vraiment ! Même moi, avec toute l’expérience que je possède, je dois être attentif à ce que mon énergie négative ne soit pas lentement mais sûrement érodée par la sienne.

Elle tourne brusquement son visage vers le mien et j’ai la sensation qu’elle a suivie exactement le même cheminement de pensée que moi. Sans qu’elle ait besoin de le dire à haute voix, je sais qu’elle craint de me faire souffrir.

-Ne t’inquiète pas, je la rassure, je suis assez fort pour ne pas être submergé par ton pouvoir. (J’éclate de rire, réalisant soudain : ) C’est le comble ! D’habitude je dois contenir le mien pour ne pas écraser les autres sorciers, et là c’est toi qui es pleine d’égards. Une jeune apprentie du Bien qui se fait du souci pour un dangereux criminel en cavale qui sert le Mal .

Elle réfléchit, nous passons près d’un étang qui reflète les nuages gris. Sa surface est troublée par la pluie qui tombe inlassablement.

-C’est vrai que vous êtes incroyablement puissant, murmure-t-elle.

-Pas tellement, je la corrige vivement. De nombreux sorciers sont aussi forts que je le suis, et mon frère…

-Votre frère est un imbécile, me coupe-t-elle.

Je cligne des yeux, surpris par son ton assuré, puis me reprends.

-Je ne vais pas prétendre le contraire, je ricane. C’est un crétin prétentieux imbu de lui-même et condescendant. Néanmoins, il s’agit de ton Maître, et tu ne l’as pas choisi pour…

-Je l’ai choisi en sachant qu’il était un imbécile, m’interrompt-elle à nouveau. (Son regard se perd dans la contemplation d’un couple d’oiseaux qui vole au-dessus des arbres ; on dirait qu’elle m’a oublié, mais elle poursuit.) Je l’ai choisi parce que je savais qu’il accepterait pour vous mettre des bâtons dans les roues. Ça m’était égal. Je crois que, d’une certaine manière, je voulais narguer ma sœur et lui prouver que même en suivant la voie du Bien on peut accomplir de grandes choses.

Soudain ses pieds décollent du sol et, avec la légèreté d’une bulle de savon, elle s’élève dans l’air pour se mettre à flotter. Je l’observe, estomaqué. Elle semble tellement sereine… les yeux clos, les traits détendus et son parapluie toujours à la main… Je me perds dans sa contemplation, fasciné par la facilité avec laquelle elle joue avec la magie, semblant ne même pas avoir eu besoin de l’apprivoiser. Elle la manie comme si elle ne faisait qu’un avec elle, on dirait qu’elle l’utilise comme elle respire, parfois sans même s’en rendre compte.

-Mais je regrette à présent, lâche-t-elle en ouvrant les yeux. En la provoquant, je l’ai rendue encore plus hargneuse. Elle est tout le temps en compétition avec moi, elle cherche désespérément à me surpasser au lieu de se surpasser elle-même. (Elle m’adresse un regard empreint de compassion.) Quant à votre frère…, il s’obstine à vous haïr parce qu’il n’a pas votre renommée. Il ne s’est pas rendu compte que vous êtes parti pour le protéger, et non pas pour le rabaisser.

Elle descend doucement et ses bottes touchent le sol. Elle atterrit en douceur et repart comme si de rien n’était, avançant jusqu’à une gloriette devant nous. Une fois au sec elle plie délicatement son parapluie et s’assied sur un banc. Je reste à un mètre d’elle, debout, et m’appuie contre la rambarde. J’ôte ma capuche et ébouriffe mes cheveux noirs trempés. Une goutte tombe d’une mèche de ma frange et s’écrase sur ma joue.

-Tu sembles penser que tu es douée pour cerner les hommes ! je remarque -un brin sarcastique.

Elle éclate de rire. Le son est léger, cristallin.

-Oh, pas seulement les hommes. J’arrive à cerner les gens très vite, et très bien.

-Je serais curieux de savoir ce que tu as à dire à mon sujet.

-Oh, vous n’êtes pas si difficile à comprendre.

-Vraiment ? je siffle.

Elle se lève et croise les bras, m’examinant comme un spécimen intrigant, puis elle pose son index sur son menton.

-Vous êtes un homme qui joue un rôle, le rôle du vilain sorcier adepte d’occultisme et qui en plaisante. Cet humour que vous avez -et qui est terriblement craquant, si vous voulez mon avis – fait partie de votre personnage et cache en réalité à quel point vous souffrez. (Je fronce les sourcils.) Vous vous isolez des autres, mais au fond vous vous sentez seuls. Vous repoussez vos pairs, affichez de terribles tatouages sur tout le corps pour faire fuir les sorciers, mais personne n’a jamais compris que c’était pour les protéger.

-Les protéger de quoi ? je la coupe abruptement.

-De votre immense pouvoir. (Elle s’approche de moi, je reste muet.) C’est pour ça que vous avez fui votre frère et votre famille. Nerabass, vous n’êtes pas comme eux, et vous aviez peur de les blesser.

-Non, je me suis tiré parce que les Serviteurs du Mal étaient traités comme des loques par mon clan, je corrige.

-En partie, oui. (Elle pose la main sur mon bras, je baisse les yeux, surpris par son geste.) Mais au fond, je sais que vous êtes quelqu’un de bien.

-Je n’ai jamais rien entendu d’aussi absurde, je lâche d’une voix blanche.

-C’est d’ailleurs la différence fondamentale qu’il y a entre nous, continua-t-elle, ne semblant pas m’entendre. Vous êtes un faux méchant… (Elle lève les yeux sur moi, tout mon corps est soudain parcouru d’un frisson.) …alors que moi je ne suis pas une vraie gentille.

On dirait qu’elle vient de me confier un lourd secret, j’ai du mal à lire entre les lignes et à saisir le véritable sens de ses mots. Je suis trop agité pour me pencher dessus, troublé par sa proximité ; j’en ai assez de son analyse, de son ton assuré… Je lui chope le poignet et glisse mon bras dans son dos pour l’attirer à moi. Je me sens très satisfait en la voyant papillonner des yeux et perdre un peu de son aplomb.

-Ah oui ? Je suis un faux méchant ? je susurre, venimeux. Tu me sous-estimes Jézabel : je suis un des plus dangereux sorciers du vingt et unième siècle. J’ai tué des dizaines de personnes lors de duels. Je leur ai ôté la vie et leur pouvoir est venu alimenter le mien. J’ai lancé des sortilèges qui ont conduit des villages à la famine, mes colères ont soulevé des ouragans qui ont dévasté carrément des pans entiers de pays. Je vis et me repais de l’obscurité, du malheur des gens et du sang versé.

Elle m’observe attentivement puis, de sa main libre, elle effleure ma joue de l’index et vient caresser ma lèvre inférieure. Ma peau brûle à son contact.

-Je n’ai pas peur de vous, murmure-t-elle.

-Tu devrais pourtant. (Elle veut poser sa tête contre mon torse, je tente de la repousser, riant : ) arrête ! Tu vas être mouillée !

Elle ne m’écoute pas et pose sa tempe contre ma poitrine, je soupire. Ses cheveux vont être humides et ses mains aussi. Je resserre mes bras autour d’elle. Son pouvoir est chaud, rayonnant, je peux presque sentir mon sweat sécher à son contact. Je me laisse emporter un instant par sa force, serein tout à coup.

-Oui, je répète. Je suis toujours heureux quand nos chemins se croisent.

Elle sourit, fermant les yeux. Elle écoute mon cœur, qui lui dit que je suis sincère.

-Moi aussi, souffle-t-elle.

Nous restons immobiles pendant cinq, dix, vingt minutes. À l’abri sous la gloriette, la pluie continue de tomber tout autour de nous. Des personnes passent de temps à autre sur les sentiers au loin, ne nous voyant pas, ou ne faisant peut-être pas attention à nous.

Elle se recule soudain et lève ses yeux couleur chocolat au lait sur moi.

-C’est la cinquième fois que nous nous voyons de la sorte, dit-elle. Est-ce que vous seriez d’accord de… m’embrasser ?

-Je ne sais pas, je soupire. J’ai seize ans de plus que toi, et j’ai tout de même une morale…

-Alors, on va dire que je ne vous laisse pas le choix. Fermez les yeux, fait-elle dans un souffle.

J’obtempère, amusé qu’elle mène la danse. Je n’ai jamais participé à ce genre de petit jeu. Si c’est nouveau pour elle, ça l’est aussi pour moi.

Elle pose ses mains sur mon torse et je la sens se hisser sur la pointe des pieds. Le temps reste suspendu, je sens son souffle sur mes lèvres ; c’est un supplice et un délice, je n’ai jamais ressenti cela auparavant. Quand elle pose sa bouche sur la mienne c’est une délivrance. Sa peau est fraîche et humide à cause de la pluie, ses cheveux coupés au carré caressent mon menton. J’en veux plus.

Je saisis son poignet et approfondis notre baiser. Elle gémit, surprise par mon ardeur.

-Je suis ravie de constater que la langue de cabri peut aussi être utilisée à bon escient, souffle-t-elle en se reculant, rieuse.

Je ris et ouvre les paupières. Elle n’est plus là.

Je regarde aux alentours puis baisse les yeux sur mes doigts, qui retenaient son poignet. À présent ils sont en train de serrer son parapluie blanc imprimé de petits cœurs rouges. Elle a disparu, me laissant seul avec la pluie.

Et avec un petit morceau d’elle. Je souris.

-Ça, c’est de la belle magie, je murmure, admiratif. Je suis… conquis.

J’ouvre le parapluie et quitte la gloriette, m’en allant d’un pas léger.

 


Note de l’auteur: Pour ceux qui ont remarqué pour le parapluie, oui c’est fait exprès 😀

Apprenties sorcieres-chap1

Apprenties sorcières (1)

-Je vous en conjure, faites de moi votre Disciple.

Malgré le fait qu’elle soit agenouillée à terre, mains et front au sol, son ton n’est pas le moins du monde suppliant. Elle a parlé calmement, comme si elle récitait une citation ou un poème.

Comme je ne suis pas du genre à m’étonner pour si peu :

-Entre, fais-je en lui tournant le dos et en pénétrant dans ma masure.

Elle se lève, époussetant ses genoux, l’air parfaitement calme. En entendant des coups frappés à ma porte il y a trente secondes, j’ai ouvert le battant et mon regard est tombé sur elle, agenouillée à terre.

Je me dirige vers la cuisinière et mets de l’eau à bouillir dans une casserole plus ou moins propre. Puis je me tourne vers la jeune femme qui attend debout dans ma cuisine/salle à manger/salon.

-Assieds-toi et dis-moi pourquoi tu veux que je fasse de toi ma Disciple. (Elle s’exécute, je m’appuie contre ma cuisinière, bras croisés.) Tu dois savoir que je n’en ai jamais eu -et qu’il va falloir me donner une bonne raison pour changer mes habitudes…

-Je fais partie du clan de la Cascade Pourpre, je m’appelle Daphné et j’aimerais devenir votre disciple.

Je coupe le feu et verse l’eau brûlante dans deux tasses dont le fond est tapissé de feuilles séchées. En posant la tasse devant elle, je vois son regard neutre observer les tatouages sur les muscles de mes bras.

-Au clan de la Cascade Pourpre, l’aîné se voit attribuer le pouvoir du Malheur… Au contraire, le cadet doit se contenter du pouvoir du Bonheur.

J’avale une gorgée. C’est la tradition chez les sorciers : les enfants doivent choisir entre servir le Bien ou le Mal. Parfois, ils se mettent d’accord ou leurs aptitudes naturelles leur désignent la Voie à suivre.

Mais dans la plupart des clans on n’a pas le choix : le pouvoir qui guide notre vie est imposé par des traditions ou par notre famille.

-Et je suis la cadette. (Elle marque une pose dramatique.) Quand ma sœur atteindra 21 ans, elle recevra ses pouvoirs et servira le Mal.

-Et alors ?

-Je veux servir le Mal.

Silence. Elle boit une gorgée de thé et ses yeux se plantent soudain dans les miens, semblant vouloir les transpercer.

-Je suis une personne beaucoup trop mauvaise pour faire le Bien ou le Bonheur. Au contraire, mon aînée n’est pas une fille méchante. Elle culpabilise trois semaines lorsqu’elle écrase une fourmi.

-Sympa ta petite histoire, mais en quoi me concerne-t-elle ?

-J’aurais besoin de vous.

-Je m’en doutais, j’ironise.

-Il me faut un Maître qui accepterait de me transmettre les pouvoirs du Mal avant que ma sœur ne les reçoive, pour la prendre de vitesse. Elle serait donc obligée de servir le Bien. Mais évidemment les membres de ma famille n’accepteraient pas.

-Et moi oui ? je m’étonne.

Elle ne répond pas tout de suite, fixant le liquide fumant dans sa tasse.

-Vous êtes un grand sorcier Nerabass…

-Les flatteries ne fonctionnent pas avec moi.

– … mais vous n’êtes pas quelqu’un de… “conventionnel “. Exactement comme moi. J’ai souvent entendu dire… que vous suivez votre Voie à la perfection. Que tourmenter les hommes est votre seconde nature . Que l’herbe se dessèche sous vos pas. Que votre famille entière tremble devant votre puissance et qu’il n’existe pas de sorcier ou sorcière égalant votre puissance.

J’éclate de rire.

-Que d’éloges ! C’est très exagéré ! Il y a beaucoup d’êtres ayant des pouvoirs égaux ou supérieurs aux miens. (Mon regard s’attarde sur la minuscule fenêtre sale donnant sur la montagne où je me suis isolé depuis des mois.) Un en particulier…

Elle ne dit rien, je me ressaisis et lui souris d’un air mauvais garçon.

-Je me suis accordé des vacances il y a cinq mois, ou plutôt une retraite forcée provisoire pour jouer les ermites et réfléchir. Mais je suis un homme d’action ! Admettons-le, je me fais chier comme un rat mort ici! Un peu de compagnie -féminine qui plus est – ne peut pas me causer du tort.

Elle reste un instant interdite, ne comprenant pas tout de suite.

-Vous acceptez de faire de moi votre Disciple ?

-Je dois te prévenir : je suis narcissique, intenable, borderline, pas sortable, exigeant, crasseux, un poil pervers et totalement insupportable. En plus, je n’ai jamais eu de Disciple, je ne saurais pas que t’apprendre.

-Vous n’êtes pas obligé de m’enseigner quoi que ce soit. Faites de moi une Servante du Malheur et je m’en irai en vous laissant tranquille.

Je ne souris plus et, m’approchant, je prends mon ton le plus sérieux.

-Non, ça ne serait pas… « utile». Tu ne suivrais pas correctement ta Voie. (J’ébouriffe mes cheveux corbeau.) Je suis assez à cheval sur l’assiduité et le travail que doit fournir n’importe quel sorcier. Et il vaudrait mieux pour toi que tu sois sincère, que tu ne retournes pas chez toi en pleurnichant parce que la tâche est trop dure… voire dangereuse ou effrayante.

Son regard se durcit.

-Je ne faillirai pas.

J’ai un petit rire. Sans être attiré physiquement par cette gamine, je ressens de l’affection pour elle.

-Tu sais quelle est ma dernière folie en date ? je susurre en appuyant mes paumes sur la table, me penchant vers elle. C’est un acte qu’aucun sorcier ou sorcière n’a osé tenter depuis quatre siècles.

Elle secoue la tête en signe de dénégation. En dépit de son visage impassible, je sens clairement sa curiosité. J’ouvre lentement la bouche et tire la langue pour lui montrer le motif complexe tatoué dessus : un pentagramme ornementé de symboles complexes.

Ses yeux verts remontent sur les miens.

-Je ne m’y connais pas beaucoup, mais ce sort… Est-ce celui qui…

-Oui, fais-je, tout joyeux. toute parole sortant de ma bouche est considérée comme maléfique ! Il me suffit de prononcer une bête malédiction comme “Va au diable !” ou “Je souhaite que tu crèves !” pour que cela se réalise.

-La Langue de Cabris, apprécie-t-elle . Tous les malheurs que vous souhaitez aux gens deviennent vrais.

-Toujours partante ? je ricane. (Elle sourit.) Bon. Va poser tes affaires dans la pièce à côté. Y’a un canapé où tu pourras dormir. (Je lui lance un linge et désigne le tas de vaisselle dans l’évier.) En attendant de recevoir tes pouvoirs, essaie de rendre à mes assiettes leur couleur d’origine.

Elle se lève et va mettre son sac derrière la porte. Elle se met ensuite à la tâche sans rechigner.

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Avec une craie, je trace un pentagramme enfermé dans un cercle à même la pierre. La lune brille dans le ciel, glacée. Daphné se place au centre de l’immense étoile et s’agenouille. Elle porte une longue robe noire et moi une sorte de soutane de la même teinte, mais brodée de fils argentés.

Je me mets à tracer des mots en latin sur les contours du cercle. Nous attendons minuit – l’heure du crime!

-Tu ne regrettes pas le coup bas fait à ta sœur ? Et à ta famille ? je demande.

-Non. Je suis consciente que ce que je m’apprête à accomplir va les énerver, mais je ne peux pas penser autrement : ma Voie c’est le Mal. J’ai coupé les ponts avec eux et ne les reverrai sans doute plus jamais.

-Est-ce que par hasard… tu les détestes ?

-Pas vraiment. Sauf mon aînée peut-être… Elle m’agace souvent. elle est tellement… gentille, lâche-t-elle d’un ton méprisant.

-Quelle horreur, je fais platement.

-Elle est toujours si bêtement optimiste ! Elle sourit aux gens, elle est sympa avec tout un chacun… Elle ménage aussi la chèvre et le chou, c’est pour cela qu’elle a commencé les entraînements pour la Voie du Mal. Elle ne voulait surtout pas faire de vagues et décevoir nos parents. (Elle renifle.) Personnellement je me fiche de leur avis. Je n’ai pas besoin de leur approbation.

-Quelle force de la nature ! Est-ce ton côté bravache ou ton vrai caractère qui parle ?

-Les deux sont indissociables.

Je pose la craie, et j’observe la jeune femme, mortellement sérieux.

-Si ce que tu me dis là n’est que mensonge… si ça n’est que de la poudre aux yeux tu vas le regretter. Parce que dès que je t’aurai confié tes pouvoirs, dès que nous aurons commis l’irréparable, tu seras rejetée par tous tes proches! Tu seras rayée de la Communauté des Sorciers tout entière, traitée comme une paria. Alors, répète-moi à présent que tu es sûre de toi à 100 %. (Son visage pâle ne trahit aucune émotion.) Tu vois… Ça n’est pas un choix que l’on fait de son propre chef d’habitude.

-Vous parlez pour vous là?

Je détourne le regard.

-Oui, peut-être.

Je saisis un sac et en sors un flacon rempli d’une potion verdâtre.

-Je ne connais pas votre situation… mais je suis une fille que rien n’arrête. J’ai tendance à foncer quand la cause me tient à cœur, et ce, peu importe les risques.

Je débouche le récipient et en verse le contenu tout autour d’elle.

-Je sais, j’ai remarqué ! (Je ricane.) Tu es suffisamment folle pour te tirer de chez toi à 17 ans et venir retrouver un sorcier douteux en espérant vaguement qu’il fasse de toi sa Disciple.

-Pas folle. Déterminée. (Elle m’observe un instant parsemer d’herbes sauvages la pierre en dehors du cercle.) Est-ce que vous… me raconterez un jour ce qu’il s’est passé pour que vous abandonniez votre famille et recherchiez à devenir un des plus puissants sorciers de votre temps ?

-Pas ce soir ! je m’exclame. C’est ta Cérémonie de Transmission de Pouvoir ! (Je lui lance un clin d’œil complice.) Il serait dommage de plomber l’ambiance avec mes histoires de vieillard grabataire et déprimant.

-Vous n’êtes pas si vieux, proteste-t-elle .

-Ah oui ? Pour les gens de ton âge, je suis un fossile bon pour le musée. (J’écarquille les yeux d’un air comique.) Ciel ! 36 ans ! J’ai déjà un pied dans la tombe !

Elle ne se déride pas et m’observe sans même esquisser un rictus. Ça promet…

Je sors un couteau de cuisine, un de ceux que l’on utilise pour découper de la viande. Trente secondes avant minuit…

-Alors… Prête à devenir une Servante du Mal ? je souris.

Elle hoche la tête. Elle colle donc ses bras contre sa poitrine, mains ouvertes sous le menton. C’est la position pour le rituel. À ce moment-là, je remarque que ses doigts tremblent.

J’appuie la lame du couteau contre mon poignet, agenouillé face à elle. Je commence à réciter la formule traditionnelle. Une fine ligne de sang s’élève de ma veine et flotte dans l’air comme un ruban rouge.

Ce fil insolite se met à se mouvoir autour de la tête de Daphné. Elle respire de plus en plus fort, ses iris verts fixant le sol sans le voir.

La lumière de la lune frappe le fluide, qui commence à pulser. Je jette une poignée de poudre dessus, mon sang devient noir et vaporeux. Sans cesser de psalmodier, je prononce le nom de mon Maître.

-… Le Malin tu serviras.

Un trait de sang s’approche de son front et entre en contact avec sa peau. Elle hurle.

-… Tu te plieras à sa volonté.

Le liquide se dirige aussi vers ses poignets et y pénètre. Ses cris de douleur redoublent. Je tente de ne pas y prêter attention : je suis moi aussi passé par là. Elle savait ce qui l’attendait. On le sait tous.

Pourtant, c’est ce qu’on veut.

-… Tu obéiras à ses ordres.

Elle se cambre et son regard vide fixe la voûte céleste. Il arrive que la sorcière ou le sorcier qui passe la Cérémonie de Transmission décède -à cause de la souffrance. Les pouvoirs du Malheur ou du Bonheur rejettent le sorcier. Ou le sorcier les rejette. Mais c’est de l’ordre du 1%, il est très rare que ça arrive.

-… Pour lui tu vivras et pour lui tu mourras.

Mon sang entre totalement en elle, elle ne bouge plus. La pulsation malsaine résonnant à nos oreilles s’arrête et sa tête retombe sur sa poitrine d’un mouvement sec.

J’attends un instant. Elle papillonne des paupières et m’observe à son tour d’un air hagard.

– C’est terminé ?

– Oui. À présent nous allons commencer ta Formation. “Moi, Nerabass, déchu du Clan de la Branche de Cerisier, je serai ton Maître.”

– “Et moi, Daphné du Clan de la Cascade Pourpre, je serai votre Disciple.”

Nous nous levons en époussetant nos genoux et effaçons le pentagramme au sol.

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Voilà à présent trois mois que j’entraîne Daphné à être une Servante du Mal. Elle est douée, avide d’apprendre et assimile très rapidement mes ordres ou mes explications.

Je dois vous raconter deux-trois choses sur les sorciers avant d’aller plus loin dans cette histoire. Vous devez en savoir plus sur nos coutumes ou vous allez pédaler dans la semoule.

Donc : avant la Cérémonie de Transmission de Pouvoir, un sorcier ou une sorcière possède déjà la capacité d’utiliser sa magie, mais ce n’est qu’après le rituel qu’on arrive à s’en servir complètement.

Les Clans sont d’immenses familles. Chacune d’elle fonctionne de manière différente, il y en a une bonne centaine à travers le monde. Les sorciers préfèrent vivre en communauté, ils se sentent plus rassurés – excepté bien sûr les gens bizarres tels que moi! De temps à autre, ces familles se réunissent pour causer et frimer avec ceux qui sont les plus puissants de leur Clan.

Dans ma propre famille, c’est le Bien qui prime. L’aîné se voit attribuer les pouvoirs du Bien: il est admiré et choyé par les siens. Les cadets sont détestés et rejetés par tous à cause de leur Voie. Après avoir vu pendant 20 ans la moitié de mes oncles et tantes traités en parias, courber l’échine sous les regards noirs et autres remarques désagréables, j’ai décidé de ne surtout pas finir comme eux. J’avais subi assez de dégoût pour toute une vie.

Alors, aussitôt après ma Transmission, j’ai fugué et ai tenté de me trouver un Maître. J’ai sillonné la Terre, essuyant refus sur refus jusqu’à ce qu’une sorcière m’ouvre enfin sa porte. Elle avait peut-être senti le potentiel que je possédais déjà à l’époque…

En constatant ma disparition, ma famille a bien évidemment été en colère. Tout paria qu’il soit, laisser échapper un sorcier du Clan est embêtant. Ils se sont dit que je ne reviendrais jamais et m’ont gentiment oublié…

Dommage ! Je suis revenu en force, telle une armée de pucerons increvables ! Mais de manière indirecte. Ils ont appris que j’ai terminé ma Formation avec brio, ensuite que j’ai vaincu des sorciers très forts en duel. Que j’ai réussi à terrasser un dragon à moi tout seul . Que ceux qui me croisent évitent de rester dans mon sillage, qu’on ne soutient pas mon regard trop longtemps. Bref, qu’en échappant à leur influence je suis devenu incontrôlable, dangereux…. et que je fais du bruit.

Beaucoup de bruit, peut-être même trop.

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Nous sommes actuellement sur le toit d’un supermarché. Je ramène mes cheveux en arrière, le vent souffle tellement fort que mon manteau claque dans mon dos avec violence.

-Bon, je soupire. Concentre-toi bien et réessaye le sort. Il faut que la criminalité de ce quartier augmente, et on sait qu’un paysage déprimant est propice aux changements d’humeur. Dessèche-moi cette végétation !

Elle hoche la tête. Elle pose un genou à terre (à toit devrais-je dire !) et le bout de ses doigts effleure le béton. Elle se met à murmurer des paroles en latin, sa magie s’infiltre à travers les murs : les bactéries à l’intérieur des frigos commencent à se multiplier, la moisissure envahit les parois et le béton s’effrite légèrement.

Ses pouvoirs s’infiltrent dans le sol. Les arbres se mettent à se recroqueviller, les racines à durcir… J’arrive à suivre le parcours de ses tentacules insolites et destructeurs.

– Qu’est-ce qui se passe ? je demande en les voyant s’immobiliser.

– Je ne comprends pas, s’étonne-t-elle, on dirait qu’une force extérieure tente de me bloquer.
– Un obstacle ?

-Non, je ressens une sorte de cercle qui m’entoure et m’empêche de m’étendre plus loin.

– Ça signifie qu’il y a quelqu’un dans les parages. Arrête tout, je vais vérifier.

Je ferme les paupières et lance une onde mentale dans les environs pour trouver l’intrus. Normalement les humains dorment à cette heure tardive.

-Ce sont des sorciers. On ferait mieux de…

-Inutile de fuir mon cher.

Deux silhouettes atterrissent sur le toit d’un coup. Avant de ne serait-ce que pouvoir les identifier, la plus petite des deux s’accroupit au sol et frappe le béton du poing. Le sort de Daphné est immédiatement neutralisé et se volatilise. Les nuages se mettent à tourbillonner au-dessus de nos têtes.

-Qui êtes-vous ?! s’exclame ma Disciple en se relevant d’un bond. Et de quel droit vous permettez-vous de bloquer mon sortilège ?

La femme à terre -car c’en était une – redresse le visage vers nous.

-Coucou Daphnie ! sourit-elle.

Daphné se fige puis s’étouffe de rage ; ses globes oculaires sortent de ses orbitent et on aperçoit presque de la bave à ses lèvres.

– Jézabel ?!

– Qui est-ce ? j’interviens.

– Ma Disciple, répond l’autre sorcier en ôtant le capuchon de son sweat.

Bien que je ne l’aie pas vu depuis des années, je reconnais immédiatement mon frère aîné. Toujours ce même regard méprisant, supérieur… et ces cheveux noirs.

-Salut Artie, t’as drôlement vieilli dis-moi ! je lance joyeusement.

-Va te faire mettre !

– L’âge ne t’a en tout cas pas rendu plus aimable, je constate ! (Je me penche vers ma Disciple qui tremble à mes côtés, bouillonnant apparemment de rage contenue.) Je suppose que la jeune personne qui accompagne mon frère est ta grande sœur ?

– Oui ! crache-t-elle. Qu’est-ce que tu fiches là, toi ?! Tu peux pas arrêter de me fliquer!? Si ce sont les parents qui t’envoient, tu pourras leur dire…

-Stop ! rit son aînée en levant la main. Je ne suis pas là en tant que sœur… mais en tant qu’ennemie et rivale naturelle.

– Qu’est-ce que tu racontes encore ?

-Jézabel est ma Disciple, répète mon frangin.

– Comment ? C’est quoi ces bêtises !

– En apprenant le jour même de ma Cérémonie de Transmission que ma chère petite sœur m’a volé les pouvoirs qui m’étaient destinés, j’ai décidé de prendre les choses en main. J’ai su que tu as été acceptée comme Disciple par le tristement célèbre Sorcier Noir Nerabass. Du coup, j’ai été trouver son… parfait opposé.

– J’ai refusé de devenir son Maître jusqu’à ce qu’elle me dise le sale coup que vous lui avez joué, avoue mon frère. L’idée de te mettre des bâtons dans les roues était trop tentante…

– Un “sale coup “? ricane Daphné. C’est pas le premier, et j’ai pas fini de t’en faire.

-Contrairement à ce que tu crois, je ne suis pas en colère contre toi. (Je hausse les sourcils.) Ou en tout cas, je ne le suis plus.

– Vous me surprenez Jézabel ! je m’exclame. Votre sœur vous a ridiculisé devant votre Clan au complet, non ?

Elle est jolie la frangine… Cheveux d’un brun chocolat à l’aspect soyeux, yeux perçants, posture droite et visage franc. Elle me plaît beaucoup !

– Oui. Mais j’ai réalisé qu’elle ne pouvait pas me rendre un plus grand service. À présent je peux suivre la Voie qui me correspond sans déclencher la colère des miens. Ma pauvre chérie ! Tu t’es discréditée auprès de toute notre famille et je suis la gentille fifille victime des ruses abjectes de sa cadette capricieuse et jalouse.

Daphné hoquète de fureur, j’esquisse un rictus. Cette jeune femme a un sacré caractère ! Elle est plus fourbe qu’elle ne le laisse paraître.

-Qui pourrait être jalouse d’une espèce de truc mou et fade tel que toi!? grince-t-elle.

– Je suis tout le contraire, s’amuse Jézabel ton erreur est de penser que faire le Bien, c’est être faible. Mais la gentillesse est une force. Le Bien est une arme -mon arme ! Et j’te l’prouve !

Elle agite négligemment les mains. De la neige se met à tomber, et très vite le paysage lugubre de la banlieue se transforme en décor de conte de fées.

– Oh, des flocons ! C’est joli !

-C’est tout ce que vous trouver à dire ? s’agace Daphné.

-On a été bluffé, autant admirer la manœuvre sans protester. (Je hausse les épaules en souriant, devant ressembler vaguement à un gosse de cinq ans la veille de Noël.) Joli coup, beauté !

Jézabel rougit et éclate de rire. Artie fronce les sourcils.

– On s’en va, lâche-t-il sèchement.

Je n’arrive pas à la quitter des yeux, occultant totalement mon propre frère.

– J’espère avoir le… plaisir de vous revoir. (Ma Disciple me met un coup de coude.) Quoi ? On remarque tant que ça que je bave avec des yeux de merlan frit ?

– Arrêtez de fricoter avec l’ennemi !

Son aînée me fait un clin d’œil.

-Voyons monsieur Nerabass ! Le Bien et le Mal ne peuvent coexister !

Son ton est ironique, elle ne croit pas un mot de ce qu’elle dit.

– Comment connaissez-vous mon prénom ? je m’émerveille.

-Qui ne le connaîtrait pas, grogne mon aîné, un monstre tel que toi!

Et les deux sorciers disparaissent sur un geste de sa main, juste après que Jézabel m’ait fait un petit signe d’au revoir.

– Dis-moi… Elle est vachement forte… T’es sûre qu’elle a que 21 ans ?

-Non mais, s’exclame Daphné, vous êtes de quel côté !?

– Je remarque simplement que, si elle a un tel niveau après un mois seulement d’entraînement… la Voie du Mal a du souci à se faire…

-Elle se la pète, c’est tout !

Je réfléchis un instant, songeur.

-Si je t’épargne une semaine de vaisselle… est-ce que tu me files son numéro ?

-Quoi ? Vous plaisantez ? Elle a l’âge d’être votre fille.

– Tu exagères ! Bon, deux semaines ? T’es d’accord ?

-Non !

– Trois ?

– Non ! C’est une cruche fadasse qui collecte des vêtements pour les SDF pendant ses vacances ! Vous n’iriez pas ensemble !

Je souris en observant la neige qui tombe toujours autour de nous, étrangement de bonne humeur !

J’attends la suite avec impatience…